L'invitation de Tobie Nathan à tenir compte des forces politiques en action

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Publié le 25/01/2018
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Tobie Nathan

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C'est un éclairage personnel que livre Tobie Nathan dans « Les âmes errantes ». L'Ethno-psychologue, qui se présente comme juif ayant migré enfant d'Égypte, renvoie dos à dos les approches compassionnelle (prise en charge psycho-sociale) et sécuritaire - des impasses, juge-t-il - pour nous exhorter à nous interroger sur les forces en présence. 

Ces jeunes ne sont pas des cas cliniques et sociaux isolés. « Je parle de masse, de prégnance, de magnétisme », écrit Tobie Nathan, d'un « phénomène social, d'un mouvement politique aux ramifications internationales ».

On croise des jeunes filles et garçons avec des problèmes de filiation liés aux migrations, d'addiction, d'échec scolaire, d'attouchements, de conflits familiaux. « Des âmes errantes ».

Tobie Nathan refuse de les décrire par leurs handicaps et préconise de bannir le mot « traumatisme » de l'analyse du Djihadisme. « Ce sont aussi des curieux avides de sens en quête de réponses à des questions de philosophie fondamentale ». Ignorer les forces à l'œuvre « est une erreur intellectuelle, une lâcheté », lit-on. Or : « Psychiatres, psychologues et travailleurs sociaux ne sont pas formés à prendre en compte l'impact de telles forces politiques dans la construction de la personne ». 

Les jeunes islamistes radicaux nous obligent à modifier nos cadres de pensées et d'action. Le clinicien doit soigner mais aussi « combattre un réseau de capture d'âmes » aux méthodes extrêmement efficaces. Pour ce faire, il doit avoir l'intelligence des stratégies de la terreur, afin de les démonter, explique Tobie Nathan.

L'auteur ne dit pas comment faire et ne lève pas le voile sur son travail clinique. Mais il transmet sa lecture du phénomène (car plus que comprendre parole et comportements des jeunes, il faut les lire comme des signes) : la radicalisation comme une aventure générationnelle qui retourne les principes de notre démocratie moderne, fondée sur le refus de l'antisémitisme, des meurtres barbares et des idéologies de masses. Ces jeunes veulent « explorer la guerre des dieux », contre laquelle notre République laïque s'est construite. « Inutile de les raisonner en leur rappelant les valeurs de la République », prévient Tobie Nathan. C'est parce qu'ils les habitent qu'ils cherchent à réactiver leur inverse. 

Telle radicalité n'est pas si inouïe. Parce qu'elle s'inscrit en rupture avec la pensée ambiante, qu'elle « renverse la table », « cette génération fait irrésistiblement penser à celle de mai 1968 », écrit Tobie Nathan. « La mienne ». 

« Les âmes errantes », L'Iconoclaste, 4 octobre 2017, 256 pages, 19 euros. 

C.G.

Source : Le Quotidien du médecin: 9634