Article réservé aux abonnés
Dossier

Congrès de l'Encéphale

Benzodiazépines et démences : quels risques ?

Publié le 04/03/2016
Benzodiazépines et démences : quels risques ?

benzo & démence 2
SIMON FRASER/SPL/PHANIE

Deux visions de la relation entre la prise de benzodiazépines et la survenue de démences se sont affrontées au dernier congrès de l’Encéphale, lors d’une session d’experts. L’une s’appuyait sur les études disponibles pour faire un lien direct entre les deux. L’autre établissait une corrélation entre démences et dépressions traitées de façon inappropriée.

Les benzodiazépines  sont depuis quelque temps dans le collimateur de la HAS. Et le SMR des benzodiazépines à visée hypnotique a été revu à la baisse par cette institution en 2014, pour cause de rapport efficacité/effets indésirables faible. Depuis l’étude de l’Inserm de décembre 2015, véritable pavé dans la mare, montrant que les personnes âgées consommant des benzodiazépines de demi-vie longue avaient un risque de survenue de démence augmenté de 60 %, la question : « l’exposition aux benzodiazépines augmente-t-elle les démences ? » est au centre des interrogations des prescripteurs. Le Dr Hélène Verdoux (université de Bordeaux), lors du congrès de l’encéphale (Paris, 20-22 janvier 2016) a tenté, en se référant aux travaux disponibles, d’apporter une réponse sur un sujet qui reste controversé.

Les femmes plus  consommatrices que les hommes

La prévalence d’utilisation des  benzodiazépines en 2013, parmi les 18-64 ans, atteint 12 % pour les anxiolytiques en général, dont 9 % chez les hommes  et près de 15 % chez les femmes. Pour les hypnotiques, on est aux alentours de 7 % avec, là encore, un plus grand recours à ces médicaments chez les femmes. Quand on augmente en âge, pour les plus de 65 ans, les proportions grimpent à 20 % pour les anxiolytiques, et près de 14 % pour les hypnotiques, avec, pour ces deux classes, un gradient femmes/hommes à l’avantage du sexe féminin.[[asset:image:9281 {"mode":"small","align":"left","field_asset_image_copyright":["PHANIE"],"field_asset_image_description":[]}]]

L’examen des études internationales révèle la coexistence de travaux montrant une association positive entre benzodiazépines et démences (Wu et coll. 2009-2010, Lagnaoui et coll. 2002 Paterniti et coll. 2002, Gallacher et coll. 2011) avec d’autres études, en nombre à peu près égal, ne montrant pas cette association (Lagnaoui et coll. 2009, Allard et coll. 2003, Hanlon et coll. 1998, Dealberto et coll.1997). Une seule met en exergue une association protectrice des neurones par les benzodiazépines
(Fastbom et coll. 1998).

Des symptômes prodromiques de démence préexistants à la mise sous benzos ?

« Le problème, est de savoir si chez les malades atteints de démence, des  symptômes prodromiques de cette pathologie n’étaient pas préexistants à la mise sous benzodiazépines, notion que les travaux internationaux en question ne donnent pas », a relevé la conférencière. C’est pourquoi une étude intitulée Benzodem, effectuée à partir des sujets âgés de la cohorte Paquid, a été entreprise. Elle a inclus, en deux vagues, des personnes n’ayant aucun signe de démence  au moment de leur mise sous benzodiazépines et les a suivies de 1987 à 2007 et de 1989 à 2009.

Les résultats ont montré un risque de survenue de démence, croissant avec les années de suivi et  nettement augmenté chez les usagers de benzodiazépines par rapport aux non-usagers (Billoti, de Gage et coll, 2012). Le rapport de risque de la survenue de démences vs la non-survenue de cette pathologie chez les personnes ne prenant pas de benzodiazépines était de 1, tandis que ce rapport était de 1,60 chez les sujets consommant  des benzodiazépines.

« Mais ce travail admet comme limites l’absence de données sur les doses/durées d’utilisation », a noté Hélène Verdoux D’où l’étude Benzodem 2 (Billoti, de Gage et coll, 2014) entreprise sur une cohorte de la régie d’assurance maladie du Québec avec un suivi de 10 ans prenant en compte cette fois les doses et la durée d’exposition. Elle a regardé, sur des patients âgés de plus de 65 ans, les effets en termes de démence  d’expositions aux benzodiazépines de moins de trois mois, de trois à six mois et de plus de six mois, pour des médicaments à demi-vie courte (<20 heures) et à demi-vie longue (≥ 20 heures).

