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Dossier

Nouveaux métiers

Assistants médicaux : pourquoi ça ne prend pas chez les médecins

Par Léo Juanole - Publié le 06/12/2021
Assistants médicaux : pourquoi ça ne prend pas chez les médecins


GARO/ PHANIE

Au 21 septembre 2021, 2 266 contrats d’aide à l’embauche d’assistants médicaux ont été signés par l’Assurance maladie. Pour 1 814 d’entre eux, ils concernent les généralistes. Deux ans et demi après la signature de l’avenant 7, l’objectif de 4 000 assistants médicaux en 2022 paraît loin. Comment expliquer le faible engouement pour cette profession censée accorder plus de temps médical aux omnipraticiens ?

Passer les cartes vitales dans le lecteur, mettre à jour et classer les dossiers médicaux, reporter les informations dans le carnet de santé, adresser des prescriptions, réceptionner les résultats d’examens, commander du matériel… Autant de tâches administratives chronophages relevant de la gestion de cabinet. Si l’on ajoute à cela la préparation de la consultation, l’accueil du patient, la prise de température, de tension, de mesure et de poids ou encore le nettoyage et la stérilisation du matériel, le généraliste a grand besoin d’aide pour répondre à la demande de soins toujours plus pressante.

C’est pour l’épauler que l’Assurance maladie a étendu le métier d’assistant médical aux cabinets de médecins le 20 août 2019 – cette fonction existait déjà auprès des dentistes et des ophtalmologues – après des négociations conventionnelles menées par Nicolas Revel dans le cadre de l’avenant 7. Ce dispositif s’inscrit dans le cadre du plan « Ma santé 2022 » voulu par le président de la République. L’objectif ? Alléger le travail des professionnels pour augmenter leur patientèle et se concentrer sur le temps médical, alors que 5,4 millions de Français n’ont pas de médecin traitant.

80 % des assistants travaillent auprès de généralistes

Si l’objectif de Thomas Fatôme, directeur de la Cnam, était d’avoir 4 000 assistants en 2022, les chiffres par la Caisse au 21 septembre 2021 font état de 2 266 contrats signés et 239 « en cours ». Loin, très loin de l’objectif fixé en 2019.

Les généralistes sont les médecins à s’être le plus emparés du dispositif. Ils étaient 1 814 en septembre, soit 80 % du total. Logique, selon le président des Généralistes-CSMF, le Dr Luc Duquesnel, signataire à l’époque, avec la CSMF et MG France, de l’avenant 7 : « c’était un bon accord pour l’accès aux soins, un des moyens de lutter », - 54,3 % des médecins ayant un assistant exerçant en zones sous-denses.

Absent des discussions en 2019, le Dr Jérôme Marty, président de l’UFML-S, voit d’un bon œil ce nouveau métier, mais pour lui, « attention à ne pas tomber dans le piège allemand, où les consultations durent cinq minutes avec le médecin, aidé par cinq assistants ». Le Dr Marty estime que si « ça n’a pas pris », c’est parce que les « médecins font de la médecine » ainsi, « le temps d’entrée, le déshabillage, etc., sont des moments importants : ne pas y assister nous ferait perdre une part de l’examen », soutient-il. « Le mur des réalités est toujours là : la demande de soins est supérieure à l’offre. L’assistant médical, dans l’état, c’est pour faire joli sur le papier », conclut-il, cinglant.

Le difficile aménagement du cabinet

De son côté, le Dr Jacques Battistoni, président de MG France, ne croit pas à la dérive « allemande » : une « caricature » selon lui car, sur « 15 ou 20 minutes de consultation, je perds du temps ». Avoir un assistant permettrait donc de « déléguer beaucoup de tâches, comme les ordonnances », que le médecin n’aurait plus qu’à signer. Si le dispositif « fonctionne bien », c’est parce qu’il y a « une vraie demande d’assistants ». La Cnam précise notamment au Généraliste qu’en 2021, 700 nouveaux contrats ont été signés au 21 septembre.

