Psychiatrie « parent pauvre » de la médecine, pédopsychiatrie « orpheline », spécialités sous-dotées en mal d'attractivité… Ces constats répétés au gré des rapports, le monde de la santé mentale n'en veut plus. La profession réclame un nouveau souffle, afin de sortir de difficultés aggravées par la pandémie de Covid-19.
Le retentissement de cette crise multidimensionnelle sur la santé mentale ouvre en effet une fenêtre de tir inédite pour porter des réformes. Impossible d'ignorer l'ampleur de la détresse psychique des Français que mettent en lumière les enquêtes. L'on peut citer la proportion de 20 % de Français souffrant de dépression et/ou d'anxiété, selon les derniers résultats CoviPrev de Santé publique France ; ou encore les 27 % de femmes qui ressentent un stress accru et les 25 % de jeunes, une solitude croissante, selon l'enquête COH-FIT.
L'alerte semble avoir été entendue au plus haut niveau de l'État. « Je demande au gouvernement de préparer une stratégie pour prendre en compte les conséquences psychologiques de la pandémie et des différents confinements », a déclaré Emmanuel Macron lors de son allocution télévisée du 24 novembre.
Matignon de la psychiatrie
Les propositions des psychiatres fusent pour apporter des réponses à court terme à l'afflux de patients, et à long terme à la crise de la psychiatrie. Le 3 décembre, les psychiatres Rachel Bocher, Marion Leboyer, Serge Hefez et Marie-Rose Moro ainsi que la philosophe et psychanalyste Cynthia Fleury, ont promu la mise en œuvre de campagnes d'information nationales, le déploiement de plateformes d'information et d'aide aux personnes en détresse ainsi que l'ouverture de consultations Covid-Psy le temps de la pandémie.
À plus long terme, ils demandent un « Matignon de la psychiatrie et de la santé mentale » : une équipe interministérielle placée sous l'autorité du Premier ministre, présidée par une personnalité de la santé, serait chargée de préparer un projet de loi en six mois, avec de premières mesures dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale de 2022. Parmi les priorités : une meilleure lisibilité des parcours, un accès aux soins de proximité pour tous, le soutien à la prévention et au repérage précoce et des moyens pour la recherche.
De leur côté, les représentants des organisations universitaires de psychiatrie et d’addictologie alertent sur la nécessité de renforcer la formation. « La psychiatrie ne doit plus être l’une des disciplines où le taux d’encadrement des étudiants est le plus faible » s'indignent-ils. « Le ratio entre le nombre d'internes et le nombre d'enseignants universitaires est 10 fois plus faible en psychiatrie qu'en cardiologie », déplore l'un des signataires, le Pr Bernard Granger. Si l'ancienne ministre de la Santé Agnès Buzyn avait fixé, dans sa feuille de route de 2018, l'objectif d'au moins un PU-PH en pédopsychiatrie par faculté, « cette "cible" n'est toujours pas atteinte, et les quelques postes de chefs de clinique créés ne sont qu'une goutte d'eau », commente-t-il. « Encore neuf universités n'ont pas de PU-PH en pédopsychiatrie », s'impatiente la Pr Marie-Rose Moro.
Divergences dans les remèdes
Tout en partageant l'aspiration à une grande réforme, d'autres voix proposent des remèdes différents. Le président du Syndicat des psychiatres d'exercice public (SPEP), le Dr Michel Triantafyllou, insiste sur l'importance de redéfinir les missions et les moyens du secteur et de l'intersectoriel. Et de mettre en garde contre une dissolution de la psychiatrie dans la santé mentale. « Cela est intéressant pour la réhabilitation, la réinsertion, le post-soin. Mais il ne faut pas oublier le soin ! » exhorte-t-il.
Enfin, commence à gronder une opposition à la réforme du financement de la psychiatrie. Un collectif d'une soixantaine de psychiatres dénonce ainsi dans une tribune publiée dans « Le Monde » une rationalisation excessive qui ne favoriserait que les CHU, l'expertise et les thérapies courtes, au détriment du soin sur du temps long, accueillant aussi les plus précaires.
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