Déroger au secret médical pour tracer les patients : le projet de loi sur l'urgence sanitaire sous l'oeil des sénateurs

Par
Publié le 05/05/2020

Crédit photo : S.Toubon

Les sénateurs se pencheront ce mardi 5 mai sur le projet de loi prorogeant l'état d'urgence sanitaire, et notamment sur l’article 6 qui crée « un système d’information aux seules fins de lutter contre l’épidémie de covid-19 », une disposition qui n'a manqué de susciter la fronde des médecins depuis sa présentation en Conseil des ministres samedi 2 mai. 

L'article 6 prévoit stipule que « des données relatives aux personnes atteintes par ce virus et aux personnes ayant été en contact avec elles peuvent être partagées, le cas échéant sans le consentement des personnes intéressées, dans le cadre d’un système d’information créé par décret en Conseil d’État et mis en œuvre par le ministre chargé de la santé »

La loi fixe quatre objectifs à ce dispositif : l'identification des personnes infectées, des personnes présentant un risque d'infection, leur orientation vers des prescriptions médicales d'isolement prophylactiques ou un suivi médical, et la surveillance épidémiologique de l'épidémie du Covid-19.

Concrètement, à partir du 11 mai, les médecins auront accès au téléservice « contact Covid » élaboré par l'Assurance Maladie, via amelipro, pour transmettre les informations sur leurs patients et les éventuels cas contacts. Puis ce seront les équipes de l'Assurance Maladie qui devront joindre ces derniers, selon les précisions du directeur général Nicolas Revel.  

Les dérogations au secret médical précisées en commission 

Dès le passage en commission, le lundi 4 mai, les sénateurs ont modifié le texte, en limitant la durée de cette dérogation au secret médical à celle de l'état d'urgence sanitaire et en circonscrivant son périmètre aux données concernant l'infection par le virus (statut virologique ou sérologique, éléments probants de diagnostic clinique, qui seront précisés par arrêté après avis du Haut Conseil de la santé publique).

Ils ont refusé d'habiliter le gouvernement à légiférer par ordonnances sur cette question et ont créé une instance de contrôle, « chargé d’associer la société civile et le Parlement aux opérations de lutte contre l’épidémie par suivi des contacts ». Ils ont encore prévu la possibilité dans certains cas de refuser d'être inscrit au fichier de suivi des malades.

Ils ont enfin explicitement exclu que le texte puisse servir de base juridique au déploiement de l'application informatique StopCovid, également objet de questionnements. Le ministre de la Santé Olivier Véran a « souhaité couper court à toute suspicion », en assurant que les systèmes d’information prévus par le texte « sont juridiquement et techniquement indépendants de StopCovid ». Cette application ne devrait d'ailleurs pas être disponible avant le 2 juin, après nouveau passage devant la CNIL et débat au Parlement.

Le monde médical vigilant

Si le texte devrait faire l'objet de longues discussions au Sénat, sa présentation a d’ores et déjà suscité les réserves du monde médical.  

Le Conseil national de l'Ordre des médecins (CNOM), sur un ton feutré, a demandé, entre autres garanties, que le projet de loi fasse « explicitement référence au rôle premier des médecins dans le dispositif ». « Il est en effet paradoxal que dans le texte actuel de l’article 6, il ne soit absolument pas fait mention des médecins », commente le CNOM.

Le professeur d'éthique médicale Emmanuel Hirsch a regretté l'élaboration d'un « traitement "à l'ancienne", certainement moins sécurisé et plus risqué qu'un système digital (StopCovid) lui-même d'une pratique délicate en santé publique (notamment du point de vue des libertés individuelles) ». Il dénonce le flou « défiant les préconisations de la CNIL et du RGPD » qui entoure l'usage des données personnelles médicales, mais aussi la constitution des brigades sanitaires, rebaptisées par Olivier Véran « d'anges gardiens », par des non-médecins insuffisamment formés à l'investigation épidémiologique. Le directeur de l'Espace éthique Ile-de-France lit même dans ce projet le développement d'une forme de police sanitaire, et regrette que des principes fondamentaux (par exemple le consentement) soient sacrifiés, qui plus est sans discussion démocratique. 

Du côté des syndicats, l'UFML syndicat s'emporte contre un système mal calibré pour gagner la course sur un virus très contagieux, et qui fait fi du consentement du patient et du secret médical. Le syndicat de la médecine générale vilipende un « système de contrôle sanitaire des populations par l'intermédiaire des soignants ». À front renversé, le syndicat national des gynécologues obstétriciens de France (SYNGOF) soutient le dispositif tout en demandant le rétablissement du consentement du patient et un engagement de confidentialité de la part du personnel de l’assurance maladie et des ARS. 

Le projet de loi sur l'état d'urgence sanitaire devra, après son vote par le Sénat, être examiné à l'Assemblée nationale en vue d'une adoption définitive avant la fin de semaine.


Source : lequotidiendumedecin.fr