Trois affaires ont révélé cet automne la recrudescence des actes antisémites perpétrés au sein de facultés de médecine à l’encontre d’enseignants, d’autorités et d’étudiants de confession juive. A l’UFR de Grenoble, une dizaine de tags ont été découverts en septembre. Plusieurs visaient le Pr Patrick Lévy, président de l’université Grenoble-Alpes (UGA). « Rentrée, ça gaze (ra) ? », lit-on sur les murs de la faculté avec stupeur et consternation. « C’est d’une bêtise absolue, commente Patrick Lévy, qui pointe du doigt à la fois la mouvance radicale forte implantée dans son université et, au-delà, la désinhibition générale de la parole antisémite. Je rejoins l’analyse du président de la République quand il dénonce dans ces pulsions antisémites une atteinte portée à la France entière plus qu’une agression contre les juifs. » Le président de l’UGA constate « la persistance du phénomène, quand, le mois dernier encore, un colloque de l’EHESS sur l’histoire de la Shoah a été boycotté par la représentation diplomatique polonaise. »
Des tags antisémites encore ont souillé en octobre les murs d’une maison en face de l’entrée de l’UFR de Créteil, injuriant le doyen par intérim de la fac de médecine de Créteil. Un choc pour les étudiants qui vivent sans heurts la mixité ethnique. « Je n’avais pas été témoin jusqu’ici de la moindre dérive antisémite parmi les carabins, note le doyen de l’UFR de Paris-Sud, le Pr Samuel Etienne, mais personnellement, depuis cet automne je ressens une ambiance délétère, même si d’autres actes antisémites n’ont pas fait l’objet de remontée. »
Jeu de la freespa et salut nazi
À Bobigny, c’est une étudiante de deuxième année de l’UFR qui a été ciblée : « J’ai subi le harcèlement de quelques personnes dans un cercle privé, puis, lors du week-end d’intégration, les dérapages ont dégénéré et sont devenus collectifs, avec le jeu intitulé freespa, le lancer de kippa jetée à terre, les saluts hitlériens et les vannes sur la Shoah. » Choquée, l’intéressée a porté plainte, produisant des captures d’écran saisies sur Facebook, avec des étudiants de sa promotion qui classent les étudiants juifs avec un chiffre et un commentaire. Elle a dû se constituer partie civile pour qu’une enquête préliminaire soit ouverte. « Complètement blacklistée, j’ai alors été traitée de traitre et de menteuse. Il m’a fallu être exfiltrée de Paris XIII en novembre sur les conseils de la doyenne, rapporte l’intéressé sous le sceau de l’anonymat. Depuis, confie-t-elle, j’ai intégré dans la plus grande discrétion l’Université de Paris-Descartes. »
Prémices de basculements
Dès que chacune de ces affaires ont été connues, les instances administratives ont réagi. Le doyen de la faculté de médecine de Créteil a porté plainte pour injures publiques, de même que le président de l’UGA. Le président de Paris XIII a convoqué la commission disciplinaire, qui a prononcé l’exclusion de l’un des meneurs, relaxant sept autres étudiants incriminés, et il a saisi le procureur de la République. Sacha Ghozlan, le président de l’UEJF (Union des étudiants juifs de France) évoque d’autres affaires, en particulier à Strasbourg où des étudiants juifs harcelés préfèrent ne pas témoigner par crainte d’aggraver leur situation. La ministre des Universités, Frédérique Vidal est intervenue à deux reprises pour exprimer sa « totale désapprobation de ces actes antisémites », soulignant que « s’ils restent limités dans leur ampleur, ils peuvent être les prémices de nouveaux basculements. »
En mars, la Conférence des doyens de faculté de médecine a tiré la sonnette d’alarme, constatant dans un communiqué qu’ « il y a de plus en plus d’actes racistes et antisémites » et s’indignant d’un phénomène « scandaleux et inadmissible ». Un phénomène certes pas nouveau, constate-t-elle, mais la recrudescence récente de ces comportements est inquiétante. »
« Fait exceptionnel dans nos annales, notre cri d’alarme a fait l’unanimité parmi les doyens, souligne le président de la Conférence, le Pr jean Sibilia. C’est toute la communauté universitaire médicale qui est émue et qui doit désormais faire acte d’extrême vigilance. » Tous les doyens ont relayé le communiqué auprès des enseignants et sur les sites des UFR, lançant des appels pour les valeurs d’ouverture et de tolérance, à l’instar du doyen de Paris VII, le Pr Philippe Ruszniewski, qui a même mis en boucle sur les sites hospitaliers de Bichat et de Robert-Debré un clip vidéo qui alerte étudiants et enseignants.
Et une conférence pour sensibiliser à l’harmonie entre confessions devrait réunir plusieurs centaines d’étudiants à la fin du mois de mai. A l’UFR de Strasbourg, une exposition sur le camp de déportation du Struthoff est organisée au sein de la faculté de médecine. A l’initiative de l’AMIF, relayée notamment par le doyen Pierre Wolkenstein, le voyage de la mémoire a conduit plus d’une centaine d’étudiants à Auschwitz-Birkenau, guidés par le Dr Elie Buzyn, rescapé du camp.
« La vigilance sur les exactions commises par les extrémistes doit redoubler, souligne le Pr Sibilia, mais elle ne saurait suffire, il faut restaurer une mémoire vive chez les futurs médecins autour des événements de la Shoah, car beaucoup regardent cette tragédie comme si c’était un événement historique lointain, un peu comme la Saint Barthélémy ou la Terreur. Or, aujourd’hui, nous comprenons que personne n’est à l’abri de la contamination de la peste antisémite. Nous devons donc imprimer nos valeurs de tolérance et c’est une œuvre de longue haleine. »
Dans chaque UFR, des commissions bien-être sont en train d’être mises en place, pour détecter à la fois les facteurs de stress psycho-social et surveiller les phénomènes d’intolérance de toute nature. Des états généraux nationaux vont être convoqués à Caen, en décembre. Plusieurs doyens, à l’instar de Patrick Lévy proposent aussi qu’un cours de sciences humaines et sociales soit inscrit dans le cursus obligatoire. C’est la mobilisation générale des facultés de médecine.
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