Les hôpitaux transalpins, les régions et la Protection civile ont organisé un programme d’évacuation des réfugiés ukrainiens actuellement hébergés dans les centres situés en Pologne, notamment pour les soigner en Italie.
« On ne peut pas rester les bras croisés à attendre que cette tuerie s’arrête, il faut agir, car, sans notre aide, ils n’ont aucune chance de s’en sortir. » Pédiatre urgentiste à l’hôpital catholique Bambino Gesù, considéré comme l’une des meilleures structures pédiatriques à l’échelle européenne, le Dr Sebastian Cristaldi a décidé d’agir pour l’Ukraine.
Comme beaucoup d’autres médecins italiens, il a adhéré au programme d’évacuation des réfugiés ukrainiens mis en place par la Protection civile et la région du Latium en collaboration avec l’hôpital Bambino Gesù et l’Institut Spallanzani, l’équivalent transalpin de Pasteur. En général, les missions durent 24 heures mais certaines équipes restent sur place une semaine, parfois même une dizaine de jours. « On nous avertit la veille. Parfois, les missions sont annulées au dernier moment et on recommence à attendre, rapporte le pédiatre. Nous ne partons pas avec des avions militaires mais avec ceux de la brigade financière. Le transport est organisé en fonction du nombre d’enfants qui doivent être évacués sur une journée et de la disponibilité des avions. »
Glacés d'effroi dès la piste d'atterrissage
Lorsqu’il repense à ces enfants qu’il est allé chercher dans un camp de réfugiés situé à la frontière entre la Pologne et l’Ukraine, soudainement sa voix tremble. Au fil des souvenirs, le débit est de plus en plus rapide, les mots se bousculent, s’enchevêtrent. « Arriver à 30 kilomètres de la frontière, descendre de l’avion et voir les installations de lancement de missiles au bord de la piste est très déstabilisant, c’est à ce moment-là, qu’on comprend que la situation est complètement différente et que tout a basculé dans l’horreur, cela a gelé mon âme », lâche-t-il. Il y a quelques jours, le Dr Cristaldi a rencontré un enfant qu’il avait évacué. « Il n’arrêtait pas de dire "c’est vous qui m’avez amené ici", je pensais qu’il m’avait oublié, cela m’a bouleversé », rapporte le pédiatre encore troublé par l'émotion.
Depuis le 1er mars, l’hôpital Bambino Gesù a accueilli plus de 800 petits Ukrainiens. Certains ont des blessures de guerre, d’autres souffrent de pathologies préexistantes, des cancers ou des problèmes cardiaques. Leurs traitements ont dû être interrompus car les hôpitaux ont été bombardés. À cela s’ajoute la pénurie de médicaments.
Une assurance-maladie d'urgence
Un peu plus d’un tiers des jeunes patients hospitalisés dans les services de l’hôpital Bambino Gesù proviennent probablement des zones de guerre. Ils ont été insérés dans le programme mis en place par la région du Latium qui leur permet d’obtenir la carte temporaire d’assurance-maladie réservée aux étrangers en attente de permis de séjour. « Ce document leur permet d’accéder à des soins gratuits intégralement pris en charge par la sécurité sociale comme les Italiens », confie la Dr Lucia Celesti, pédiatre chargée des relations avec les usagers et responsable du service d’accueil de l’hôpital Bambino Gesù.
Les équipes envoyées sur le terrain ont été formées par un anesthésiste-réanimateur, un pédiatre et une infirmière, détaille cette praticienne qui travaille depuis 30 ans dans le secteur hospitalier. Là-bas, dit-elle, les patients sont triés sur le terrain par la Protection civile avant d’être acheminés en avion vers Italie. « Plusieurs hôpitaux italiens se sont mobilisés pour accueillir les Ukrainiens qui ont besoin d’un suivi médical, des ambulances les attendant sur la piste à leur arrivée et ils sont acheminés vers les différentes structures », explique-t-elle.
Un état de grande fragilité psychologique
Les souvenirs de cette pédiatre sont aussi terribles que ceux de son confrère. « Quatre enfants ont été hospitalisés dans nos services pour des blessures de guerre, deux avaient été amputés à Kiev », rapporte-t-elle. Parfois, le récit devient brutal. « Ils sont montés en voiture et ont essayé de s’enfuir pendant que les chars russes leur tiraient dessus. Il y avait une file interminable de voitures. Un père de famille est descendu de sa voiture en tenant sa fille dans les bras et en montrant un drapeau blanc, les soldats lui ont dit de remonter immédiatement en voiture sinon ils allaient le tuer. Il a attendu pendant des heures à côté d’une partie de sa famille qui avait été massacrée et puis un soldat russe lui a dit : "sors et va-t’en le plus vite possible, emmène ta fille". Le père a marché pendant des heures avant de réussir à passer la frontière. La jeune fille qui a 15 ans, est hospitalisée dans nos services. »
Aux blessures de guerre, s’ajoutent les déchirures invisibles qui ne cicatriseront jamais et qui resteront imprimées, comme dans l’âme de ce père dont le fils est mort, est-il persuadé, « à cause de lui ». C’était au tout début de la guerre. La famille avait organisé un déjeuner pour fêter les 25 ans du fils et les 7 ans de la petite. Ils jouaient aux dés. Et puis, les Russes ont commencé à bombarder. Le père a dit : « Descendons dans la cave, nous serons à l’abri. » La mère et le fils ont répondu : « Non, finissons d’abord la partie de dés. » Ils sont morts sous les bombardements. « Le père m’a dit que son fils venait de se fiancer, qu’il était un bon garçon et puis il m’a regardé et m’a dit que c’était de sa faute s'il était mort. Il a ajouté : je n’ai pas suffisamment insisté pour qu’il descende se cacher dans la cave. C’est une véritable torture, une douleur qui n’en finit pas, murmure la Dr Celesti. D’un point de vue psychologique, les réfugiés sont dans un état de grande fragilité, de détresse. Ils ont tous perdu un membre de leur famille, comment guérir après cela ? »
Une forte identification au drame ukrainien
Cette grande fragilité touche aussi les professionnels de santé impliqués. « Nous avons accueilli beaucoup de réfugiés des zones de guerre, comme l’Afghanistan ou de l’ex-Yougoslavie, mais je n’ai jamais été aussi secouée. Toutes les guerres sont épouvantables, mais, cette fois-ci, notre perception est différente en raison de la proximité et de nos ressemblances, explique-t-elle. Nous avons eu tort de nous voiler la face et de détourner notre regard lorsque la Tchétchénie a été bombardée, là-bas aussi, c’était terrible. Parfois, je pense qu’aujourd’hui, nous pourrions être à la place des Ukrainiens. »
La Dr Anna Maria Musolino, pédiatre urgentiste de l’hôpital Bambino Gesù, a déjà effectué deux missions en Pologne. La première fois, cette praticienne a simplement fait l’aller-retour dans la journée pour ramener des enfants. La deuxième, elle est restée une semaine dans le camp de réfugiés. C’était au début du mois d’avril. Son récit est différent. Elle raconte les conditions d’accueil des réfugiés dans les camps, les premiers suivis médicaux, la bienveillance des volontaires et leur envie d’aider à tout prix ceux qui ont tout perdu. Mais elle s’arrête, elle aussi, sur cette tristesse infinie qui voile le regard des enfants et qui a transpercé son âme et bouleversé sa vie. « S’il le faut, j’y retournerai, si je dois le faire, j’irai là-bas à nouveau pour aider ces enfants, nous n’avons pas le droit de ne pas les aider. »
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