Efficacité comparative des AINS dans le traitement de la gonarthrose et de la coxarthrose : méta-analyse en réseau da Costa BR, Reichenbach, Keller N, et al. Effectiveness of non-steroidal anti-inflammatory drugs for the treatment of pain in knee and hip osteoarthritis: a network meta-analysis. Lancet 2017;390:e21-33.
CONTEXTE
Après le paracétamol, les AINS sont la principale classe pharmacologique utilisée pour traiter la douleur arthrosique (1). Aux États-Unis, 65% des patients souffrant d’arthrose en consomment régulièrement (2). Au moment d'en prescrire, le clinicien dispose d’une myriade d’AINS à principes actifs et dosages différents, ce qui soulève le problème du choix le plus efficace pour soulager la douleur, attente prioritaire des patients (3).
Quelques revues systématiques ont directement comparé l’efficacité de certains AINS entre eux, mais pas tous les principes actifs disponibles, ni leurs différents dosages (4).
OBJECTIFS
Évaluer et comparer directement et (surtout) indirectement l’efficacité de différents AINS et leurs posologies dans le traitement de la douleur de la gonarthrose et de la coxarthrose.
MÉTHODEMéta-analyse en réseau incluant tous les essais randomisés (d’au moins 100 patients par groupe) ayant comparé le paracétamol et les AINS les plus prescrits au placebo (comparateur commun) publiés entre 1980 et 2015. Les deux critères de jugement principaux étaient le soulagement de la douleur et l’amélioration de la fonction articulaire. Les outils de mesure de ces deux critères étant différents d’un essai à l’autre, les résultats ont été transformés en taille d’effet (effect size ou SMD standard mean difference). Cet outil de mesure à caractère continu considère qu’entre 0 et -0,19 l’effet est négligeable, entre -0,20 et -0,39 faible, entre -0,40 et -0,59 modéré, entre -0,60 et -0,79 important, et entre -0,80 et -1 très important. La différence minimale cliniquement pertinente (MCID = minimum clinically important difference) de l’effect size, c’est-à-dire le seuil à partir duquel l’amélioration de la douleur est perceptible par le patient, a été arbitrairement fixé à -0,37, ce qui correspond à une différence de 9 mm vs comparateur (quantité d’effet) sur une échelle visuelle analogique (EVA) allant de 0 à 100. La qualité (solidité) des essais a été évaluée à l’aide de l’outil de la Cochrane Collaboration (5). L’analyse statistique a utilisé un modèle aléatoire bayésien multivarié pour les comparaisons multiples, ce qui préserve la randomisation et les résultats des comparaisons directes et tient compte des comparaisons multiples des essais ayant randomisé plus de deux groupes. Les résultats sont présentés en SMD avec son intervalle de confiance à 95% (IC95) et, pour la douleur, transcris en différence absolue en millimètres sur l’EVA (quantité d’effet) selon le calcul du rédacteur de ces lignes.
La taille de chaque cercle est proportionnelle au nombre de patients randomisés dans les essais. La largeur des lignes correspond au nombre d’essais.01 = placebo.
02 = paracétamol < 2000 mg.
03 = paracétamol 3000 mg. 04 = paracétamol
3000-4000 mg.
05 = rofécoxib 12,5 mg.
06 = récoféxib 25 mg.
07 = récoféxib 50 mg.
08 = lumiracoxib 100 mg. 09 = lumiracoxib 200 mg. 10 = lumiracoxib 400 mg. 11 = étoricoxib 30 mg.
12 = étoricoxib 60 mg.
13 = étoricoxib 90 mg.
14 = diclofenac 70 mg.
15 = diclofenac 100 mg.
16 = diclofenac 150 mg.
17 = célécoxib 100 mg.
18 = célécoxib 200 mg.
19 = célécoxib 400 mg.
20 = naproxène 750 mg.
21 = naproxène 1000 mg.
22 = ibuprofène 1200 mg. 23 = ibuprofène 2400 mg.
RÉSULTATS
Sur 8 973 articles répertoriés, 76 essais randomisés vs placebo répondaient aux critères d’inclusion de la méta-analyse, ce qui a permis de construire 23 nœuds (figure 1). Ces 76 essais concernaient 7 AINS différents et le paracétamol, tous à des posologies variées. L’âge des 58 451 patients inclus dans l’analyse allait de 58 à 71 ans, la proportion de femmes de 49% à 90% et la durée médiane des essais était de 12 semaines (mini = 1 ; maxi = 56).
► Aucune des posologies de paracétamol n’a atteint la MCID, même si à la posologie de 4 000 mg/j la différence vs placebo était significative : SMD = 0,16 (4 mm sur l’EVA) ; IC95% = -0,27 ; -0,06.
► Par ordre décroissant, les AINS les plus efficaces vs placebo, associés à un bénéfice cliniquement pertinent sur la douleur étaient :
• le rofécoxib 50 mg (retiré du marché mondial en 2004) : SMD = -0,63 ; IC95% = -0,85 ; -0,39, différence sur l’EVA = 15,3 mm.
• l’étoricoxib 90 mg (posologie hors AMM en France) : SMD = -0,62 ; IC95% = -0,91 ; -0,32, différence sur l’EVA = 15,1 mm.
