« TROP D’ALERTE tue l’alerte ». La formule d’Anne Perrin, présidente de la section rayonnements non-ionisants de la société française de radioprotection (SFRP) illustre bien une certaine lassitude de la communauté scientifique vis-à-vis du traitement politico-médiatique de l’alerte sanitaire ou environnementale. « Dans les domaines controversés, on voit que c’est devenu un mode de communication qui permet d’attirer l’attention sur divers sujets qui ne sont pas forcément scientifiques pour des raisons diverses. Au final, on arrive à un tas de mélanges », considère cette spécialiste en biologie moléculaire et cellulaire. Si une alerte peut être le fondement d’une recherche, « ce qui est plus ambigu, c’est quand l’alerte en fin de compte se substitue à l’expertise et à l’évaluation du risque », ajoute-t-elle. Chef du service médecine nucléaire à la Pitié-Salpêtrière et membre de l’Académie nationale de médecine, le Pr André Aurengo est du même avis : « Il y a depuis des années une stratégie de disqualification de l’expertise institutionnelle avec une attaque régulière des valeurs de la science traditionnelle ». Interrogés par le « Quotidien », nombreux sont les chercheurs qui doutent des apports de la proposition écologiste relative à« l’indépendance de l’expertise en matière de santé et d’environnement et à la protection des lanceurs d’alerte » (voir encadré) adoptée en première lecture le 21 novembre dernier au Sénat et qui va être examinée mercredi en commission des Affaires sociales de l’Assemblée nationale avant un débat en séance publique prévu le 31 janvier.
Culture du scandale sanitaire.
« L’objet de ce texte c’est de garantir que l’expertise publique va être irréprochable en suivant des critères acceptés par tous. Et d’autre part, que l’alerte soit correctement traitée et que les lanceurs d’alerte soient mieux protégés », résume Jean-Louis Roumegas, député écologiste (Hérault) et rapporteur du texte. « Malgré les progrès qui ont été faits au sein des agences il y a encore des alertes qui passent entre les mailles du filet et des scandales sanitaires qui continuent d’apparaître et qui n’ont pas toujours été correctement traités », estime le député qui reconnaît les dérives du système actuel de la diffusion de l’alerte fondé essentiellement sur la polémique médiatique. « Aujourd’hui comme il n’y a pas de circuit officiel de l’alerte et de traitement de l’alerte par l’expertise. On est dans une culture du scandale sanitaire. En général, les lanceurs d’alerte n’ont pas d’autres choix. Là, évidemment il ne s’agit pas d’empêcher les personnes de communiquer, mais en revanche on entend passer à un traitement organisé de l’alerte dans un cadre rationalisé. Je pense que cela va sans doute recrédibiliser les différents organismes concernés et permettre d’éviter le recours systématiques à ces scandales où l’on ne sait plus qui a raison », déclare le rapporteur de la proposition de loi.
Système complexifié.
Tandis que les parlementaires envisagent notamment de créer une « commission nationale de déontologie et des alertes en matière de santé et d’environnement », le Pr Jean-François Bach y voit une nouvelle couche aux mille-feuilles du dispositif français de sécurité et veille sanitaire. « Il faut au contraire essayer de ne pas trop mettre d’éléments intermédiaires dans un système déjà bien assez complexe. Si vous rajoutez des commissions qui ne sont pas intrinsèquement compétentes vous allez y mettre un niveau de complication supplémentaire avec éventuellement des discussions politiques sur des faux sujets », indique ce membre de l’Académie nationale de médecine, par ailleurs secrétaire perpétuel à l’Académie des sciences. En novembre dernier, l’Académie de médecine s’est vivement inquiétée de cette initiative parlementaire qui « risquerait de brouiller l’information de nos concitoyens et de les détourner des véritables questions de santé publique ».
Stratégie de communication.
Pour Marcel Kuntz, biologiste et directeur de recherche CNRS à l’université Joseph Fournier (Grenoble), cette proposition de loi s’inscrit d’abord dans une « stratégie de communication » politique. « À la base de ce texte, il y a une rhétorique qui dit "il y a des gens qui ont besoin d’être protégés, il y a des lanceurs d’alerte qui ont été inquiétés parce qu’ils ont lancé une alerte". Dans le domaine des OGM, je peux assurer qu’il n’y a personne qui n’ait été inquiétée pour une opinion opposée aux OGM. Bien au contraire, ce sont des gens qui ont médias ouverts. Il y a surtout des gens qui peuvent raconter des choses fausses et sont alors contredites. Mais ça, c’est normal en science », évoque-t-il. Directeur de recherche honoraire à l’Institut national de recherche agronomique (INRA), Louis-Marie Houdebine considère que si le lanceur d’alerte doit être protégé, « il faut aussi se protéger des lanceurs d’alerte ». car « n’importe qui à l’heure qu’il est peut s’autoproclamer lanceur d’alerte et être automatiquement repris par les médias ». Pour Anne Perrin, il faudrait enfin une « commission qui se penche sur le caractère éthique de l’information » autour des lanceurs alerte. « Le lanceur est d’alerte est souvent présenté dans la presse comme une sorte de héros. Mais les héros de ce type, dans la réalité, il n’y en a pas autant que ça », ajoute-t-elle.
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