ILS S’APPELLENT les « transmetteurs », du nom de l’association* créée en décembre 2006 par le Dr Xavier Emmanuelli, président fondateur du SAMU social, le Pr Pierre Carli, directeur du SAMU de Paris et le Dr Suzanne Tartière, avec la bénédiction du conseil de Paris de l’Ordre des médecins. À la différence, du corps de réserve de l’EPRUS (Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires), qui limite le recrutement à l’âge de la retraite + 3 ans, ces médecins retraités ne connaissent pas la barrière de l’âge, deux conditions étant seulement posées : être en bonne santé et inscrit au tableau de l’Ordre. Ces réservistes reçoivent des formations régulières en médecine de catastrophe et suivent de stages de recyclage au sein de services d’urgence, pour être opérationnels quand survient une crise sanitaire majeure, telle la canicule ou la pandémie grippale.
En l’occurrence, c’est pour les grands froids que le Dr Emmanuelli a pris la décision de les mobiliser. Le rappel téléphonique a été battu durant le week-end des 3-4 janvier. Et dès le lundi après-midi, ils étaient 18 à répondre présent à l’hôpital Necker, pour une formation expresse sur le fonctionnement de la maraude nocturne et les pathologies de l’hypothermie. « À 20 heures, nous nous sommes retrouvés au siège du SAMU social, à Ivry (Val-de-Marne), pour un ultime briefing, raconte le Dr Françoise Courtois, 68 ans, ex-directrice de sites de transfusion à l’AP-HP. Et une demi-heure plus tard, six d’entre nous embarquaient dans des camions, chacun en surplus de l’équipe du SAMU social, composée d’une infirmière, la chef de bord, d’un chauffeur et d’un travailleur social. »
Six baptêmes de maraude nocturne pour ces retraités. Jusqu’à deux heures du matin, le Dr Courtois a sillonné les rues des 10 e et 9 e arrondissements de la capitale, s’arrêtant à une quinzaine de reprises, à chaque fois sur des sites déjà repérés pour « abriter » des groupes de deux, trois, quatre personnes qui passent la nuit dehors. « Plusieurs cas se sont présentés, raconte l’hémobiologiste, selon la réponse à la question princeps que nous sommes venus poser : Voulez-vous que nous vous conduisions vers un centre où vous pourrez dormir au chaud ? Les cas les plus faciles sont évidemment ceux qui acceptent sans hésitation notre proposition. Les plus compliqués concernent ceux qui hésitent. Avec eux, il faut argumenter patiemment. Nous évoquons leur état de santé, le fait qu’ils sont grippés, ou qu’ils ont une bronchite. Et par liaison téléphonique avec le fichier du SAMU social, une extraordinaire base de données riche de plus de 300 000 fiches actualisées en permanence, nous avons accès aux antécédents de la plupart des personnes. Notre mission, c’est de tout faire par emporter leur conviction. Et puis il y a les cas les plus nombreux, environ les deux tiers de ceux que nous avons rencontrés, les personnes qui restent complètement sourdes à nos arguments. Je pense à ce type qui avait été victime d’une fracture récemment traitée. Il était allongé sur une bouche d’air chaud, avec une couverture. Le compagnon qui lui tenait compagnie nous a assuré qu’il nous alerterait en cas de nécessité. »
Pas d’examen médical possible.
Face à tous ces réfractaires, les transmetteurs vérifient qu’ils sont chauds, suffisamment couverts et qu’ils ne présentent aucun signe inquiétant. « Nous leur servons des boissons chaudes, avec si besoin des couvertures et des vêtements pour compléter leur couchage. Et puis nous parlons. Beaucoup parmi eux ont besoin d’écoute, comme cette dame âgée, qui avait une logorrhée fantastique et ne s’arrêtait pas de raconter sa vie. »
Les transmetteurs observent, échangent, argumentent, évaluent. Mais ils ne procèdent pas à un examen médical des personnes rencontrées. « Comment voulez-vous examiner pratiquement une personne allongée dans la rue par grand froid et que vous ne pouvez évidemment pas déshabiller, demande le Dr Jean Meynard, 78 ans, qui multiplie les missions humanitaires au bout du monde depuis qu’il a pris sa retraite et qui a rejoint les transmetteurs dès leur création. Nous évaluons l’état physique général, l’état psychique et nous veillons à ce que les personnes n’agissent pas d’une manière suicidaire, en niant des risques majeurs et apparents. C’est vrai qu’un refus de dormir à l’intérieur quand le thermomètre tombe à moins 8 degrés peut mettre la vie en danger. Alors, nous repassons toutes les deux heures. Et si c’est nécessaire, nous avons la ressource d’appeler le 15. »
Évidemment, on n’échappe pas à la question du recours éventuel à la contrainte, en présence d’une personne dont la lucidité est altérée. « C’est toute la question de l’assistance à personne en danger, commente le Dr Courtois, et nous sommes partagés entre nous sur la conduite à tenir. Mais nous ne nous sommes pas trouvés face à ces cas-limite. »« L’essentiel, c’est de ne pas perdre le contact avec la personne à la rue, ajoute le Dr Meynard. Coûte que coûte, il faut maintenir le lien social qui représente sa seule chance pour s’en sortir. »
* www.lestransmetteurs.fr, tél. 06.60.81.24.19.
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