EMBLÉMATIQUE, le cas de John Moore-Robinson a fait la une de tous les journaux. Une mauvaise chute à vélo, en 2006, amène ce jeune homme aux urgences de l’hôpital Mid Staffordshire (région West Midlands). Un médecin junior lui recommande de rentrer chez lui avec des antidouleurs et une bonne nuit de sommeil. Le lendemain matin, le patient était mort. Hémorragie interne. Si la rupture de la rate avait été détectée, John serait probablement encore en vie.
L’enquête diligentée en interne conclut à un décès évitable. Les parents de John l’apprendront des années plus tard, car l’hôpital, pour préserver son image, a mis le rapport sous le boisseau. Avec John, 1 200 autres morts auraient pu être évitées entre 2005 et 2009. Le scandale, révélé au grand jour début 2013, a secoué l’Angleterre.
Mea culpa
Le rapport commandé par le gouvernement, publié en février dernier, fera date dans l’histoire du NHS. Sur 1 800 pages, son auteur, Robert Francis, décrit des dysfonctionnements en pagaille. Opérations bâclées, erreurs de diagnostic, médicaments non délivrés, ordre de passage aux urgences décidé par les réceptionnistes… Des patients abandonnés des heures dans leurs excréments. Certains, horrifiés par l’hygiène déplorable, nettoyant eux-mêmes les toilettes. D’autres, assoiffés, buvant l’eau croupie des vases. Les managers, les yeux rivés sur leurs indicateurs - tous au vert, étonnamment -, n’ont rien vu. Ou rien voulu voir. Il a fallu la persévérance du groupe de pression « Cure our NHS », fondé par une femme ayant perdu sa mère au Mid Staffs, pour que l’affaire remonte aux oreilles des politiques.
Pour Robert Francis, des réorganisations, même radicales, ne suffiront pas. Le rapporteur appelle à un changement de culture profond au sein du NHS. Qualifiant le scandale de « lamentable », le Premier ministre David Cameron a fait un mea culpa tardif : « Les régulateurs ont échoué à protéger les patients », a-t-il admis. Pour éviter que le scénario ne se répète, Cameron a lancé un audit au sein de 14 hôpitaux ayant une mortalité alarmante. Il promet de « placer la voix des patients et du personnel au cœur du système ». Cela sera-t-il suffisant ?
Les médecins n’ont pas été surpris
Howard Catton, du Collège royal infirmier, émet des doutes. « Pour conserver le statut de fondation, un hôpital doit absolument être à l’équilibre, ce qui a conduit le Mid Staffs à couper 200 postes infirmiers. Comment envisager un avenir serein avec des milliards à économiser ? ». Les incroyables révélations médiatiques du Mid Staffs n’ont pas étonné le corps médical. « Au sein d’un même hôpital, deux services distants de 15 mètres peuvent être de qualité très variable », glisse Alastair Henderson, directeur général de l’Académie qui regroupe les collèges royaux de médecine. « L’amélioration de la qualité passe par la restructuration des spécialités chirurgicales, mais cela crée une forte opposition locale ».
Depuis le scandale de Bristol, il y a 15 ans (des dizaines de bébés étaient morts sur la table d’opération), il est question de diviser par deux le nombre de centres de chirurgie cardiaque pédiatrique. Le site de Leeds, sur la sellette, a brièvement fermé en début d’année, avant de rouvrir. Ses indicateurs qualité sont mauvais, mais l’audit piloté par le NHS n’a rien prouvé. La preuve que les statistiques sont complexes à utiliser.
Omerta médicale
Mark Harris travaille à la direction stratégie d’un hôpital londonien. Ses marges de manœuvre sont limitées : « L’administration a un tas de données sur le management mais bien peu sur la sécurité. La transparence repose sur les déclarations des médecins, or tout dépend de leur motivation. Si bien que je ne sais pas grand-chose du niveau des services et des praticiens ». Simon Pleydell a dirigé un groupe d’hôpitaux (South Tees Hospitals) avant de rejoindre l’administration centrale du NHS. Lui assure avoir fait un usage positif des indicateurs. « Un statisticien et des épidémiologistes travaillaient avec moi. Quand un médecin sortait des courbes, je lui posais des questions. On se comparait chaque trimestre aux autres hôpitaux, et ainsi on a réduit considérablement les taux d’infection ».
Le Collège royal des « physicians », soucieux de rétablir la confiance, milite en faveur d’une accréditation des services accueillant les personnes âgées. Pour Peter Walsh, directeur d’une association de lutte contre les accidents médicaux, l’omerta médicale reste l’obstacle n°1 : « Il y a un tas d’informations disponibles sur Internet mais les plus importantes ne sont pas accessibles. Tant que perdure la volonté de cacher les informations, un nouveau scandale peut éclater ».
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