DÉFINITION
La diarrhée se définit par l'émission de selles trop fréquentes, trop abondantes et de consistance anormalement molle. En pratique, l'OMS place le curseur à « au moins trois selles très molles à liquides par jour ».
► La diarrhée est qualifiée de chronique lorsqu'elle évolue depuis plus d'un mois.
► Les causes sont multiples, sans aucune classification simple. En effet, plusieurs mécanismes sont volontiers impliqués pour une même cause, tandis que plusieurs causes peuvent être responsables d’un même mécanisme. Schématiquement, on distingue d’une part la diarrhée par malabsorption et d’autre part la diarrhée hydroélectrolytique (motrice, osmotique et sécrétoire). Le syndrome de l’intestin irritable est de loin la principale cause de diarrhée motrice, tandis que la maladie cœliaque est la première cause de diarrhée par malabsorption.
à noter, les MICI et la pathologie tumorale ne seront pas détaillées dans cette mise au point.
REQUESTIONNER ET EXAMINER
► L’interrogatoire écarte vite les trois principaux diagnostics différentiels de la diarrhée chronique.
1- La majorité des pseudo-diarrhées chroniques vues en premier recours sont en réalité secondaires à une constipation. La “fausse diarrhée” désigne l'exsudation de la muqueuse colique au contact de selles dures. L’émission des selles est souvent explosive ; la composante liquide coexiste avec de petites selles dures (scybales : type 1 sur l’échelle de Bristol [p. 25]). Le toucher rectal doit impérativement rechercher un fécalome. Le traitement est celui de la constipation.
2- Une polyexonération, liée à un syndrome dyschésique et/ou à un trouble de la statique pelvienne : les selles sont fréquentes mais leur consistance est normale. En cas de doute, on peut simplement les faire peser : avec un régime occidental, leur émission quotidienne est de 200 g en moyenne.
3- Une incontinence fécale d'origine anale, diagnostiquée par l’hypotonie sphinctérienne au toucher rectal.
► Des diarrhées nocturnes évoquent une organicité, avec une bonne spécificité. Une persistance lors du jeûne oriente vers une diarrhée sécrétoire. À l’inverse, le caractère post-prandial manque de spécificité, même s’il est volontiers retrouvé dans les tableaux fonctionnels.
CHERCHER LES EXCÈS
Le patient qui consulte pour une diarrhée chronique offre au médecin généraliste l'opportunité rare de questionner en détail son mode de vie et de repérer les excès :
• La caféine : 30 % des consommateurs réguliers observent une accélération du transit, en particulier une majoration du réflexe gastrocolique. L’Autorité européenne de sécurité des aliments a rappelé en 2015 que chez l’adulte en bonne santé, une consommation maximale de 400 mg de caféine par jour – soit 4 expressos –, sans dépasser 200 mg par prise, ne posait pas de problème de sécurité, sauf chez la femme enceinte. Le repérage concerne également les boissons énergisantes dont certaines contiennent de la caféine.
• L’alcool : 10 à 50 % des consommateurs excessifs présenteraient une diarrhée chronique. La prise d’alcool stimule la motricité grêlique. Il faut envisager une pancréatite chronique – dont l’alcool est le premier facteur de risque – devant une diarrhée chronique avec stéatorrhée. Enfin, un tableau digestif (anorexie, nausées/vomissements, diarrhées) plusieurs heures après la dernière prise d’alcool – en particulier au réveil – peut évoquer un “pré-DT”, a fortiori si des signes neurovégétatifs et une agitation s’y associent.
• Tabac et cannabis : le tabac accélère les métabolismes, avec une variabilité interindividuelle certaine. Il s’agit essentiellement d’un phénomène moteur, mais le microbiote pourrait être impliqué. Les cannabinoïdes favorisent quant à eux le ralentissement du transit ; en pratique, comme le cannabis est le plus souvent couplé avec le tabac, ses utilisateurs se plaignent plutôt d’accélération du transit…
• L’automédication : l’exploration d’une diarrhée chronique est l’occasion de passer en revue l’automédication, les supplémentations en vitamines et minéraux (magnésium ++), la phytothérapie (desmodium, millepertuis…)
• La consommation de laitages : de nombreux patients incriminent le lactose dans leur tableau de diarrhée chronique, et il n’est pas rare qu’ils aient arrêté eux-mêmes toute consommation de laitage. Effectivement, si le nourrisson est capable d’hydrolyser 1 l de lait par jour, l’activité lactasique diminue physiologiquement avec l’âge. Cependant, en Europe du Nord, entre 70 et 90 % de la population adulte garde une activité lactasique élevée, permettant de consommer quotidiennement 10 à 15 g de lactose (soit 200 à 300 ml de lait). De plus, le lactose des yaourts est généralement mieux toléré que celui du lait ; les fromages à pâte dure ne contiennent quasiment pas de lactose, et il existe des laits délactosés. En conséquence, il faut insister sur l’importance de maintenir les produits laitiers les mieux tolérés pour assurer les apports calciques nécessaires.
• Le stress : dans la colopathie fonctionnelle, les événements de vie stressants et le stress sont associés à une plus grande sévérité des symptômes. Leur influence dans les autres étiologies n’est pas connue.
QUELLE STRATÉGIE DIAGNOSTIQUE ?
Biologie standard
Il est licite de prescrire des examens biologiques simples dans le bilan diagnostique d'une diarrhée chronique :
– NFS
– Ionogramme sanguin
– TSHus
– Transaminases, phosphatases alcalines, gamma GT
– Ferritinémie, albuminémie, calcémie, taux de prothrombine (recherche d’une malabsorption)
– CRP
– Assez largement, la sérologie VIH
– Pour certains spécialistes, les anticorps anti-transglutaminase peuvent faire partie du bilan initial en raison de la prévalence relativement élevée de la maladie cœliaque en Europe. Cette dernière peut exceptionnellement être séronégative.
