La loi fin de vie vue par le corps médical

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Publié le 05/02/2021
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Si les médecins se sont majoritairement approprié la loi Leonetti-Claeys ces cinq dernières années, la fin de vie reste un sujet délicat à aborder en consultation. Et des situations extrêmes continuent à échapper aux cadres.
Un consensus massif pour réclamer l’amélioration de la prise en charge de la fin de vie à domicile

Un consensus massif pour réclamer l’amélioration de la prise en charge de la fin de vie à domicile
Crédit photo : Phanie

Plus de 90 % des Français déclarent que leur médecin traitant ne les a pas informés de leurs droits en fin de vie ou des dispositifs existants, met en lumière le sondage du Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie (CNSPFV). La mort reste un tabou, disent, avec leurs mots, les généralistes contactés par le « Quotidien ». « Les gens n'aiment pas en parler. Comme s'ils avaient peur que ça leur porte malheur », observe la Dr Corinne le Sauder (FMF). « Même à l'occasion de l'affaire Vincent Lambert : ils pouvaient réagir à ce cas particulier mais ils ne parlaient pas d'eux », ajoute la généraliste installée dans le Loiret.

« Les malades posent des questions concrètes : quels sont leurs symptômes, comment évolue la douleur, comment rester à domicile, que dire à leur entourage... Ils ne m'ont jamais interrogé sur les principes de la loi. Et très rares sont ceux qui m'ont sollicité pour rédiger leurs directives anticipées », témoigne le Dr Jacques Battistoni (MG France). Ces directives anticipées (DA) sont pourtant un des droits que la loi Leonetti-Claeys renforce, en les rendant contraignantes pour le médecin. 

« Je ne leur tends pas la perche : avec une patientèle âgée, mes consultations sont déjà longues. Et il n'existe pas de consultation dédiée à ce sujet dans nos missions », assume de son côté le Dr Luc Duquesnel (CSFM). Mais il reconnaît que des réflexes sont apparus : « nous demandons systématiquement s'il y a des DA quand on prépare un plan personnalisé de santé pour un patient à risque de perte d'autonomie ou, dans le cadre de la régulation des urgences, lorsqu'on reçoit un appel d'un Ehpad »

Les généralistes soulignent la complexité de la rédaction des DA, malgré les guides du ministère de la Santé ou de la Haute Autorité de santé (HAS). Le risque est alors d'en faire une formalité administrative ou une obligation, à rebours de l'esprit de la loi. « Il n'y a de sens à ce qu'elles soient contraignantes qu'à condition d'être le fruit d'un cheminement de la personne malade , d'être fondées, analysées, confirmées. Ce qui suppose beaucoup de temps, d'explication et de rigueur », commente le Pr Régis Aubry, spécialiste des soins palliatifs et membre du Comité consultatif national d'éthique (CCNE). 

Il est certes illusoire d'attendre qu'une loi, à elle seule, dénoue la parole sur des sujets que la société ne veut pas voir. « Mais là, on ne s'est pas donné les moyens de son applicabilité − qu'aurait été, par exemple, la reconnaissance d'un acte médical - et l'on ne voit guère d'avancées concrètes », considère le Pr Aubry.  

Une sédation diversement appliquée 

Qu'en est-il de l'autre droit qu'ouvre la loi Leonetti-Claeys, celui de demander une sédation profonde et continue maintenue jusqu'au décès (SPCMD) ? Là aussi, les choses prennent du temps pour s'inscrire dans les pratiques. Il a fallu attendre le 10 février 2020 pour que la HAS publie des recommandations de bonne pratique sur l’antalgie des douleurs rebelles et sur les pratiques sédatives chez l’adulte en situation palliative.

Difficile d'avoir à ce jour une évaluation des pratiques. « Au sein des soins palliatifs, nous avons l'impression que la SPCMD est bien comprise, mais c'est sûrement plus complexe à l'extérieur. La loi donne l'impression qu'elle est une pratique détachée mais elle s'inscrit dans un continuum de stratégies sédatives », commente la Dr Claire Fourcade, présidente de la Société française d'accompagement et de soins palliatifs (SFAP). Même au sein des équipes spécialisées, les pratiques sont très différentes selon les territoires. « Les équipes du centre et de l'ouest parisien sont plus sollicitées sur ces questions, que celles qui travaillent en banlieue ; moi-même, dans un territoire rural, nous n'avons jamais de demande car les patients ne connaissent pas ces droits-là », poursuit-elle. 

