LA PREMIÈRE journée aumôniers organisée par l’AP-HP, préparée en étroite concertation avec les dirigeants des quatre aumôneries (catholique, protestante, israélite et musulmane) a été boycottée par les représentants catholiques (lire ci-dessous). « Nous avons voulu tirer un coup de semonce », explique au « Quotidien » Mgr Renauld de Dinechin, évêque auxiliaire de Paris. Ce clash, survenu en février, témoigne de la situation de crise traversée depuis quelques mois par la laïcité en contexte hospitalier. Deux sujets ultrasensibles focalisent les attentions et attisent les susceptibilités : l’attribution des postes d’aumôniers salariés et la mise à disposition des locaux pour les réunions et les cultes. Avec des lignes budgétaires de plus en plus comptées, les institutions hospitalières doivent maintenant honorer une situation nouvelle de pluralité religieuse.
« Parler d’un rééquilibrage n’est pas totalement faux », admet, sibylline, Marjorie Obadia, directrice adjointe des affaires juridiques et des droits du patient à l’AP-HP. Elle précise les données chiffrées actuelles des postes salariés, exprimées en ETP (équivalents temps plein) : 22,56 pour les catholiques, 8,21 pour les protestants, 5,15 pour les musulmans et 3,04 pour les israélites. Des scores qui fâchent tout le monde. « Avec 8 millions de musulmans en France, et non pas 5 ou 6 comme on le répète depuis dix ans, nous demandons simplement l’équité et le respect de l’une des trois valeurs fondamentales de la République, l’égalité », déclare Abdelhaq Nabaoui, aumônier national musulman. Ce docteur es sciences, marié à une généraliste, qui milite pour « l’Islam du juste milieu », en lien avec le CFCM (Conseil français du culte musulman), tient à souligner qu’il ne veut pas entrer en conflit avec la religion la mieux dotée : « Nous avons toujours refusé que soit créé un poste d’aumônier musulman si c’est au détriment d’un poste catholique, assure-t-il. Mais nous constatons que le nombre de nos aumôniers ne reflète pas le nombre des musulmans pratiquants. »
Côté israélite, l’aumônier général, le rabbin Michael Journo, constate qu’« il est devenu très difficile de faire embaucher un aumônier dans les secteurs où notre communauté est très présente » ; il « déplore une situation de pénurie qui contraint à faire du bricolage avec des bénévoles qui, le plus souvent, ne sont même pas défrayés pour leurs dépenses de déplacement. Dans un CHU comme Cochin, nous ne sommes pas en mesure d’assurer correctement notre rôle, qui est avant tout d’être présent au chevet du patient qui nous appelle, ne serait-ce que pour lui tenir la main. Les catholiques se réclament de leurs droits historiques mais ils doivent prendre en considération la situation actuelle. »
Nouvelle stratégie.
« Nous observons depuis quelques années des signes de fragilisation, avec des suppressions de postes, note, quant à lui, Mgr de Dinechin, qui estime « pouvoir demander un suivi des lignes budgétaires ». L’AP reconnaît pour sa part le non-renouvellement d’un contrat. L’évêque auxiliaire embraye alors sur l’autre pierre d’achoppement du débat, l’attribution des lieux de culte. « Si nous sommes d’accord pour partager avec d’autres religions des salles de réunion, nous voulons défendre le principe suivant lequel un lieu de culte catholique à l’intérieur d’un hôpital le demeure. Or, rien qu’en région Île-de-France, nous avons compté entre 3 et 6 chapelles ou oratoires désaffectés. C’est une tendance préoccupante. » Pour Marjorie Obadia, « ce chiffre est étonnant, car nous n’avons pas modifié les affectations anciennes. Pour les lieux plus récents, en revanche, notre choix s’oriente vers des locaux multiconfessionnels et cela semble faire débat. »
Le débat divise les catholiques eux-mêmes : « Il est faux de présenter les lieux de culte interreligieux dans les hôpitaux comme des espaces indifférenciés où l’on perdrait son âme », lance ainsi le père Bruno-Marie Duffé, délégué à la pastorale de la santé du diocèse de Lyon et professeur d’éthique médicale
Mais Mgr de Dinechin refuse de transiger. « Sous-jacente à cette question, nous voyons poindre une nouvelle stratégie que nous récusons : les institutions hospitalières préfèrent parler d’aumônerie multiconfessionnelle plutôt que de traiter la pluralité religieuse dans le respect des spécificités des uns et des autres. Or, nous n’avons pas les mêmes modes cultuels. Si certains s’attachent au régime alimentaire ou aux toilettes mortuaires, nous sommes centrés sur la visite du patient au nom de la communauté, la prière et l’onction des malades. On ne saurait mélanger les cultes dans un même lieu. »
« Pour nous, précise Abdelhaq Nabaoui, l’essentiel c’est d’être près du lit du malade pour prier avec lui. Si l’administration nous accorde un lieu, c’est tant mieux, mais nous ne le réclamons pas. » Les israélites non plus ne sont pas demandeurs, souligne le rabbin Journo, tout en se défendant d’une attention prioritaire au régime casher : « La visite au malade constitue un impératif premier du judaïsme et la priorité de l’aumônier. »
Bientôt un référent aumônier.
La déconcentration hospitalière confie le pilotage et l’arbitrage du pluralisme religieux aux gestionnaires des établissements. « Par une note d’information de janvier 2010, nous les avons invités à prendre en compte l’existence des nouvelles aumôneries », indique Mme Obadia, qui annonce au « Quotidien » de nouvelles initiatives pour les prochaines semaines : la nomination, au sein de chaque groupe hospitalier, d’un référent aumônier, qui sera chargé du suivi de la question, en étant à l’écoute des divers partenaires religieux, le DRH gardant la responsabilité contractuelle du recrutement. D’autre part, pour pallier le manque de personnes ressources et renseigner les familles, un annuaire global va être publié, avec les coordonnées de tous les aumôniers, salariés et bénévoles, ainsi que celles des autorités religieuses.
Conscient du « besoin de mieux définir un certain nombre de principes fondamentaux et d’harmoniser les pratiques des aumôniers hospitaliers dans le respect de leurs cultes respectifs, des droits des patients et des valeurs de la République », le ministère de la Santé prépare de son côté une charte nationale multiconfessionnelle qui sera publiée en juin. À la DGOS (direction générale de l’Offre de soins), Claude-David Ventura rencontre à cet effet les différentes parties prenantes, pour détailler « les missions, statuts et formations des ministres du culte, leur champ d’intervention au sein des équipes hospitalières ». La charte vise également à promouvoir « un projet de service de l’aumônerie hospitalière qui sera régulièrement évalué par toutes les parties prenantes ».
Le document devrait s’inspirer de la charte régionale publiée sous l’égide de l’ARH Rhône-Alpes, qui encourage fortement la formation pluridisciplinaire des aumôniers, avec la création d’un DU de pastorale de la santé. À l’hôpital, la diversité religieuse met l’accent sur les impératifs de formation et bannit le repli identitaire dans les chapelles.
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