Immunothérapie

BIOTHÉRAPIE : SURVEILLANCE DU TRAITEMENT

Publié le 14/05/2020
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Les biothérapies révolutionnent le traitement des maladies inflammatoires. Très bien tolérées, elles nécessitent néanmoins un bilan pré-thérapeutique et une surveillance clinique pour lesquels le généraliste est en première ligne.
Atteinte axillaire  typique de maladie  de Verneuil modérée,  éligible à un traitement  par anti-TNF.

Atteinte axillaire typique de maladie de Verneuil modérée, éligible à un traitement par anti-TNF.

INTRODUCTION

Les biothérapies sont des traitements produits par recombinaison génétique mimant ou au contraire bloquant un agent biologique normalement présent dans l’organisme, impliqué dans une inflammation chronique (typiquement certaines cytokines, comme le TNF-α, l’une des premières qui a été ciblée dans la mise au point de ces nouveaux traitements). Le but est de diminuer l’inflammation chronique et de réguler le système immunitaire en essayant d’obtenir l’action la plus ciblée (et donc la plus sûre) possible.

Ces traitements constituent une véritable révolution thérapeutique qui a changé la vie de très nombreux patients souffrant de rhumatismes inflammatoires chroniques (polyarthrite rhumatoïde (PR), spondyloarthrite, rhumatisme psoriasique), de maladies digestives (maladie de Crohn) ou plus récemment dermatologiques (psoriasis, maladie de Verneuil (photo), dermatite atopique). Même s’ils ne guérissent pas la maladie, ils peuvent la mettre en sommeil, améliorer très nettement la qualité de vie et peuvent être prescrits même chez les sujets âgés (1).

DÉFINITION D’UNE BIOTHÉRAPIE

Leur définition repose sur un texte officiel du 26 février 2007 (directive européenne n° 2004/27/CE). Il s’agit de l’ensemble des thérapeutiques basées sur l’utilisation de molécules issues d’un organisme vivant ou de ses dérivés, par :

emploi d'organismes vivants (levures, ferments, certains microbes, gènes, cellules, tissus),

• substances (ou mimétiques) prélevées sur des organismes vivants (hormones, anticorps, interleukines…).

Nous allons ici principalement traiter des anticorps monoclonaux (AcM), protéines produites par le système immunitaire en réponse à un antigène (Ag) donné (une cytokine pro-inflammatoire le plus souvent).

Le caractère monoclonal signifie que l’anticorps reconnaît un seul épitope (partie d’un antigène – déterminant antigénique) bien particulier sur un antigène donné : il est donc par définition produit par un seul clone de plasmocytes isolé et mis en culture cellulaire.

Ceci explique la diversité des AcM disponibles : chaque industriel choisit l’épitope que son Ac va reconnaître, pour des raisons de meilleur ciblage, de meilleure efficacité, etc., et aboutit à une nouvelle molécule un peu différente, mais suffisamment pour donner lieu à un brevet distinct (TAB. 1).

Ceci explique aussi la différence entre un biosimilaire et un générique:

Un générique est un médicament qui a la même composition qualitative et quantitative en substances actives (donc une molécule chimiquement identique point par point puisque la formule est connue de façon exacte) et la même forme pharmaceutique que le médicament de référence, et dont la bioéquivalence avec le médicament de référence a été démontrée par des études appropriées de biodisponibilité donc des dosages pharmacocinétiques : le générique se comporte de la même façon dans l’organisme). Le dossier d’enregistrement est par conséquent simple.

Pour un biosimilaire, tout est différent : en raison des différences liées à la matière première (cultures cellulaires qui ne peuvent être strictement identiques d’un industriel à l’autre, donc Ac pas toujours strictement identique), des résultats d’essais cliniques complets doivent être fournis. Le dossier d’AMM est par conséquent beaucoup plus important, il faut refaire la preuve pour au moins l’une des pathologies que le résultat est identique au princeps (2).

