Délai de prescription en cas d’agression sexuelle

Les défenseurs des victimes s’émeuvent du recul de l’Assemblée

Publié le 01/12/2014
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Crédit photo : PHANIE

Aujourd’hui, la victime d’un viol, subi dans son enfance, a jusqu’à 20 ans après sa majorité (soit jusqu’à ses 38 ans) pour porter plainte, et jusqu’à 10 ans après sa majorité, s’il s’agit d’autres agressions sexuelles. Suffisant ? Non, répond le Dr Violaine Guérin, endocrinologue et gynécologue, présidente de l’association « Stop aux violences sexuelles ». Ces délais ne tiennent pas compte du phénomène d’amnésie traumatique : violence du viol, mémorisation déficiente, mécanismes de déconnexion, alcool ou psychotrope, refoulement, non conscientisation due à un unique cadre de référence... Les victimes prennent parfois conscience du crime qu’ils ont subi tardivement, autour de la quarantaine. « Nous demandons l’imprescriptibilité pour ces crimes », explique le Dr Guérin. Au-delà de la reconnaissance du crime sexuel, cela permettra de mettre en obligation de soins les auteurs, souvent récidivistes, et de diminuer le nombre des infractions - les victimes devenant parfois les bourreaux. « Un viol est un crime contre l’humanité (lui, imprescriptible, ndlr). La Suisse et la Grande-Bretagne l’ont compris », ajoute la présidente de « Stop aux violences sexuelles ».

Le sénat favorable à l’allongement du délai

En février 2014, les sénatrices UDI Muguette Dini et Chantal Jouanno déposent au Sénat une proposition de loi faisant démarrer le délai de prescription « à partir du jour où l’infraction apparaît à la victime dans des conditions lui permettant d’exercer l’action publique ». Cette première mouture, fondée sur un parallélisme avec le régime de prescription appliqué aux abus de biens sociaux et de confiance au nom de la dissimulation et de la clandestinité des crimes, ne convainc pas les sénateurs. Sans pour autant les laisser indifférents. Le Sénat vote le 28 mai la proposition de loi revue par le rapporteur socialiste Philippe Kaltenbach, qui allonge de 10 ans les délais de prescriptions et doit éviter l’inconstitutionnalité qui menaçait la PPL initiale. Lors des débats, Laurence Rossignol, secrétaire d’État, « s’en remet à la sagesse du Sénat ».

Réticences à l’Assemblée nationale

L’examen de la PPL en séance publique à l’Assemblée nationale, jeudi 27 novembre, est beaucoup plus tumultueux. Une motion de rejet préalable, déposée par les socialistes, est annulée à une voix près. La Garde des Sceaux Christiane Taubira se prononce contre la loi. « Il est important, pour les victimes (...) que le droit soit solide. Or la PPL adoptée par le Sénat, pose problème », déclare-t-elle. Allonger le délai de prescription amoindrirait l’efficacité de l’action publique. « Plus le temps passe, plus le risque de dépérissement des preuves est élevé, plus les témoignages pouvant corroborer les déclarations de la victime risquent d’être atténués et plus les constatations sur le corps de la victime sont problématiques » argumente la ministre. Par ailleurs, la PPL pourrait être censurée si une question prioritaire de constitutionnalité est posée, ajoute-t-elle. Et de proposer une modification du droit de la prescription traitant de l’ensemble des crimes occultes et dissimulés.

« Par posture politique, les socialistes ne veulent pas voter une loi issue de l’opposition ! » dénonce la sénatrice Muguette Dini, en démontant un à un les arguments de Christiane Taubira. La dégradation des preuves ? « Quand vous portez plainte à 38 ans, ce n’est pas un ou deux ans qui font la différence ». « Il faut mieux former les experts » ajoute le Dr Guérin. Un procès « parole contre parole » ? « Le prédateur a souvent d’autres victimes : c’est plusieurs paroles contre la sienne ». Le risque d’inconstitutionnalité ? « Prenons-le ! »

Les députés se réunissent mardi 2 décembre à 17 heures pour voter à scrutin public.

Coline Garré

Source : Le Quotidien du Médecin: 9370