Le Quotidien : Pour quelle raison vous êtes-vous intéressé à l'insomnie dans cette période de Covid ?
CYRILLE KOSSIGAN KOKOU-KPOLOU : Il est bien connu que la qualité du sommeil est une composante essentielle de la santé mentale et de la santé physique, de la santé tout court. Les perturbations de la qualité du sommeil sont un indicateur, une alerte que notre équilibre biopsychosocial est menacé. La pandémie de Covid-19 et les mesures d’urgence sanitaire associées ont été brutales, austères et surtout longues. Leur impact potentiellement traumatique est évident. Dans le domaine de la santé mentale, les premières études sur le Covid-19 avaient focalisé sur les réactions de stress post-traumatiques, les symptômes anxiodépressifs, etc. En revanche, très peu d’attention était accordée à la question de la qualité du sommeil durant cette période et ses facteurs de risque spécifiques.
Nous avons aussi constaté que la littérature sur d’autres épidémies dans le passé tels que SRAS, Ebola, avait peu traité cette question. Or, nous savons le lien réciproque qui existe entre les symptomatologies précitées et la qualité du sommeil. C’est en constatant ce vide dans la littérature que nous avions intégré dans notre protocole de recherche des instruments pouvant permettre d’évaluer la qualité de sommeil, notamment l’insomnie, et les facteurs associés.
Pourriez-vous résumer les données françaises que vous avez obtenues ?
Notre étude a porté sur 556 participants âgés de 18 à 87 ans, incluant plusieurs catégories socioprofessionnelles. Toutes les régions de France sont représentées dans notre échantillon, mais les deux régions les plus représentées sont l’Ile de France et le Haut de France. Pour évaluer l’insomnie, nous avons utilisé l’Index de Sévérité de l’Insomnie qui comporte sept questions. Notons que la collecte des données a eu lieu avant et après l’annonce du début du déconfinement, le 11 mai dernier.
Pour éviter le biais méthodologique lié à la période de collecte des données, nous avons vérifié si la sévérité de l’insomnie était plus importante dans le groupe des sujets ayant participé à l’étude avant l’annonce, comparé au groupe de sujets ayant participé après l’annonce du début du déconfinement. Bien que les deux groupes présentaient les mêmes profils, nous n’avons constaté aucune différence significative entre eux. Ce résultat indiquait ainsi que les problèmes d’insomnie étaient récurrents même une semaine après le début du déconfinement. Au total, environ 20 % des participants avaient des symptômes d’insomnie modérés et sévères, sans différence selon le genre.
Le sous-échantillon des soignants n’a pas permis d’examiner des analyses statistiques approfondies, mais nous avons noté une tendance des problèmes d’insomnie élevés chez les soignants. Par ailleurs, l’étude a identifié quatre facteurs de risques spécifiques expliquant à eux-seuls plus de 25 % des problèmes d’insomnie pendant la période Covid-19. Les personnes ayant un niveau d’études inférieur au Bac + 3, celles qui avaient des antécédents de problèmes de santé, celles qui vivaient dans la solitude et l’isolément social, ainsi que les personnes qui développaient des inquiétudes constantes au sujet de la pandémie et de ses conséquences étaient les personnes qui avaient plus développé des symptômes d’insomnie modérés et sévères.
Avez-vous noté des différences entre la France et d'autres pays concernés par la Covid ?
Oui, nous avons noté quelques différences. En effet, nous avons comparé nos résultats à ceux des études menées en Italie, Chine, Grèce. La prévalence de l’insomnie observée dans notre étude était presque similaire à celle observée dans les études menées en Italie et en Chine qui – il convient de le noter — avaient utilisé un échantillon plus large. Cependant, elle était deux fois inférieure à celle rapportée dans une étude conduite en Grèce. À part des raisons liées aux mesures utilisées ou de certains détails sur les caractéristiques des échantillons, nous n’avons pas d’arguments solides qui pourraient expliquer cette différence notable.
Personnellement, nous avons été impliqués dans une méta-analyse en cours de publication, incluant toutes les études empiriques sur l’insomnie liée au Covid-19, qui indique une prévalence globale d’environ 24 %. Ce qui confirme la tendance de nos résultats. En ce qui concerne les facteurs de risque, l’étude menée en Grèce autant que la nôtre converge à montrer que les soucis constants liés au Covid-19, la solitude et l’isolement social expliquaient la sévérité de l’insomnie. En plus, nous avons montré qu’un niveau d’études inférieur au Bac + 3 et les antécédents de problèmes de santé étaient d’autres facteurs de risques majeurs.
Quelles pourraient être les raisons qui sous-tendent l'incidence particulièrement élevée de l'insomnie chez les soignants ?
Effectivement, le résultat de la méta-analyse dont je faisais état confirme l'incidence particulièrement élevée de l'insomnie chez les soignants. Une autre méta-analyse publiée en mai dernier, estime cette prévalence à plus de 34 % chez les soignants. C’est une incidence inquiétante. Les raisons sont multiples. Nous allons ici en évoquer deux. La première, la plus évidente, est la charge de travail des soignants qui s’est considérablement accrue pendant la période du Covid-19, parfois sans équipements adéquats. La deuxième, la plus cruciale, est relative aux risques iatrogènes encourus. En Italie, plus 16 000 personnels de santé ont contracté le virus et près de 200 en sont morts. En plus de ce bilan, des soignants, à l’instar d’autres citoyens, pourraient avoir perdu des parents, des connaissances, ou encore des patients pris en charge. Avec la pandémie, ils sont confrontés au quotidien à la mort, au sens réel et fantasmatique du terme, à la peur d’être contaminés ou de contaminer. Ces raisons sont sources de pression, d’anxiété constante pouvant perturber la qualité du sommeil.
Kokou-Kpolou, K. C., Megalakaki, O., Laimou, D., & Kousouri, M. (2020). Insomnia during COVID-19 pandemic and lockdown: Prevalence, severity, and associated risk factors in French population. Psychiatry Research, DOI: 10.1016/j.psychres.2020.113128
Kokou-Kpolou, K. C., Fernández-Alcántara, M., & Cénat, J. M. (2020). Prolonged Grief Related to COVID-19 Deaths: Do We Have to Fear a Steep Rise in Traumatic and Disenfranchised Griefs? Psychological Trauma Theory Research Practice and Policy, DOI: 10.1037/tra0000798
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