PAR LE Dr PIERRE FOURNIE ET LE Pr FRANÇOIS MALECAZE*
LA DIFFICULTE DIAGNOSTIQUE dans le kératocône réside dans les formes frustes, suspectes ou débutantes. Le dépistage concerne alors des patients qui commencent à se plaindre de symptômes visuels ou, le plus souvent, sur des examens systématiques dans le cadre, notamment, d’un bilan de chirurgie réfractive. L’examen cornéen n’est que peu contributif. La visibilité anormale des nerfs cornéens n’est ni systématique, ni pathognomonique. Un astigmatisme progressif chez un patient jeune est, en revanche, plus évocateur. Il peut s’agir d’une augmentation de la puissance du cylindre ou d’une fluctuation de l’axe. Un jeune patient qui change « fréquemment » de lunettes est ainsi suspect. Un jeune patient également qui ne « remonte » pas à 10/10e, à plus forte raison s’il existe une notion de perte de lignes d’acuité toujours modérée à ce stade et non expliquée, doit bénéficier d’explorations complémentaires cornéennes.
La topographie cornéenne est l’élément clé du diagnostic. La face antérieure sera au mieux explorée par la topographie spéculaire. Un aspect de bombement inférieur, de sablier asymétrique et une angulation des deux hémi-méridiens (skewed radial axes, SRAX › 21°) sont classiquement retrouvés dans les formes plus évoluées. Ces aspects, même minimes, seront évocateurs de kératocône. Une asymétrie entre les deux yeux est également suspecte avec perte de l’énantiomorphisme (symétrie oeil droit-oeil gauche en miroir). La kératométrie maximale dans ces formes mineures est souvent inférieure à 47 dioptries. Il est important dans ces cas suspects d’éliminer le classique piège du « corneal warpage » du porteur de lentille de contact. L’examen topographique sera au mieux réalisé 48 heures après le retrait d’une lentille souple et 2 semaines après le retrait d’une lentille rigide. Cependant, toutes les topographies atypiques ne sont pas des kératocônes. Il est également utile de coupler la topographie spéculaire à un examen topographique d’élévation qui explore au mieux la face postérieure de la cornée. Ce d’autant plus que l’épithélium peut jouer un rôle de « masque » dans les ectasies débutantes avec une épaisseur épithéliale fine dans les zones élevées et une épaisseur importante dans les zones adjacentes qui ont tendance à « lisser » la surface cornéenne. L’élévation postérieure peut dans ce cas contribuer au diagnostic en retrouvant une zone d’élévation classiquement « en atoll ». Les topographies d’élévation fournissent en plus une carte pachymétrique optique permettant d’apprécier l’épaisseur cornéenne minimale et sa localisation. Une élévation postérieure maximale et une pachymétrie minimale de même localisation, à plus forte raison si cette localisation est excentrée, seront évocatrices d’un kératocône. Les critères topographiques quantitatifs de diagnostic du kératocône, bien que parfois retrouvés dans ces formes, ne sont ni sensibles, ni spécifiques et seront à confronter aux autres éléments. L’aberrométrie, en revanche, peut être utile en retrouvant un excès d’aberrations comatiques plus précoces que l’apparition d’aberrations sphériques négatives. Au fur et à mesure de l’évolution du kératocône, toutes les aberrations de haut degré (HOA) pourront ensuite se voir avec une symptomatologie spécifique : images dédoublées en cas d’astigmatisme régulier ou irrégulier, halos en cas de myopisation et d’hyperprolacité (aberrations sphériques négatives), étirements des images en cas de décentrement des foyers optiques cornéen et cristallinien (coma), irisation en cas d’irrégularité du contour de l’ectasie (trefoil et tetrafoil). La surface des dioptres augmentant avec la dilatation pupillaire, les premiers symptômes, relatifs à un excès d’HOA, sont donc essentiellement révélés en situation mésopique. Une mesure des propriétés viscoélastiques de la cornée (Ocular Response Analyzer, ORA) n’est qu’une aide relative au diagnostic. Il n’existe pas de seuil diagnostique.
Le facteur temps.
Enfin, il est toujours utile de rechercher les antécédents familiaux du patient. Un apparenté porteur d’un kératocône confortera le diagnostic, ainsi que des éléments environnementaux tels qu’un terrain allergique ou un frottement oculaire « excessif ». En cas de suspicion de kératocône, le facteur temps est capital à prendre en compte. Une surveillance avec répétition des examens peut être le meilleur critère diagnostique si des signes de suspicion deviennent des critères de certitude au cours du suivi.
Par opposition, les formes de kératocône avéré ne posent pas de problème de diagnostic. Leur dépistage est souvent le fait d’une consultation d’un patient motivé par des symptômes visuels en rapport avec les HOA. L’aspect clinique d’abord est typique avec le classique anneau de Fleisher, les stries de Vogt, l’ectasie et l’amincissement visibles à des stades avancés. Les topographies cornéennes retrouvent également les critères classiques de bombement cornéen et d’amincissement.
Les éléments clés du dépistage du kératocône, surtout pour les formes frustes ou débutantes, reposent sur un faisceau d’arguments qu’il faut toujours savoir réévaluer dans le temps en cas de doute.
*Centre de référence national du kératocône, CHU de Toulouse.
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