« Le concept novateur de l’évaluation des situations ou des individus à risque (c’est-à-dire ayant une probabilité élevée de survenue d’une maladie professionnelle) est porté au niveau national par le Plan de santé au travail, le plan national Santé environnement (PNSE) et par l’Europe, via la surveillance des expositions, dans l’espace et dans le temps », explique la Pr Anne Maitre, responsable du laboratoire de toxicologie professionnelle et environnementale au CHU de Grenoble.
Des méthodes de mesurage des expositions se mettent en place. Jusqu’ici il s’agissait surtout de mesurages externes, réalisés dans l’environnement (eau, air, etc.) ou au plus proche de l’individu (capteurs au niveau du col de chemise, voire des patch tests sur la peau des individus suivis). Ils sont de plus en plus complétés par des mesurages de polluants ou de leurs métabolites dans les milieux biologiques, les seuls qui permettent de connaître la dose de polluants ayant pénétré dans le corps.
Pour que toutes ces données collectées soient interprétables et permettent d’avancer sur les risques chimiques, encore faut-il qu’elles soient homogènes. « Cela demande d’avoir un maximum d’informations. Comment ces données ont-elles été collectées ? Auprès de quels individus ? Quelle est leur qualité, la méthode de prélèvement ? A-t-il été réalisé à un moment clé, lequel ? Quel a été le mode de conservation du milieu biologique ? Des groupes d’expositions homogènes ont-ils bien été définis au préalable, sachant que sous un même nom de poste, les activités réellement effectuées peuvent différer ? », telles sont les questions à soulever selon la Pr Maitre.
Des résultats à titre individuel et surtout collectif
Pour interpréter les valeurs de mesurages atmosphériques et biologiques (sur l’individu), encore faut-il connaître les seuils à ne pas dépasser. En milieu professionnel, il existe des valeurs réglementaires pour l’air (valeurs limites d’exposition professionnelle, VLEP), définies par des circulaires du ministère du Travail. En revanche, il n'y a pas de données réglementaires pour les valeurs mesurées dans les milieux biologiques. Il existe cependant des valeurs consensuelles françaises définies par le comité d’experts spécialisés sur les valeurs sanitaires de référence au sein de l’Agence nationale sécurité sanitaire alimentaire nationale (Anses). À défaut, des valeurs anglaises, américaines, allemandes, etc. « En tant que médecins, nous sommes amenés à rendre des résultats pour un individu donné, en essayant de voir où il se situe par rapport au groupe étudié ou à ses propres données antérieures. Il faut ensuite rechercher quels sont les facteurs déterminants qui ont pu jouer un rôle dans ces résultats. Si les niveaux sont trop élevés, il faut agir de telle manière qu’ils baissent, et s’assurer que l’individu ne soit pas ou ne devienne pas malade », insiste la spécialiste.
Mais ce n’est plus tout ! « Aujourd’hui, le médecin du travail doit aussi rendre des résultats collectifs en utilisant une approche statistique. Cela lui permet, sans rompre le secret médical individuel, d’alerter l’entreprise et les ingénieurs de sécurité sur un risque encouru par les sujets effectuant un type d’activité. Cette interprétation collective, qui se développe de plus en plus en France, permet d’identifier les activités et les groupes d’individus les plus à risque afin qu’en amont se mettent en place des améliorations, soit par rapport aux produits utilisés, soit quant aux protections mises en place. Il ne reste plus alors qu’à mener à nouveau une série de mesurages pour vérifier que les décisions prises ont bien porté leurs fruits », conclut la Pr Maitre.
Entretien avec la Pr Anne Maitre, responsable du laboratoire de toxicologie professionnelle et environnementale, CHU de Grenoble
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