• l’étoricoxib 60 mg : SMD = -0,58 ; IC95% = -0,74 ; -0,43, différence sur l’EVA = 14 mm.
• le diclofénac 150 mg : SMD = -0,57 ; IC95% = -0,69 ; -0,45, différence sur l’EVA = 13 mm.
• l’ibuprofène 2 400 mg : SMD = -0,42 ; IC95% = -0,55 ; -0,30, différence sur l’EVA =10 mm.
Tous les autres AINS avaient une MCID < -0,37 (9 mm sur l’EVA), même si leurs différences vs placebo étaient significatives.
► Sur le critère fonction articulaire, le classement était relativement similaire, avec en tête l’étoricoxib 60 mg (SMD = -0,53), suivi du diclofénac 150 mg (SMD = -0,51), du rofécoxib 25 mg (SMD = -0,48), de l’étoricoxib 30 mg (SMD = -0,45) et du naproxène 1 000 mg (SMD = -0,42).
COMMENTAIRES
Ce travail helvéto-canadien est particulièrement sophistiqué avec une recherche bibliographique, une méthode et un plan d’analyse statistique élégants et complexes, et il paraît indemne de liens d'intérêts. Cependant, une méta-analyse en réseau avec un comparateur commun s’apparente à une procédure de comparaisons indirectes dont les résultats ne sont pas aussi solides que ceux d’un essai randomisé de comparaison directe. Par ailleurs, sa principale faiblesse est d’avoir choisi un seuil de pertinence clinique du soulagement de la douleur de -0,37 (soit 9 mm sur l’EVA) alors que le seuil minimum généralement admis est de 10 mm en Europe et 13,7 mm aux USA.
Globalement, même quand l’efficacité des AINS évalués dans ce travail vs placebo était > 10 mm sur l’EVA, elle était au mieux modérée.
► La première conclusion à tirer est que le paracétamol est peu efficace, voire inactif pour traiter la douleur de la gonarthrose et de la coxarthrose. La deuxième conclusion est que plus un AINS est efficace sur la douleur, plus sa sécurité d’emploi est problématique : le rofécoxib a été retiré sur marché à cause d’une augmentation des évènements cardiovasculaires (6), l’étoricoxib à 90 mg/j n’a pas d’indication à cette posologie en France et le diclofénac est sous étroite surveillance pour les mêmes raisons (7). En revanche, le naproxène 1 000 mg/j ne semble pas provoquer de sur risque CV, mais sa taille d’effet (SMD = 0,40, soit 9 mm sur l’EVA) est faible, et comme tous les AINS non sélectifs, il augmente les évènements indésirables digestifs.
► Les résultats de cette méta-analyse en réseau sont à mettre en perspective avec ceux de l’essai PRECISION, récemment analysés dans cette rubrique (8). Ce dernier montrait que la sécurité cardiovasculaire du naproxène était similaire à celle du célécoxib dont l’efficacité dans cette méta-analyse était inférieure au minimum cliniquement pertinent, quelle que soit sa posologie.
► En pratique, malgré la faible efficacité du paracétamol, il reste le médicament de première intention, car il est le plus sûr et le résultat d’efficacité observé ici n’est qu’une moyenne, ce qui veut dire que certains patients sont susceptibles d’en tirer bénéfice. En cas d’échec, l’étoricoxib 60 mg et le diclofénac 150 mg semblent les AINS les plus efficaces à condition de respecter scrupuleusement leurs contre-indications et précautions d’emploi et de les prescrire pour une durée la plus courte possible. Encore une fois, le ratio bénéfice/risque (CV et digestif) de chaque AINS doit être soigneusement pesé au regard du profil de risque de chaque patient souvent polymédiqué à l’âge de l’arthrose des membre inférieurs.
Bibliographie
1- Porcheret M, Jordan K, Jinks C, Croft P. Primary care treatment of knee pain - a survey in older adults. Rheumatology (Oxford) 2007;46:1694-700.
2- Gore M, Tai KS, Sadosky A et al. Use and costs of prescription medications and alternative treatments in patients with osteoarthritis and chronic low back pain in community-based settings. Pain Pract 2012;12:550-60.
3- Cordero-Ampuero J, Darder A, Santillana J et al. Evaluation of patients’ and physicians’ expectations and attributes of osteoarthritis treatment using Kano methodology. Qual Life Res 2012;21:1391-404.
4- Chou R, McDonagh MS, Nakamoto E, Griffin J. Analgesics for osteoarthritis: an update of the 2006 comparative effectiveness review. Rockville, MD: Agency for Healthcare Research and Quality (US), 2011.
5- Higgins G, Green S, eds. Cochrane handbook for systematic reviews of interventions version 5.1.0. Updated March, 2011. London: The Cochrane Collaboration, 2011.
6- Mukherjee D, Nissen SE, Topol EJ. Risk of cardiovascular events associated with selective COX-2 inhibitors. JAMA 2001;286:954-9.
7- ANSM. http://ansm.sante.fr/searchengine/general_search?SearchText=diclofenac
8- Félibre S. Au cœur des AINS. Le Généraliste 2017;2788:26-7.
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