L'examen parasitologique des selles (EPS)
Cet examen recherche principalement une lambliase (Giardia), mais aussi des parasites, moins fréquents (cryptosporidies, Cyclospora, Isospora belli). Il est indispensable en cas de séjour du patient dans les régions tropicales et intertropicales à hygiène précaire.
La pathogénicité de certains protozoaires est parfois discutée, notamment Dientamoeba fragilis et Blastocystis hominis. En pratique, lorsque ces parasites sont découverts dans le bilan d’une diarrhée chronique, le traitement est largement prescrit et souvent avec succès (2 g de secnidazole pour Dientamoeba fragilis, et 10 jours de métronidazole à raison de 3 x 500 mg/j pour Blastocystis hominis).
L’élimination fécale des formes parasitaires (kystes, œufs, larves...) est discontinue : un EPS isolé négatif n’exclut pas l’absence de parasite. L’EPS doit être répété deux à trois fois, sachant qu’il est préférable d’espacer les prélèvements de deux à trois jours plutôt que de recueillir les selles sur deux jours consécutifs.
La présence de Candida est fréquente et en règle, sans caractère pathogène, sauf terrain débilité.
Les diarrhées bactériennes ne sont pas responsables de tableaux chroniques : aussi, la coproculture ne doit pas être réalisée en première intention, sauf chez l’immunodéprimé. Par ailleurs, chez ce dernier, la prescription d’EPS devra explicitement mentionner : « avec recherche de Cryptosporidium et Microsporidium ».
Les examens endoscopiques
Ils sont très souvent nécessaires. L’endoscopie digestive haute permet de réaliser des biopsies du deuxième duodénum à la recherche d'une atrophie villositaire et de parasites. Profitant de la même anesthésie générale, la coloscopie totale avec iléoscopie permet des biopsies iléales et coliques étagées systématiques, même en l'absence de lésions macroscopiques.
LA DIARRHÉE DU COLOPATHE
Le syndrome de l’intestin irritable a longtemps été considéré comme un diagnostic d’élimination. Les critères de Rome IV (tableau 2) sont maintenant connus des cliniciens et peuvent, en l’absence de drapeaux rouges (âge > 50 ans, amaigrissement, sang dans les selles ou anémie, symptômes nocturnes, changement récent), permettre de surseoir aux examens complémentaires.
La rentabilité diagnostique des examens complémentaires est faible chez ces patients.
► Dans le cas particulier du syndrome de l’intestin irritable avec diarrhée prédominante (SII-D), on prescrit le plus souvent un bilan biologique minimal, qui comporte : NFS, CRP, TSHus, Ac anti-transglutaminase.
Dans le SSI-D ou SSI-A, on demande volontiers un bilan endoscopique avec biopsies systématiques pour éliminer formellement une maladie cœliaque, une lambliase ou une colite microscopique.
ET SI C’ÉTAIT MÉDICAMENTEUX ?
La diarrhée représente environ 7 % des effets indésirables des médicaments – plus de 700 sont impliqués à des degrés divers dans sa survenue. Elle sera le plus souvent aiguë.
► Certains traitements sont connus pour être à risque de diarrhée chronique (AINS, bêta-bloquants, statines, biphosphonates, paclitaxel, colchicine, irinotécan, ticlopidine, ranitidine, veinotoniques, IPP, sels d'or, antibiotiques, sartans [seulement olmésartan]).
► Même si celle-ci est plutôt aiguë ou subaiguë, elle peut être le signe d’alarme précoce d’un surdosage : digitaline, quinidine, colchicine (dont le thiocolchicoside).
COLITES MICROSCOPIQUES : CES MÉCONNUES
Méconnues des praticiens de premier recours, les colites microscopiques sont une cause de diarrhée chronique à endoscopie normale. Elles comprennent deux entités distinctes : la colite lymphocytaire et la colite collagène. Leur définition est histologique (augmentation des lymphocytes intra-épithéliaux pour la première, épaississement de la bande collagène sous-épithéliale pour la seconde).
Leur prévalence est faible : 1 cas/1 000 habitants en Europe, soit six fois moins que la maladie de Crohn. Cependant, leur incidence augmente depuis que la pratique de biopsies systématiques s'est imposée dans le bilan des diarrhées chroniques.
Les colites microscopiques débutent habituellement après 50 ans. Il existe une forte prédominance féminine, surtout pour la colite collagène. Un facteur médicamenteux est souvent retrouvé (veinotoniques, AINS, lansoprazole, ticlopidine) et/ou un terrain dysimmunitaire (thyroïdite de Hashimoto, diabète de type 1, vitiligo).
La présentation clinique est celle d’une diarrhée chronique sécrétoire, résistante au jeûne, liquidienne, ni hémorragique ni glaireuse, diurne et nocturne, abondante, associée à des impériosités et parfois à un amaigrissement. Dans un cas sur deux, le début est soudain.
L’évolution est imprévisible et capricieuse, avec une amélioration jusqu’à l’extinction spontanée, après trois ans dans la plupart des cas. Le traitement est symptomatique. Il n’existe pas de sur-risque de cancer colorectal.
La diarrhée peut survenir deux à huit semaines après l’introduction du médicament, par un mécanisme immuno-allergique. Le diagnostic est encore plus difficile si les prises sont intermittentes (AINS, lansoprazole…).
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