CIBLES MOLÉCULAIRES ET INDICATIONS

Les Ac monoclonaux disponibles

1. Ciblage du TNF-α : adalimumab, certolizumab, golimumab, infliximab et étanercept (récepteur soluble du TNF). Indiqués dans les rhumatismes inflammatoires (polyarthrite et spondylarthrite), les MICI (maladie de Crohn, RCH), le psoriasis ou la maladie de Verneuil. 
2. Ciblage de l’IL-17 : sécukinumab, ixékizumab, brodalumab. Indiqués dans le psoriasis, le rhumatisme psoriasique et les rhumatismes inflammatoires. 
3. Ciblage de l’IL-23 : ustékinumab, guselkumab, risankizumab. Indiqués dans le psoriasis. 
4. Ciblage de l’IL-6 : tocilizumab, sarilumab. Indiqués dans les rhumatismes inflammatoires.
5. Ciblage de l’IL-1 : anakinra (récepteur soluble), canakinumab. Indiqués dans des maladies auto-inflammatoires rares, comme la fièvre méditerranéenne familiale (ou maladie périodique). 6. Ciblage des lymphocytes B : rituximab, belimumab. Indiqués dans des vascularites, le lupus ou les dermatoses bulleuses, quand il existe des Ac pathogènes démontrés. 
7. Ciblage des lymphocytes T (anti-CD-28) : abatacept. Indiqué dans les rhumatismes inflammatoires. 
8. Ciblage de l’IL-5 : mépolizumab. Indiqué dans les maladies avec activation des éosinophiles (asthme sévère, syndromes hyperéosinophiliques).
9. Ciblage des IgE : omalizumab. Indiqué dans l’urticaire chronique, l’asthme sévère. 
10. Ciblage de l’IL-4 et de l’IL-13 (donc voie Th2 de l’allergie) : dupilumab. Indiqué dans l’asthme et la dermatite atopique sévère.

La nomenclature

Voici un lexique pour reconnaître, selon le suffixe, les Ac d’origine animale ou humaine, ou encore chimérique. Les effets secondaires sont souvent liés à l’origine cellulaire de la molécule.

– Ac chimériques (homme/souris) : « -ximab » (exemple : infliximab).

– Ac humanisés : « -zumab » (exemple : omalizumab).

– Ac humains purs : « -mumab » (exemple : adalimumab).

BILAN PRÉ-THÉRAPEUTIQUE

Le bilan pré-thérapeutique, qui est indispensable, traduit le risque potentiel des biothérapies, avant tout infectieux (3). Il se fait grâce à l’interrogatoire, l’examen clinique et des examens complémentaires :

→ Recherche d’antécédents:

• personnels d’infections sévères chroniques et/ou récidivantes,

• personnels ou familiaux de tuberculose, une vaccination par le BCG,

• personnels de cancer ou des lésions pré-cancéreuses,

• personnels d’insuffisance cardiaque,

• personnels ou familiaux de sclérose en plaques.

→ Interrogatoire et examen:

• examen cutané à la recherche de lésions suspectes,

• absence de grossesse en cours ou de désir de grossesse immédiat.

→ Dépistage:

• faire les dépistages, selon les recommandations officielles, en fonction de l’âge et du sexe, des cancers du côlon, sein et prostate,

• effectuer une radiographie pulmonaire et une intra-dermo réaction à la tuberculine ou dosage sanguin (Quantiféron®), à la recherche d’un contact antérieur avec la tuberculose ou d’une tuberculose latente,

• rechercher des foyers infectieux, notamment dentaires et ORL.

→ Bilan sanguin avec:

• numération de formule sanguine et plaquettes,

• bilan hépatique,

• sérologies des virus des hépatites B et C et du VIH,

• Ac anti-nucléaires.

COMPLICATIONS ET SURVEILLANCE

L’utilisation de ces molécules doit s’accompagner d’une surveillance renforcée de leurs effets secondaires, et le généraliste y prend une place prépondérante (4).

Les risques à long terme de ces traitements commencent à être connus, les registres pour les anti-TNF ayant plus de 10 ans maintenant.

■ Risque infectieux : il augmente surtout avec le recours aux anti-TNF-α, notamment le risque de réactivation de la tuberculose, même si globalement ce risque reste faible (moins de 5 % des malades) (5).

Les infections, essentiellement bactériennes ou virales, touchent surtout les voies aériennes supérieures, le poumon, les voies urinaires et la peau. Ce risque se manifeste principalement dans les 6 premiers mois du traitement.

La réactivation virale de l’HBV est à prendre en considération et à dépister systématiquement avant la mise sous anti-TNF, une sérologie complète étant requise. Chez un malade non immunisé, la vaccination est recommandée.

Cette réactivation est moins fréquente avec le récepteur soluble (étanercept).

Un traitement prophylactique de la tuberculose latente devrait être institué au moins 3 semaines avant le début du traitement médicamenteux en cas de résultat positif au dépistage, avec prescription d’une antibioprophylaxie de type rifampicine-isoniazide pendant 3 mois, ou de l’isoniazide pendant 9 mois (recommandations HAS).

