DEUX CHIFFRES et un graphique pour décrire une funeste réalité : travailler dans les murs d’une prison peut se révéler mortifère. Alors que le taux de suicide de la population générale baisse depuis 1992, jusqu’à passer sous la barre de 20 pour 100 000, celui des personnels pénitentiaires suit la tendance inverse. Il subit depuis le début des années 2000 une forte augmentation, et atteint aujourd’hui les 40 pour 100 000. C’est un écart de 31 % qui existe désormais entre les salariés de l’AP et l’ensemble de Français, estiment Gaëlle Encrenaz, Alain Miras, et Emmanuel Lagarde de l’INSERM, dans une étude commandée par l’Administration elle-même dès l’été 2010, dans le cadre de sa politique générale de prévention du suicide.
Pour cerner les multiples raisons de ces drames humains, les chercheurs ont procédé à l’autopsie psychologique de 22 salariés suicidés, sur un total de 32 cas répertoriés entre 2008 et 2010. « Pas de profil unique », conclut l’étude, mais des facteurs à chercher dans la vie affective, professionnelle et mentale des personnes. « Tous les agents ayant mis fin à leurs jours présentaient les signes d’une détresse psychologique » : 18 cas sur 19 sont imputables à un problème de santé mentale, suivi médicalement pour la grande majorité. Pour 17 cas sur 21, le décès pouvait être attribué à la sphère affective et conjugale, et pour 13, à la vie professionnelle.
Les suicides ne sont pas directement liés le travail au sein de l’AP - de nombreux facteurs sont impliqués -, mais les entretiens qualitatifs avec des surveillants, directeurs, syndicats, personnel médical, et responsables des relations humaines ont révélé la dure réalité du métier de surveillant. Les candidats semblent avoir des parcours de vie difficile et choisissent cette voie pour la stabilité de l’emploi. Le manque de personnel peut conduire au recrutement d’individus fragiles. Ils sont alors confrontés à des conditions éprouvantes : horaires décalés, souvent supplémentaires, missions sécuritaires, bizutage, violences physiques et verbales, diminution du lien humain sous l’effet de l’informatisation des établissements, problèmes d’alcool, stress lié à l’environnement (bruit, odeur, lumière, confinement).
Les chercheurs insistent sur la nécessité de développer un dépistage de la souffrance psychologique. Ils formulent plusieurs recommandations, à commencer par le renforcement du lien social professionnel et la valorisation du métier de surveillant, et préconisent le suivi des surveillants. Avec en particulier, le « partage du secret professionnel (médecins, psychologues et services sociaux) pour les personnes identifiées comme présentant un risque suicidaire ». L’une des mesures qui mécontentent les organisations syndicales.
Comme des robots.
« Les recommandations se limitent à l’accompagnement de la personne en souffrance. Elles ne visent pas à diminuer la souffrance et à en identifier les raisons », confie au « Quotidien » Céline Verzeletti, secrétaire générale de la CGT pénitentiaire. « Nous souhaiterions une étude approfondie sur les conditions de travail qui aggravent l’état de santé, mais c’est difficile pour l’AP de reconnaître que son organisation est défaillante », poursuit-elle, en rappelant que 6 salariés se sont donné la mort depuis janvier 2011.
« Nos conditions de travail sont désastreuses », tempête Bertrand Arnoud, délégué CGT et membre du personnel du centre pénitentiaire de Roanne. « À cause du non-remplacement de postes, nos tâches ont considérablement augmenté : on nous demande d’être au fait de l’état de santé des détenus, mais l’informatisation rogne sur le contact humain, nous sommes insultés, menacés, et sanctionnés financièrement pour le moindre faux pas, alors que nos salaires n’évoluent pas les 6 premières années de nos carrières, ce qui contraint les jeunes surveillants à faire des heures supplémentaires », explique-t-il. « Avec un surveillant pour 80 ou 100 détenus on n’a pas le temps de faire le travail correctement », déplore, pour sa part, David Torres, surveillant à Mont-de-Marsan. « Nous sommes considérés comme des robots qui envoient les détenus en mouvement, or nous avons besoin d’aide : 10 prisonniers se sont suicidés dans notre centre pénitentiaire, nous sommes stressés et chaque tour, nous nous demandons si ça ne va pas nous tomber dessus ».
Mais d’aide, les surveillants déclarent ne pas en bénéficier. « Nous avons une permanence d’un psychologue une fois par semaine pour 250 salariés, dont 200 surveillants », précise David Torres. Bertrand Arnoud se fait plus radical : « Nous n’avons rien sur la prévention du suicide, bien qu’un psychologue soit présent trois fois par semaine. Cela permet de vider le sac, mais ne résout pas les problèmes à long terme ».
Et le partage du secret professionnel ne convainc pas : « Nous ne devons pas être soumis aux mêmes protocoles que les détenus », estime Céline Verzeletti. « Tant que les dossiers seront sous tutelle de l’AP, je n’aurais pas confiance », tranche Bertrand Arnoud.
Les recommandations du rapport devraient être analysées le 21 juin par le groupe de travail national sur la prévention du suicide, afin de soumettre au directeur de l’AP des pistes pour l’automne prochain. Un plan d’embauche devrait permettre l’arrivée, d’ici 2012, de 15 psychologues supplémentaires, (portant leur effectif à 62) et de 21 assistants sociaux.
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