Système de santé à l'étranger

Victimes de l'amiante : l'âpre combat des médecins espagnols

Publié le 20/05/2022
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Alors que le Parlement à Madrid débat interminablement de la loi créant un fonds de compensation pour les victimes de l'amiante, les pneumologues espagnols prennent en charge, dans plusieurs hôpitaux de référence, un nombre croissant de malades exposés. Et continuent d'alerter sur les ravages de cette fibre cancérogène.
L’utilisation de l’amiante est interdite en Espagne depuis 2002

L’utilisation de l’amiante est interdite en Espagne depuis 2002
Crédit photo : SEBASTIEN TOUBON

Pendant que les députés se chicanent à Madrid autour de la loi discutée au Parlement depuis 2017 créant – sur le modèle du Fiva français – un fonds de compensation pour les victimes de l’amiante, les médecins espagnols continuent de sonner l'alarme. 

Ils concentrent aujourd'hui leurs efforts contre les pathologies pleurales, les néoplasies provoquées par l’amiante et l’asbestose, au sein de plusieurs hôpitaux régionaux de référence : celui de Ferrol, en Galice, non loin des chantiers navals, celui de Pampelune en Navarre, à cause de l’industrie métallurgique, celui de Vall d’Hebron à Barcelone en Catalogne ou encore l’hôpital Infanta Leonor de Madrid, en raison de l’activité ferroviaire de la capitale espagnole. 

De fait, l’amiante – dont l’utilisation est interdite en Espagne depuis 2002 – reste présent dans de nombreuses installations industrielles. Par exemple, le plan de « désamiantisation » du métro de Madrid ne se terminera qu’en 2028 ! Et même si un décret d'avril 2006 a fixé « les dispositions minimales de sécurité pour la santé dans les travaux où il y a un risque d’exposition à l’amiante », le nombre « officiel » de décès (plus de 7 000) à cause de cette fibre cancérogène ne cesse de grimper depuis 1998.  

Identification complexe des victimes exposées 

Pour la Dr Carmen Diego, chef du service de pneumologie de l’hôpital universitaire de Ferrol, il faut d'abord améliorer l’identification des personnes susceptibles d’avoir été exposées à l’amiante. « Navantia [les chantiers navals, NDLR] nous envoie régulièrement depuis 2008 des listes de travailleurs concernés mais il y a aussi de nombreuses entreprises sous-traitantes, et là, nous ne savons pas grand-chose des victimes potentielles », précise-t-elle.  

Au service de pneumologie de l’hôpital universitaire de Navarre, la consultation exclusivement consacrée à l’asbestosis rassemble déjà trois pneumologues experts. Et le planning est surchargé. Selon la Dr Pilar Cebollero, chef du service, « près de 1 000 révisions médicales [effectuées tous les ans sur les patients à risques, NDLR] sont déjà programmées pour les douze prochains mois et l’Institut de la santé publique et de la santé du travail du gouvernement autonome de Navarre nous a envoyé la liste de 100 nouveaux travailleurs à la retraite potentiellement affectés par l’amiante et dont l’état de santé doit être surveillé ».

Compensations financières, ça coince

Pour les salariés encore en activité, les services de santé des entreprises où le risque a été officiellement identifié sont toujours en alerte. « Quand la lecture de la radiographie ou de la spirométrie n’est pas claire pour le médecin de l’entreprise, le patient nous est adressé pour une évaluation plus complète », rappelle la Dr Pilar Cebollero. Ce contrôle par les entreprises elles-mêmes est obligatoire depuis la publication par le ministère de la Santé du protocole de surveillance spécifique pour l’amiante, en 2013.  

En ce qui concerne les compensations financières, la situation en Espagne reste très confuse. Aujourd’hui encore, après la reconnaissance de sa « maladie professionnelle » par l’Institut national de la Sécurité sociale (INSS), le travailleur doit souvent entamer une longue bataille judiciaire avec l’entreprise concernée qui peut nier la validité des expertises médicales. Et quand, dans le meilleur des cas, l’indemnité est finalement décidée par les juges, celle-ci arrive souvent après le décès du travailleur intéressé…

+20 % de patients pour la consultation amiante  

La création du fonds de compensation, débattu au Parlement depuis des mois, doit supprimer ce chemin de croix judiciaire pour les victimes de l'amiante. Mais depuis 2017, les députés ne se sont mis d’accord que sur les grandes lignes. La question du périmètre du fonds n'est pas tranchée. Qui en bénéficiera : tous les travailleurs, victimes reconnues de cette maladie professionnelle ? Également les personnes affectées qui vivaient autour des installations industrielles ? Les proches des victimes enfin, qui par exemple, nettoyaient le vêtement de travail du conjoint ou parent ?

Le fonds lui-même devra être financé par le budget de l’État (25 millions d’euros ont déjà été provisionnés pour 2022), par la Sécurité Sociale et, point plus épineux, par l’application du « droit de subrogation » permettant de réclamer des financements aux entreprises mises en cause. Mais le temps presse. « Le nombre de patients inscrits dans la consultation spéciale amiante de l’hôpital Infanta Leonor a encore augmenté de 20 % en 2021 », s'inquiète la Dr Carmen Matesanz Ruiz, l’une des pneumologues du service et autre lançeuse d'alerte.    

De notre correspondant Christophe Deschamps

Source : Le Quotidien du médecin