Sécurité d’emploi et efficacité de la digoxine : revue systématique et méta-analyse des études observationnelles et des essais randomisés
ZifF O, Lane DA, Samra M et al. Safety and efficacy of digoxin: systematic review and meta-analysis of observational and controlled trial data. BMJ 2105;351:h4451.
CONTEXTE
La digitaline est un médicament ancien, principalement utilisé dans l’insuffisance cardiaque (IC) et dans la fibrillation auriculaire (FA). L’arrivée des inhibiteurs de l’enzyme de conversion (IEC), des bêtabloquants (BB) et de la spironolactone dans l’insuffisance cardiaque (IC), celle de l’amiodarone et des BB dans la FA et, enfin, les données scientifiques récentes sur l’éventuelle surmortalité liée à la digoxine (1) ont considérablement diminué son utilisation (2).
OBJECTIF
Évaluer l’effet de la digoxine en termes de surmortalité et de survenue d’événements CV dans les études observationnelles et les essais randomisés comparatifs (ERC) publiés entre 1960 et 2014 et démontrer que les résultats contradictoires observés étaient principalement dûs à l’hétérogénéité des études.
MÉTHODE
› Revue systématique et méta-analyse. Les auteurs ont répertorié toutes les études observationnelles et essais randomisés ayant comparé la digoxine au placebo ou à l’absence de traitement selon la procédure PRISMA (3). Deux des auteurs ont indépendamment extrait les données, évalué la qualité méthodologique et biostatistique des études ainsi que leurs risques de biais selon la procédure RoBANS (4). Les discordances ont été résolues à l’aide d’un expert indépendant. Le critère de jugement principal était la mortalité toutes causes. Le critère composite de jugement secondaire regroupait la mortalité CV, les hospitalisations quelle qu’en soit la cause, les accidents vasculaires cérébraux et les IDM. La méta-analyse a été réalisée à l’aide d’un modèle à effet aléatoire tenant compte des méthodes d’analyses statistiques utilisées. Une méta-régression a été faite afin d’évaluer si les différences à l’inclusion observées dans les études observationnelles pouvaient expliquer la surmortalité soupçonnée de la digoxine.
RÉSULTATS
› 52 études conformes aux critères d’inclusion ont été retenues dont 26 études de cohorte rétrospectives ou prospectives, 9 analyses post-hoc d’essais randomisés, et 7 ERC. 41 études étaient appropriées pour les méta-analyses. La population incluse comportait 621 845 patients avec un suivi médian de 3,7 ans (± 2,4).
Dans les études de cohorte, les patients sous digoxine étaient significativement plus âgés (+2,4 ans), avaient une fraction d’éjection systolique plus altérée (33 % vs 42 %), davantage de diabète, de traitements diurétiques et de médicaments anti-arythmiques que les patients sans digoxine, signant une pathologie plus sévère.
› Dans ces études de cohorte, le surrisque de décès était de 1,76 (IC95 % = 1,57-1,97) dans les 33 analyses non ajustées, 1,61 (IC95 % = 1,31-1,97) dans les 22 analyses ajustées et 1,18 (IC95 % = 1,09-1,26) dans les 13 analyses sur score de propension. Il était non significatif : RR = 0,99 (IC95 % = 0,93-1,05) dans les 7 ERC.
› La méta-régression a confirmé que les différences de caractéristiques observées à l’inclusion dans les études de cohorte expliquaient la surmortalité.
› Les études disposant des méthodes les plus solides et des risques de biais les plus faibles montraient un effet neutre de la digoxine sur la mortalité totale. Quel que soit le type d’étude, la digoxine réduisait le risque d’hospitalisation toutes causes : RR = 0,92 ; IC95 % = 0,89-0,95.
COMMENTAIRES
Les auteurs avaient pour objectif de démontrer que le prétendu surrisque de mortalité de la digoxine était lié à la qualité insuffisante des études observationnelles qui le sous-tendait. À l’aide de méta-analyses, ils ont indirectement comparé les résultats des études de cohorte (avec différents types d’analyses statistiques) à ceux des ERC, considérés comme ayant le plus haut niveau de preuve. Ils concluent que, dans les ERC, la digoxine a un effet neutre sur la mortalité, et que le surrisque observé dans les études de cohorte est lié à leur moins bonne qualité, quelle que soit la méthode statistique employée.
› Le principal et sérieux défaut de ce travail est qu’il s’est comparé au placebo où à l’absence de traitement et pas aux traitements modernes de l’IC (IEC et BB) ou de la FA. Il est donc impossible de situer la digoxine dans la stratégie thérapeutique.
Le lecteur attentif pourrait se demander pourquoi les auteurs se sont lancés dans ce travail d’un autre âge, sophistiqué, complexe et à haut risque financé par une fondation attachée à l’université de Birmingham. La première raison est qu’en Angleterre la digoxine coûte 15,4 €/mois (1,99 €/mois en France), prix très inférieur aux médicaments plus récents. La seconde est peut-être que les auteurs appartiennent à la même université que William Withering qui a introduit la digitale en cardiologie en 1785.
En pratique, si les patients vont bien sans digoxine, il ne faut rien changer, et s’ils vont bien avec, il ne faut rien changer non plus, tout en surveillant les signes de surdosage.
Mise au point
Troubles psychiatriques : quand évoquer une maladie neurodégénérative ?
Étude et pratique
Complications de FA, l’insuffisance cardiaque plus fréquente que l’AVC
Cas clinique
L’ictus amnésique idiopathique
Recommandations
Antibiothérapies dans les infections pédiatriques courantes (2/2)