En dehors de la crise sanitaire, qui « n’a pas aidé », selon le Dr Duquesnel, d’autres freins sont apparus à l’usage, comme l’immobilier et notamment son « ingénierie », soit la transformation du cabinet : « Faut-il aménager un bureau en commun, deux salles d’examen ? Beaucoup de médecins hésitent car ils ne savent pas comment s’y prendre. » Le Dr Battistoni abonde : « À l’époque, nous n’avions pas idée de toutes les contraintes liées au poste. » Et quelles contraintes : « la nécessité d’avoir un local pour installer l’assistant, le temps de travail – un demi ou tiers temps n’est pas suffisant – et la formation d’une année, rendant la personne pas tout à fait disponible pour le médecin ».

Un bilan frustrant

Deux ans plus tard, le bilan est donc « frustrant » pour le Dr Duquesnel, car trop peu de médecins ont embauché d’assistants. « On aurait souhaité que plus de généralistes franchissent le pas », lâche le praticien mayennais. Même si « l’Assurance maladie a bien communiqué sur le métier, c’est le retour des pairs qui crée l’engagement. L’expérience de Sylvaine Le Liboux prouve que ça marche, par exemple. » Il ajoute qu’il faut également « dédramatiser les indicateurs à atteindre ».

Pour ceux qui le souhaiteraient, la Cnam finance pour un contrat en tiers-temps 12 000 euros la première année, 9 000 euros la deuxième et 7 000 euros la troisième. À mi-temps, 18 000 euros pour la première année, 13 500 pour la deuxième et 10 500 pour la troisième. À plein temps, en zone déficitaire, 36 000 euros la première année, 27 000 euros la deuxième et 21 000 euros la troisième. Une aide décidément pas négligeable pour alléger son travail et se concentrer sur le temps médical. Selon les derniers chiffres de la Cnam, 31 % des médecins ont choisi l’option 1/3 équivalent temps plein ; 49 % l’option mi-temps et 20 % en temps plein.

En effet, pour toucher l’aide forfaitaire évolutive, le médecin doit augmenter sa patientèle de 15 % sur trois ans. Chez les généralistes, les indicateurs sont les nouveaux patients dont ils sont devenus le médecin traitant et le nombre de malades vus au moins une fois dans l’année.

Les MSP en voudraient aussi !

Et la demande d’assistant médical n’est pas qu’en exercice isolé. Le Dr Pascal Gendry, généraliste à Renazé (Mayenne) et président d’AVECSanté, soutient ce nouveau métier… mais pas son mode de recrutement. « Il faudrait que l’assistant puisse être celui du collectif pluri­professionnel et qu’il soit embauché par la Société interprofessionnelle de soins ambulatoires (Sisa) en tant qu’employeur collectif. » Pourquoi ? Pour lui, c’est une question de réflexion commune. « L’assistant médical peut mettre en place une organisation spécifique, en collaboration avec l’équipe médicale, pour répondre notamment à la demande de soins non programmés », poursuit le Dr Gendry.

Mais l’heure n’est pas au recrutement d’assistants. « Aujourd’hui, beaucoup de jeunes généralistes n’ont pas envie de se transformer en urgentistes et préfèrent ne pas faire de quantitatif car ils craignent que cela soit au détriment de la prise en charge. » De plus, le Dr Gendry parle d’une « évolution culturelle » : la présence d’un assistant dans un cabinet ne serait « pas simple » pour certains, habitués à travailler seuls.

Si, grâce à ces embauches d’assistants médicaux, près de 400 000 nouveaux patients auraient, selon la Cnam, un médecin traitant d’ici 2022, et environ un million d’usagers supplémentaires seraient en file active, les objectifs fixés paraissent difficiles à atteindre. Le dispositif peine à décoller car il bouscule la pratique des médecins. Ceux qui l’ont testé, eux, l’ont adopté.