La réforme de la garde à vue

Entre sécurité et équité

Publié le 10/09/2010
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Crédit photo : AFP

C’EST LA PUBLICATION des statistiques relatives à la garde à vue qui a mis le feu aux poudres : environ 900 000 par an, ce qui semble indiquer que n’importe quel citoyen, même parmi les plus honorables, a une bonne chance dans sa vie de tomber dans le filet (et de passer un très mauvais moment, sans rapport avec son degré de culpabilité). La garde à vue fait bon marché de la présomption d’innocence. On peut être fouillé, déshabillé, jeté pendant deux jours dans une cellule nauséabonde en compagnie de délinquants ou d’alcooliques, sur de simples soupçons. Du coup, la garde à vue, censée protéger l’intérêt de l’enquête, se transforme en une peine grave avant même que la culpabilité du citoyen soit établie. Le plus grand nombre des gardes à vue n’aboutit d’ailleurs pas à une mise en examen.

Ni laxisme ni arbitraire.

Pour ce gouvernement très soucieux de la sécurité (et qui en fait même sa première spécialité), la réforme est une sorte de déchirement. Il n’a guère les moyens de s’aliéner plus de suffrages qu’il n’en a déjà perdus, mais pour rien au monde il ne voudrait passer pour laxiste. L’idée même de donner à toute personne assez de droits pour échapper à une sanction même si elle a commis un crime donne des sueurs froides à nos responsables et aux policiers ou gendarmes chargés de maintenir l’ordre. Mais le Conseil constitutionnel a statué : le 30 juillet dernier, il a jugé les dispositions actuelles contraires aux droits fondamentaux et réclamé une réforme avant le 1er juillet 2011.

Michèle Alliot-Marie, qui a présenté mardi son projet au Conseil d’État ne propose pas ce que souhaitaient les avocats : une réduction drastique du nombre des gardes à vue. C’est pourtant ce nombre qui, révélé avant l’été, fait frémir. L’ancien bâtonnier de Paris Christian Charrière-Bournazel estime que le projet est « restrictif. Les murs bougent, ils ne sont pas complètement tombés ». Il souligne que, dans le projet, le procureur peut différer de douze heures l’arrivée de l’avocat. Pendant ce laps de temps, ou bien le gardé à vue reste devant les policiers et n’est donc pas entendu en audition libre, ou bien il n’y est pas contraint et c’est une audition libre, laquelle existe déjà. Quant au syndicat de policiers Synergie, qui se déclare « stupéfait », il estime que, une fois de plus, « l’intérêt collectif est sacrifié au mépris des réalités criminelles contemporaines ».

UNE MÉTHODE POUSSÉE À L’EXTRÊME TRANSFORME LES INNOCENTS EN VICTIMES

On ne sera pas surpris par ce fossé entre policiers ou juges et avocats. Accorder un maximum de droits à des gens qui attaquent les policiers ou leur tendent des embuscades, assassinent des personnes pour conserver un marché de drogue, combattent par la violence toutes les manifestations de l’autorité semble dangereux pour la société. Mais la plupart des citoyens obéissent sur-le-champ à toute injonction policière, craignent la maréchaussée, se plient sans discuter à ses ordres, même quand ils ne sont pas donnés avec toute la courtoisie requise. Le danger d’une garde à vue trop fréquente est qu’elle transforme en victimes les membres du corps social qu’elle est censée protéger. Chacun sait, pour avoir été prévenu par l’information et par la littérature, qu’une méthode systématique ou poussée à l’extrême confine à l’absurde et transforme l’État en ennemi du citoyen. Il nous semble que le projet gagnerait en efficacité s’il contraignait la police à agir avec discernement en faisant le tri des personnes qu’elle interpelle. Ce serait un progrès si le nombre des gardes à vue diminuait de moitié, par exemple, et que n’y soient pas astreints des gens visiblement inoffensifs. C’est à la loi de durcir les conditions permettant de procéder à une garde à vue, en attendant peut-être que les cellules deviennent humaines.

RICHARD LISCIA

Source : Le Quotidien du Médecin: 8812