Des situations extrêmes à éclairer  

Au-delà de ces constats, certaines situations exceptionnelles échappent à la loi Leonetti-Claeys : les personnes en état végétatif chronique, la néonatologie, voire des cas de survie extrêmement complexes : « l'arrêt de ce qui maintient en vie une personne peut alors s'accompagner d'une longue période avant le décès, qui n'est pas sans poser question », explicite le Pr Aubry. L'avis 63 du CCNE en 2000 évoquait une « exception d'euthanasie ». Le terme, mal compris, est abandonné au profit des « situations exceptionnelles ». « Il est possible que le CCNE réinvestisse ces questions où la frontière entre laisser et faire mourir est assez mince ; ce sont des situations où l'accélération de la survenue de la mort pourrait être plus éthique que laisser advenir la mort ». 

Cette évolution doit-elle se traduire par une évolution de la loi ? Depuis 2017, plusieurs parlementaires ont fait des propositions : la légalisation de « l'assistance médicalisée active à mourir » selon les termes du Pr Jean-Louis Touraine (député LREM), l'euthanasie et le suicide assisté par Caroline Fiat (députée PC) ou encore l'« aide active à mourir » par Marine Brenier (députée LR). 

« C'est difficile de légiférer à partir de cas particuliers ; les autres patients pourraient se demander : ne suis-je pas trop encombrant ? », craint la Dr Fourcade considérant que la loi actuelle invite les équipes à la créativité. L'Ordre des médecins est sur la même ligne : « nous défendons le respect de la vie, au nom de l'article 38  (1) de notre Code de déontologie », explique la Dr Anne-Marie Trarieux, présidente de la section éthique et déontologie du Cnom auprès du « Quotidien ». Au contraire le professeur d'éthique Emmanuel Hirsch juge que « les équivoques, les imprécisions » de la loi actuelle imposent sa révision. « La pandémie a montré que nous avons fait le choix de la vie, que nous n'avons abandonné personne. Nous avons la maturité nécessaire pour aborder la fin de vie à nouveaux frais ». Le Pr Aubry est plus nuancé : « la loi ne peut être la seule réponse. Il faut développer la recherche », estime le coprésident de la plateforme nationale pour la recherche sur la fin de vie. Ne serait-ce que pour comprendre ce que peut signifier une demande d'euthanasie, ou pour déterminer si une SPCMD calme une souffrance ou empêche son expression, illustre-t-il. 

Un plan sur les soins palliatifs et le domicile très attendu

Enfin, le consensus est massif pour réclamer l'amélioration de la prise en charge de la fin de vie à domicile, pourtant prévue dans la loi, et le développement des soins palliatifs. Juste avant que n'éclate la pandémie, la mise en examen du Dr Méheut-Ferron pour administration d'Hypnovel (midazolam) ayant entraîné la mort de personnes vulnérables, sans intention de la donner (cinq personnes âgées suivies à domicile étaient décédées), avait jeté un coup de projecteur sur la question de la collégialité au domicile, et sur l'accès aux médicaments. 

Lors de la publication de ses recommandations, la HAS avait plaidé pour un accès facilité en ville du midazolam (aujourd'hui sous le régime de la rétrocession), Agnès Buzyn y était favorable. « Il est anormal qu'il n'y ait pas une équité dans l'accès aux thérapeutiques entre l'hôpital et le domicile ; qu'une fin de vie à domicile ne permette pas les mêmes soins qu'à l'hôpital », commente le Pr Pierre-Louis Druais, responsable à la HAS et co-auteur de ces recommandations. Mais les décrets ne sont toujours pas parus, d'autant moins que le premier confinement a été marqué par une rupture d'approvisionnement de cette benzodiazépine. « C'est un point à corriger », considère le Pr Druais. Et les médecins attendent beaucoup du prochain plan de développement des soins palliatifs, imminent : reconnaissance des professionnels du domicile, collaboration dans les prises en charge, structuration de la collégialité des décisions et développement de la formation.

(1) « Le médecin doit accompagner le mourant jusqu'à ses derniers moments, assurer par des soins et mesures appropriés la qualité d'une vie qui prend fin, sauvegarder la dignité du malade et réconforter son entourage. Il n'a pas le droit de provoquer délibérément la mort ».

Coline Garré

Source : Le Quotidien du médecin