DE QUOI PARLE-T-ON ?
► Le syndrome du bébé secoué (SBS) survient lorsqu’un adulte secoue un nourrisson par exaspération ou épuisement face à des pleurs qu’il ne supporte plus. En raison de son démarrage précoce et de son caractère répétitif, le SBS constitue une des maltraitances infantiles les plus graves.
Le SBS est toujours un acte volontaire ; dans la littérature, l’auteur est plus souvent un homme adulte vivant avec la mère (père de l’enfant ou compagnon de la mère), ou le (la) gardien(ne) de l’enfant (assistante maternelle, nourrice non agréée). Les auteurs ont souvent une méconnaissance importante des besoins, compétences et comportements normaux de l’enfant. Plus d’un bébé secoué sur deux le sera de nouveau.
DES FACTEURS DE RISQUE
Le SBS survient la plupart du temps chez un nourrisson de moins d'un an (< 6 mois dans 2/3 des cas).
► Les facteurs de risque liés à l’enfant sont :
– sexe masculin
– prématurité ou complications médicales périnatales
– séparation mère/enfant en période néonatale
– grossesses multiples, rapprochées ou non désirées
– pleurs inconsolables
– difficulté d’acquisition d’un rythme de sommeil régulier, troubles du sommeil
– difficultés alimentaires
– interventions antérieures des services sociaux.
► La précarité (bas niveau d’études et de revenus, jeune âge de la mère), l’isolement social et familial sont des facteurs de risque supplémentaires. Cependant, il faut retenir que tous les milieux socio-économiques, culturels, intellectuels peuvent être concernés, comme dans les violences conjugales. Les professionnels de santé auraient davantage de difficultés à repérer et à signaler les SBS lorsque la famille est de niveau socio-économique équivalent au leur…
MÉCANISME ET LÉSIONS
Le SBS fait partie des “traumatismes crâniens non accidentels”, dans lesquels le secouement, seul ou associé à un impact, provoque le traumatisme craniocérébral. Les secousses sont toujours violentes, produites le plus souvent par une saisie du thorax du bébé sous ses aisselles.
► Les éléments ayant la plus grande valeur diagnostique sont les hématomes sous-duraux (HSD) plurifocaux, péricérébraux, de la faux du cerveau et/ou de la tente du cervelet ; des caillots au vertex témoignant de ruptures de veines ponts ; des lacérations cérébrales ; des hémorragies rétiniennes (HR) bilatérales et/ou touchant la périphérie de la rétine et/ou plusieurs couches de celle-ci.
UN TABLEAU ÉVOCATEUR OU TROMPEUR
► Une atteinte neurologique grave peut être évoquée d’emblée lorsque s’associent :
• malaise grave : troubles aigus de la vigilance, coma
• apnées sévères voire arrêt cardiorespiratoire
• convulsions répétées, voire état de mal convulsif
• HTIC aiguë : plafonnement du regard, vomissements hypotonie axiale, déficit moteur brutal
• pâleur
► Pris isolément, certains signes sont ténus et aspécifiques : leur association présente donc un intérêt diagnostique majeur :
• moins bon contact, errance du regard
• HTIC chronique : macrocrânie évolutive, fontanelle bombante, vomissements, troubles oculomoteurs (strabisme, nystagmus), stagnation et/ou régression psychomotrice
• anémie : pâleur, hématocrite < 30 % et/ou plaquettes > 400 g/L
• troubles de l’alimentation, stagnation de la courbe de poids, vomissements sans fièvre ni diarrhée
• troubles du sommeil
• modifications comportementales : douleur, irritabilité, pleurs accentués par le décubitus dorsal
► Les lésions d’allure traumatique sont inconstantes : lésions sentinelles à type d’ecchymoses/hématomes (cou, torse, sous les aisselles, derrière les oreilles, dans la bouche), fractures (parfois latentes) avant l’âge de la marche.
► Les données de l’anamnèse peuvent faire suspecter un SBS :
– retard de recours aux soins (dans tous les cas, les symptômes surviennent immédiatement après le secouement)
– absence d’explication, ou incompatible avec le tableau clinique ou le stade de développement de l’enfant, et/ou explications changeantes
– minimisation des symptômes
– pleurs incessants difficiles à calmer, à l’origine ou non de consultations antérieures
– traumatisme, quel qu’il soit
– histoire de mort(s) inexpliquée(s) dans la fratrie
– errance médicale
► Les gestes du quotidien (promenade en poussette même sur un terrain accidenté, en voiture, jeux, mouvements permettant de consoler…) ainsi que les mouvements spontanés de la tête de l’enfant lorsque l’on a oublié de lui maintenir la tête sont insuffisants pour provoquer un saignement sous-dural ou rétinien. Les enfants de moins de neuf ans sont incapables de secouer 7 kg (poids moyen d’un enfant de 6 mois).
► HSD et HR ne surviennent jamais spontanément, ni après une crise convulsive, ni après vaccination, ni en cas de toux persistante ou de vomissements répétés, ni après des manœuvres de réanimation cardiorespiratoire. Une chute de moins de 1,50 m ne cause qu’exceptionnellement un HSD ou une HR.