[[asset:image:9286 {"mode":"small","align":"right","field_asset_image_copyright":["PHANIE"],"field_asset_image_description":[]}]]

L’impact de la durée d’exposition aux benzodiazépines sur le risque  de démence a été clairement retrouvé, avec un risque relatif de 1 pour les non-usagers, de plus de 1 pour une exposition inférieure à trois mois, de 1,3 de 3 à 6 mois, et de 1,7 à 6 mois. Et le retentissement de la demi-vie d’élimination du médicament consommé sur le risque de démence est également attesté, puisque pour les molécules à  demi-vie courte, le risque relatif de survenue de démence est de 1,4 vs 1,6 pour celles à demi-vies longues.  

Le Dr Verdoux en conclut que, dans le doute, il convient  de respecter le principe de précaution et de limiter au maximum chez les personnes âgées, les prescriptions de benzodiazépines, la durée d’exposition, et les molécules à demi-vie longue.
Conclusions auxquelles le Pr Jean-Pierre Clément, géronto-psychiatre, (CHR Esquirol, Limoges), abordant au cours de la même session d’expertise ce thème, apporte un bémol. Il rappelle que l’on dénomme désormais les démences « troubles cognitifs majeurs », dans le DSM5, qu’elles revêtent majoritairement des formes mixtes (neurodégenérescence et atteintes vasculaires) et qu’on se pose la question de savoir si elles ne constituent pas un vieillissement cérébral non réussi. Au sein des facteurs de risque de démence, le Pr Clément a inclus les personnalités du cluster C (de type obsessionnelles compulsives), dépendantes et à niveau élevé d’évitement du danger (du fait d’une dépressivité) le mécanisme mettant en jeu les voies sérotoninergiques. Il a surtout insisté sur les épisodes dépressifs majeurs, facteur essentiel de la survenue d’états démentiels.

L’étude de Y.Gao et coll, (2013) montre ainsi, chez les sujets atteints de trouble dépressif majeur, une incidence plus élevée de démence (risque relatif pour tous types de démences de 1,55, de 1,66 pour la démence de type Alzheimer, de 1,89 pour la démence vasculaire). Ce résultat est confirmé par celui d’autres méta-analyses (Kessing et coll, 2012, Cherbuin et coll, 2015). Seul point faible de ces recherches : on ne sait pas si les dépressions sont traitées ou non.

Autres interrogations autour des travaux européens citées par le Dr Verdoux : on ne sait pas si l’utilisation des benzodiazépines était épisodique ou chronique et, surtout, si elles étaient prescrites pour des états anxieux, pour des insomnies ou pour des syndromes dépressifs. Le Pr Clément souligne en effet que 40 % des épisodes de dépression majeure sont non- diagnostiquées  et que seuls 20 % de ceux qui sont traités reçoivent une thérapeutique adéquate. Or, dans les 80 %  de cas restants, nombreux sont ceux traités par benzodiazépines.

En outre, dans 50 % des dépressions traitées, on constate une inobservance. C’est donc, d’après Jean-Pierre Clément, la dépression traitée à tort par benzodiazépines qui favorise l’émergence d’états démentiels et non l’usage de benzodiazépines pour traiter l’anxiété ou l’insomnie. Plusieurs récurrences dépressives  non ou mal traitées peuvent selon l’orateur, faire basculer le patient vers une démence.

« Ne pas laisser la piste dépressive de côté »
Ce rapport entre dépression et état démentiel repose aussi sur l’existence de travaux montrant le rôle de la sérotonine dans les démences. Dans la maladie d’Alzheimer, on constate ainsi une dénervation sérotoninergique. Et les nouveaux traitements  de cette maladie actuellement à l’étude agissent sur les voies sérotoninergiques (anti-5HT4, Madsen et coll, 2011, anti 5HT6, Terri et coll, 2008).

Enfin, un résultat retrouvé par plusieurs auteurs (dont Sheline et coll, 2014) met en évidence une diminution par les IRS de la charge amyloïde au niveau du cerveau des volontaires sains.  « Les relations retrouvées entre les récepteurs 5HT1, 5HT6 et des lésions corticales constatées dans les démences (Garcia Alloza et coll, 2004) renforcent encore cette thèse », appuie Jean-Pierre Clément. Pour lui, il n’y a donc  pas d’argument neuropathologique prouvant l’impact des benzodiazépines sur des lésions corticales. Il est toutefois d’accord pour appliquer le principe de précaution quant aux benzodiazépines, mais « sans laisser la piste dépressive sur le bord du chemin ».
 

Dr Alain Dorra