■ Risque de néoplasie : le risque de cancer ou de lymphome est accru de base au cours de certaines maladies inflammatoires (PR surtout) (6). Dans les populations de PR traitées par anti-TNF, par rapport aux patients traités de manière conventionnelle, les derniers résultats obtenus par l’observatoire français Ratio (Recherche axée sur la tolérance des biothérapies) suggèrent que les anticorps monoclonaux ne modifient pas ce risque et que les récepteurs solubles (étanarcept) pourraient le diminuer (6).

Les seuls types de cancer les plus fréquents avec l’emploi d’un anti-TNF sont les cancers de la peau (basocellulaires, épidermoïdes, rarement les mélanomes), notamment au cours de la première année de traitement. Une surveillance dermatologique annuelle est donc recommandée. Mais globalement, le risque oncologique reste très faible.

■ Réaction allergique : des réactions immédiates peuvent survenir pendant l’administration du produit (en perfusion) ou dans les heures qui suivent (frissons, nausées, céphalées, éruption cutanée urticarienne, hypertension…). Les réactions cutanées au point d’injection s’observent surtout au début et disparaissent progressivement, ne justifiant pas l’arrêt du traitement. Pour en réduire le risque, on peut laisser le produit de 15 à 30 minutes à température ambiante et l’injecter lentement. Ces réactions allergiques sont en lien avec l’apparition d’auto-anticorps dirigés contre les bio-médicaments. Cette apparition, différente entre les classes thérapeutiques, explique la perte d’efficacité thérapeutique, même en l’absence de signes cliniques (surtout pour les anti-TNF).

■ Réactions inflammatoires paradoxales et manifestations auto-immunes : des réactions inflammatoires paradoxales, surtout sous anti-TNF, ont été rapportées – aggravation ou apparition d’un psoriasis, d’une uvéite, d’une maladie de Crohn, etc. Elles régressent le plus souvent, au besoin avec un traitement local, mais la réévaluation du traitement ou un changement de produit s’impose en cas de troubles sévères.

■ Pathologies cardiovasculaires : en présence d’une insuffisance cardiaque décompensée ou d’un syndrome coronarien, la thérapeutique doit être stoppée immédiatement.

Mais l’effet des anti-TNF sur le système cardio-vasculaire est double : les maladies inflammatoires s’accompagnent généralement d’un surrisque cardio-vasculaire lié à l’inflammation elle-même, en favorisant l’athérosclérose ; les anti-TNF peuvent donc aussi présenter un effet bénéfique en réduisant cette inflammation et donc l’athérosclérose. Ceci est suggéré par de nombreuses études d’imagerie carotidienne, sans preuve clinique formelle à ce jour (7).

■ Planification d’une grossesse ou d’une paternité : de façon générale, il paraît préférable (principe de précaution) d’arrêter les bio-médicaments avant la conception et pendant la grossesse. Pour les anti-TNF, l’expérience permet de les poursuivre si nécessaire (aucun risque malformatif rapporté). L’allaitement maternel n’est pas recommandé non plus car la plupart des molécules passent dans le lait. Seul le certolizumab a l’AMM pour la grossesse et l’allaitement.

■ Vaccination et biothérapie : chez les patients sous biothérapie, il faut éviter les vaccins vivants. Le 16 février 2013, la Haute Autorité de santé a publié les nouvelles recommandations vaccinales spécifiques aux patients atteints de maladies auto-immunes et traités par corticoïdes et/ou immunosuppresseurs et/ou biothérapie(s) :

• vaccins contre-indiqués : BCG, fièvre jaune, ROR, varicelle,

• vaccins spécifiquement recommandés : grippe saisonnière (vaccin inactivé), pneumocoque, qui est effectué dès l’induction du traitement,

• et bien sûr les vaccins recommandés pour la population générale : diphtérie, tétanos, poliomyélite et coqueluche, Haemophilus influenzae de type B, hépatite B, méningocoque C (conjugué), papillomavirus.

■ Cas spécifiques des anti-IL-17 (sécukinumab, ixékizumab, brodalumab) : l’IL-17 assure l’immunité des muqueuses. Cette classe de traitement est donc responsable dans moins de 5 % des cas de candidoses buccales ou génitales généralement bien contrôlées par des traitements locaux (amphotéricine B, par exemple).

■ Biothérapies et période péri-opératoire

Il existe des recommandations pour définir la période d’arrêt d’une biothérapie avant une intervention chirurgicale ou des soins dentaires (8). En fait, l’expérience montre que ces arrêts sont sans doute excessifs. Un essai récent encore non publié montre qu’il n’existe aucun surrisque infectieux chez les patients sous biothérapie, même après une chirurgie lourde (9).

