NOUS AVONS LE CHIC de nous inscrire, au moins par la parole, dans le destin des autres, même si nous n’y participons d’aucune manière. Une révolution est toujours une tragédie là où elle se produit ; c’est chez nous une discussion de salon, la violence verbale étant censée compenser notre dérisoire position de spectateur. En réalité, les bagarres d’intellectuels sur les thèmes géopolitiques n’ont pour objet, en France, que de prouver, quand c’est possible, qu’un camp a raison plutôt que l’autre. Le fond de l’affaire, dans les crises égyptienne et tunisienne, n’est pas de chercher la direction dans laquelle vont s’engager ces deux révolutions exemplaires conduites à mains nues, mais de savoir si elles justifient les prises de position antérieures des intellectuels. Aussitôt, on en vient à dénoncer, chez ceux qui ne seraient pas enthousiasmés par les splendides comportements des deux peuples, les arrière-pensées qu’ils auraient nourries par le passé sur l’incapacité des sociétés arabes à se transformer, comme si la révolution était l’apanage de l’hémisphère Nord.
Racisme ?
Personne ne l’a jamais dit, nous semble-t-il, mais avec une virulence suprenante, on accuse déjà de racisme les intellectuels qui n’ont pas volé au secours de la victoire ou seraient restés sur leur réserve. S’il est vrai qu’un certain nombre d’intellectuels ont salué très vite les peuples de Tunisie et d’Égypte, ils n’ont pas plus prévu que tous les autres qu’il se produirait de tels bouleversements dans ces deux pays. Ils se targuent néanmoins d’avoir naguère proposé des analyses qui ne les excluaient pas. Mais c’est comme tout le reste : en réalité, personne ne savait que le Mur de Berlin s’effondrerait, ni que la crise financière et économique de 2008-2009 aurait lieu (à part deux ou trois économistes). Après coup, il est toujours facile de trouver des explications : deux dictatures interminables, une crise sociale induite par la récession mondiale et le rôle extraordinaire d’Internet dans les rassemblements massifs.
TOUTES LES RÉVOLUTIONS NE SONT PAS GRANDIOSES OU HUMANISTES
En ce qui concerne la Tunisie (et d’ailleurs le Maroc, resté stable jusqu’à présent), il est indéniable que les complicités françaises avec l’ordre établi avaient conduit la France et une partie de ses intellectuels à une certaine indulgence, comme en témoigne le comportement de Michèle Alliot-Marie lors de ses vacances en Tunisie. Il est indéniable que, depuis longtemps, la gauche condamne le régime de Ben Ali même si son parti honni, le RCD, faisait partie de l’Internationale socialiste, de même que le parti de Hosni Moubarak, jusqu’au mois dernier, avec l’assentiment de Ségolène Royal, vice-présidente de l’Internationale. Ce que nous n’avions pas mesuré, c’est l’exaspération qu’inspiraient aux Tunisiens le personnage de Ben Ali et de ses associés, qui avaient mis le pays en coupe réglée. Alors même que des livres publiés en France avaient montré l’ampleur du racket. De même en Égypte : la résistance des opposants sur la place Tahrir du Caire traduit un ras-le-bol que nous avions peut-être sous-estimé. Les intellectuels qui ont salué les deux révolutions sans attendre prétendent aujourd’hui que leurs adversaires sont tout simplement épouvantés par les chambardements arabes, et que, au fond, ils n’en ont jamais voulu. Pourquoi ? Parce qu’ils craignent la récupération des deux mouvements par les intégristes, et le danger que les Frères musulmans feraient peser sur Israël.
Et alors ? Au Caire, c’est le peuple qui s’est soulevé, ce sont les Frères musulmans qui négocient avec l’équipe de Moubarak (et qui jugent insuffisantes ses premières propositions). L’idée que toute révolution est grandiose ou humaniste est largement démentie par l’histoire. On ne comprend pas pourquoi on ne pourrait pas à la fois soutenir une révolution et craindre ses débordements. Les intellectuels de gauche n’ont absolument rien à dire au sujet des références historiques comme la révolution islamiste de 1979 en Iran et la révolution réprimée de 2009 dans le même pays. Ils n’ont rien à dire sur l’énorme erreur de jugement qui a conduit leurs prédécesseurs (ou eux-mêmes pour les plus âgés d’entre eux) à soutenir Staline, puis Mao, au mépris des horreurs massives commises par ces deux monstres. Et quelle est leur meilleure excuse ? À l’époque, nous ne savions pas. Ils ne savaient pas, et maintenant ils affirment qu’ils savaient exactement ce qui se passait en Tunisie et en Égypte. Bref, ils ne se trompent jamais. C’est trop facile.
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