Pr Claude HURIET*
LES CRISES SANITAIRES des années 90 ont conduit le Parlement et les pouvoirs publics à renforcer les dispositions censées renforcer la sécurité sanitaire, par la création des agences et par l’information du public, visant à favoriser une prise de conscience des risques inhérents aux progrès de la médecine…
Loin d’avoir obtenu les résultats espérés, les toutes dernières années ont vu se succéder des « drames » dont l’origine et l’ampleur sont toutefois sans commune mesure avec le drame planétaire du sang contaminé.
Ces événements – le Médiator et la pilule de troisième génération pour ne parler que des plus récents – ont suscité des réactions plus passionnelles que rationnelles, entraînant des conséquences désastreuses dont on n’a pas fini de mesurer les effets, au premier chef, la perte de confiance des citoyens dans la médecine, dans le médicament, et dans l’État.
Pour répondre aux attaques dont ils sont les cibles, chacun cherche à dégager sa responsabilité en chargeant « l’autre ». Faute d’avoir anticipé, le décideur politique réagit dans la précipitation, et condamne les structures et les hommes afin de se dédouaner. Le sort réservé à l’AFSSAPS en donne le triste exemple. La nouvelle agence mise en place, suite au sabordage de l’AFSSAPS, essuie déjà des attaques violentes, et n’a pas, à ce jour, acquis la confiance des usagers ; mais est-ce possible ? En matière de santé, toute décision précipitée risque d’être contre-productive. Ainsi, la suspension de la pilule contraceptive Diane 35 entraîne, dès maintenant, de la part des jeunes femmes, un abandon de « la pilule contraceptive » au profit de… « la pilule abortive » !
Concernant le médicament, ce qui inquiète, c’est que « le jeu », engagé depuis quelques années, s’apparente « au jeu de qui perd gagne » Il se joue à quatre : le citoyen-consommateur, le médecin, l’industrie des produits de santé et l’État, et quelques joueurs de circonstances : le juge et les médias.
Le jeu se déploie autour du citoyen-consommateur. Il s’enferme dans une contradiction qui est pour beaucoup dans les conflits actuels. De mieux en mieux informé, croit-il, en matière de santé, à l’affût des innovations dont il veut à tout prix bénéficier, il en exige l’efficacité, l’innocuité et la sécurité. Il veut « le bénéfice sans le risque ». Ni les informations que lui donne le médecin, ni la lecture de la liste impressionnante des effets secondaires, ne retiennent son attention. Si un accident survient, le citoyen-consommateur se considère comme une victime, cherche un responsable, et exige que le préjudice qu’il subit soit indemnisé.
Obligation de résultat.
Le médecin est considéré comme ayant « une obligation de résultat », il est garant de la sécurité du patient. Il doit avoir des connaissances au moins égales à celles auxquelles le citoyen accède sur Internet. L’application systématique, extensive… et coûteuse, du principe de précaution, ne suffira pas à le préserver en cas de complications.
L’État doit concilier la protection du citoyen, la maîtrise des dépenses de santé, l’optimisation et l’efficacité du système. Il agit à travers les agences de sécurité sanitaire et par la loi. La loi relative aux droits des malades du 4 mars 2002 définit des droits mais aussi des devoirs, et affirme la responsabilité du malade lui-même, dispositions trop souvent méconnues. L’État est aussi le garant d’une juste indemnisation, au titre de la solidarité nationale, des préjudices subis par l’usager en cas de défaillance du système de santé. C’est là qu’intervient l’ONIAM, injustement attaqué ces derniers temps. La victime est indemnisée pour des préjudices « d’une certaine gravité », évaluée par un collège d’expert. Si cette procédure amiable ne satisfait par la victime, elle a la possibilité de saisir le juge.
Les « joueurs occasionnels » interviennent fréquemment dans le vaste champ de la sécurité sanitaire. Un exemple de réaction aberrante, puisé dans le courrier de lecteurs d’un quotidien régional, mérite d’être cité : « Mon médecin m’a prescrit du Médiator et je m’en portais bien. Je ne me plains de rien à ce jour. Ayant appris que le Médiator avait provoqué des accidents, j’ai décidé de créer une association des victimes du médiator et de saisir la justice. » Sans commentaire, si ce n’est pour évoquer le rôle de certains avocats qui, inspirés sans doute par l’exemple américain, sensibilisent leurs clients aux risques qu’ils courent inconsciemment, suscitant une angoisse qui porte préjudice, ce préjudice d’angoisse pouvant être retenu par le juge et indemnisé !
Experts : le risque.
Le citoyen, le médecin, l’État, le laboratoire pharmaceutique… à côté de ces quatre acteurs principaux, un rôle croissant est attribué aux experts, dont les avis déterminent la décision. Si la victime est insatisfaite, la mise en cause de l’expert, de sa compétence, de son indépendance, relayée par les médias, relance la question récurrente des conflits d’intérêts. Lors des travaux du groupe que j’ai présidé lors des Assises du médicament, au sujet des exigences concernant les experts, a été évoqué le risque de ne plus trouver d’experts ! Vu les attaques récentes concernant les décisions d’indemnisation de l’ONIAM, dont les experts ont été vilipendés, ce risque ne peut être exclu.
Au jeu de « qui perd gagne », c’est celui qui perd le plus qui gagne la partie. En matière de sécurité sanitaire, le perdant-gagnant est à n’en pas douter le citoyen.
Il est urgent de mettre un terme à l’escalade des revendications, à la surenchère des exigences réglementaires excessives et paralysantes, et de revenir à une juste appréciation des responsabilités de chacun. Il en va de l’avenir d’un système qui, malgré ses imperfections, est reconnu par les agences internationales, comme un bon système que beaucoup nous envient.
* Sénateur honoraire, auteur de la loi relative au renforcement de la veille sanitaire et du contrôle de la sécurité sanitaire du 1er juillet 1998
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