RÔLE DU MÉDECIN TRAITANT

La coordination entre prescripteur et médecin traitant est importante. Ce dernier est impliqué à plusieurs niveaux à la fois dans : le diagnostic précoce de la maladie inflammatoire, la première biologie spécifique demandée (facteurs rhumatoïdes, anticorps anti-CCP, anticorps anti-nucléaires si pathologie rhumatismale), la demande d’examens d’imagerie, l'adaptation du traitement antalgique, le renouvellement de traitements conventionnels comme le méthotrexate, la surveillance biologique, l'évaluation des facteurs de risque cardiovasculaire, la réalisation et la mise à jour des vaccinations (vaccins du calendrier vaccinal auxquels s'ajoutent les vaccins contre la grippe et le pneumocoque), le bilan pré-thérapeutique, la gestion des effets indésirables (dont les infections +++), les conseils à donner aux patients dans certaines circonstances (voyages, grossesse, chirurgie…). Il peut s’occuper du bilan pré-biothérapie vu plus haut. La vaccination du patient et de son entourage est une mesure préventive importante pour réduire le risque infectieux. Il s’assurera aussi de la vaccination anti-grippale annuelle systématique de ces malades souvent jeunes.

Si les vaccins inactivés ou non vivants peuvent être réalisés sans arrêter le biomédicament, les vaccins vivants sont contre-indiqués sous biomédicament et nécessitent un arrêt de 3 mois (6 mois pour le rituximab) avant leur réalisation.

Notons enfin la très bonne tolérance globale des biothérapies : la plupart du temps, aucun examen biologique n’est requis pour la surveillance (contrairement au méthotrexate par exemple).

POINTS CLÉS

• Les biothérapies sont de plus en plus prescrites dans les maladies inflammatoires dermatologiques, rhumatologiques et gastro-entérologiques.

• Leur tolérance est globalement bonne car ce sont des traitements ciblés sur une cytokine donnée.

• Leur surveillance est clinique, aucun examen complémentaire n’est habituellement requis.

• Le rôle du généraliste est important, notamment dans la surveillance des obligations vaccinales chez ces malades.

Bibliographie

1- Sibilia J, Duzanski MO, Varoqier C, Sordet C, Chatelus E, Gottenberg JE. Biomédicaments et molécules immunomodulatrices et immunosuppressives. EMC – Traité de Médecine Akos 2012 ; 7(4) : 1-11 (Article7-2010).

2- Adrian F, Ochsenbein M. Anticorps monoclonaux comme substances thérapeutiques. Forum Med Suisse 2008 ; 8 (8) : 140–143.

3- Lessard C. Les 10 concepts-clés à connaître sur les biothérapies. Le Médecin du Québec, volume 47, numéro 11, novembre 2012.

4- Arnaud L, Julien Haroche J, Piette JC, Amoura Z. Biothérapies des maladies auto-immunes: quelles perspectives ? Médecine thérapeutique. Volume 15, Numéro 2, 75-86, avril-mai-juin 2009, Dossier.

5- Furst DE. The risk of infections with biologic therapies for rheumatoid arthritis. Semin Arthritis Rheum 2010 ; 39 (5) : 327-46.

6- Askling J, Fahrbach K, Nordstrom B. Cancer risk of tumor necrosis factor alpha (TNF) inhibitors : meta-analysis of randomized controlled trials of adalimumab, etanercept, and infliximab using patient level data. Pharmacoepidemiol Drug Saf 2011 ; 20 (2) : 119-30.

7- Singh JA, Wells VA, Christensen R. Network meta-analysis of randomized clinical trials of biologics for all conditions: A 2011 Cochrane overview: SAEs and SIs. Cochrane Libr 2011, Issue 2.

8- Härle P, Straub RH, Fleck M. Perioperative management of immunosuppression in rheumatic diseases-what to do ? Rheumatol Int 2010 ; 30 (8) : 999-1004.

9- Essai SHARP. Abbvie. Adalimumab avant chirurgie dans l’hidradénite suppurée. Présenté en abstract au congrès européen sur l’hidradénite suppurée (Athènes 2020).

Liens d'intérêts

L’auteur déclare être consultant et orateur pour les laboratoires AbbVie, Janssen, Leo Pharma, Lilly, MSD, Novartis.

 

Dr Pierre-André Becherel (dermatologue, unité de dermatologie et immunologie clinique, hôpital privé d’Antony)

Source : lequotidiendumedecin.fr