► Des HSD aigus asymptomatiques et des HR peuvent se rencontrer précocement après un accouchement, surtout si l’extraction est instrumentale. Ils ont un aspect caractéristique et se résolvent spontanément en moins d'un mois.
HOSPITALISER EN URGENCE
► Pour la HAS, le médecin généraliste qui évoque un SBS doit faire part aux parents de son inquiétude et indiquer une hospitalisation systématique en urgence (avec appel du 15 en cas de risque vital immédiat). Le senior des urgences doit être averti de l’arrivée de l’enfant et de la suspicion de maltraitance. Il faut s’assurer que l’enfant a effectivement été reçu. S’il s’agit de jumeaux, les deux doivent être hospitalisés.
► En cas de suspicion de SBS, l’enfant doit être considéré comme un traumatisé crânien grave et être hospitalisé en soins intensifs, avec avis neurochirurgical. L’enfant bénéficiera d’un scanner cérébral sans injection sans délai, puis d’un examen ophtalmologique (si possible dans les 24 heures, au plus tard dans les 48-72 heures car les HR peuvent rapidement disparaître) avec photographies.
Les autres examens peuvent être réalisés dès que l’enfant est stable : IRM cérébrale +/- cervicale, bilan biologique avec bilan d’hémostase exhaustif, radiographies de tout le squelette voire scintigraphie osseuse ; échographie abdominale ; EEG (révélant fréquemment des crises infracliniques).
CHIFFRER LA MORBI-MORTALITÉ
La mortalité chez des enfants présentant des HSD d’origine non accidentelle est estimée entre 11 et 36 %.
La majorité des survivants conservent des séquelles : épilepsie pharmacorésistante, déficit moteur, déficit visuel, troubles du langage, troubles du comportement… Certaines difficultés peuvent être démasquées au cours de la scolarisation : de nombreuses années sont nécessaires pour mesurer les séquelles d’un SBS.
10 % des enfants avec retard mental et infirmité motrice cérébrale auraient été victimes de maltraitance, à l’origine de leur handicap.
SIGNALER : QUI ET QUAND ?
Le terme de signalement est réservé à toute transmission au procureur de la République concernant la situation d’un enfant en danger ou susceptible de l’être. « Toute personne ayant connaissance de mauvais traitements sur mineur, toute personne exerçant dans un établissement public ou privé ayant connaissance de la situation de mineur en danger ou susceptible de l’être, toute autorité publique ou tout fonctionnaire amené à connaître dans l’exercice de ses fonctions un crime ou un délit » doit en aviser sans délai l’autorité compétente. En pratique, en cas de SBS, l’enfant est hospitalisé en urgence : le signalement est donc hospitalier.
Une première réunion d’au moins deux médecins doit avoir lieu sans délai, et le signalement fait sans retard. Il ne faut pas attendre la certitude diagnostique pour signaler. Une évaluation médico-psycho-sociale est faite dans un second temps.
ET SI ON FAISAIT DE LA PRÉVENTION ?
En amont, plusieurs occasions peuvent permettre d’informer les parents sur la gravité du secouement et les moyens de l’éviter. L’entretien prénatal précoce, actuellement sous-utilisé, doit systématiquement rechercher les situations à risque (vulnérabilité somatique, sociale, psycho-affective). Une sensibilisation avant la sortie de la maternité est proposée, car les deux parents assistent le plus souvent ensemble à l’examen systématique. Ils pourraient être informés sur les pleurs du nourrisson, la possibilité d’en être exaspérés, les conséquences irréparables d’un acte de secouement et la conduite à tenir.
Plus tard, lors du suivi, les professionnels de santé doivent savoir détecter les situations à risque (pleurs incessants, parents épuisés, violence intrafamiliale…) et conseiller les parents.
Bibliographie
1- HAS. Syndrome du bébé secoué ou traumatisme crânien non accidentel par secouement. Recommandation de bonne pratique. Septembre 2017.
2- HAS. Maltraitance chez l’enfant : repérage et conduite à tenir. Septembre 2017.
3- HAS. Syndrome du bébé secoué. Recommandation. Septembre 2011.
4- HAS. Bébé secoué : favoriser le diagnostic et la prise en charge. Octobre 2017.
5- HAS. Bébé secoué : une forme mal connue de maltraitance aux conséquences irréparables. Septembre 2011.
6- HAS. Vidéos de bébés secoués. Septembre 2011.
7- HAS. Syndrome du bébé secoué ou traumatisme crânien non accidentel par secouement : démarche diagnostique. Fiche mémo. Juillet 2017.
8- HAS. Syndrome du bébé secoué ou traumatisme crânien non accidentel par secouement : mécanisme causal et datation des lésions. Fiche mémo. Juillet 2017.
9- HAS. Syndrome du bébé secoué ou traumatisme crânien non accidentel par secouement : aspects juridiques. Fiche mémo. Juillet 2017.
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