INTRODUCTION
Les dyslipidémies représentent un facteur de risque cardio-vasculaire majeur et ce d’autant qu’elles sont associées à un tabagisme, un diabète ou une hypertension artérielle.
La prise en charge des dyslipidémies a été modifiée récemment, à partir des dernières recommandations de l’European Society of Cardiology (ESC) de 2019. Dans cette mise au point, nous aborderons, après avoir défini les dyslipidémies et l’évaluation du risque cardiovasculaire, la meilleure façon de détecter une atteinte athéromateuse, les différents objectifs et les thérapeutiques à proposer. Nous ne traiterons pas de l’hypercholestérolémie familiale.
■ Les dyslipidémies : de quoi parle-t-on ?
Il s’agit d’évaluer chez un patient le taux de cholestérol, de HDL-cholestérol, LDL-cholestérol et des triglycérides. Le taux de cholestérol total (CT) dans la population française est en moyenne de 2,20 g/l ; au-dessus de ce seuil, on parle d’hypercholestérolémie. Le taux idéal pour la santé doit être inférieur à 2 g/l. Chez l’adulte, il est préférable de doser le HDL-c et le LDL-c. Le taux de HDL-c est normalement compris entre 0,40 et 0,60 g/l ; et le taux de LDL-c normalement compris entre 1 et 1,60 g/l. Le taux de triglycérides doit être inférieur à 1,5 g/l.
ÉVALUATION DES RISQUES
Le risque cardiovasculaire total
Si l’on se base sur les recommandations de European Society of Cardiology, l’appréciation du niveau de risque est à la base de la prise en charge des dyslipidémies (1). L’évaluation du risque cardiovasculaire total se fait à partir du diagramme Score (TAB 1) qui évalue la mortalité cardiovasculaire à 10 ans (2).
Ce diagramme ne s’applique pas en prévention secondaire, en cas d’insuffisance rénale ou d’hypercholestérolémie familiale. En effet, ces patients à très haut risque cardiovasculaire nécessitent une prise en charge intensive de leurs facteurs de risque.
Les dernières recommandations de l'ESC apportent quelques changements au diagramme Score : ainsi, la tranche des 70 ans a été créée, une interaction entre âge et autres facteurs de risque apparaît et enfin, la tranche d’hypercholestérolémie 8 mmol/l a été supprimée. L’écueil de cette grille Score est lié à l’absence de renseignement sur un diabète, et ne tient pas compte du LDL-c.
Au final, la stratification du niveau de risque cardiovasculaire total s’établit en 4 niveaux :
• faible risque : patients ayant un Score < 1 %.
• risque modéré : patients ayant un diabète depuis moins de 10 ans (avant 35 ans pour un diabète de type 1, avant 50 ans pour un type 2) sans autre facteur de risque, avec une grille Score comprise entre 1 et 5 %.
• risque élevé : patients ayant un facteur de risque cardiovasculaire majeur (CT > 3,1 g/l ou LDL-c > 1,9 g/l ou pression artérielle ≥ à 180/110 mmHg) ou atteints d’une hypercholestérolémie familiale ou d’un diabète depuis plus de 10 ans non compliqué avec d’autres facteurs de risque ou porteurs d’une insuffisance rénale modérée (DFG entre 30 et 50 ml/min/1,73m²). Le Score est entre 5 et 10 %.
• risque très élevé : patients porteurs d’une maladie athéromateuse sévère ou d’un diabète compliqué (rétinopathie, neuropathie, microalbuminurie) ou associé à plus de trois facteurs de risque, ou atteints d’une insuffisance rénale sévère (DFG < 30 ml/min/1,73 m²) ou encore d’une hypercholestérolémie familiale avec maladie athéromateuse. Le Score est ≥ 10 %.
L’atteinte athéromateuse (3-4)
La détection de l’atteinte athéromateuse fait appel à l’évaluation par échographie carotidienne ou fémorale de la charge athéromateuse. La mesure du score calcique est recommandée chez certains patients.
→ Le score calcique coronaire (calcium score = CAC Score = cononary artery calcium scoring) est une évaluation chiffrée qui représente l’étendue des dépôts athéromateux dans les artères coronaires. Cette mesure qui se fait par scanner est recommandée chez les patients à risque bas ou intermédiaire. Quand ce risque est élevé, cette investigation du score calcique est inutile. Ce score est le plus puissant marqueur du risque d’accident cardiaque actuellement disponible.
À partir des résultats obtenus, on peut distinguer schématiquement trois situations et donc trois types de prise en charge préventive :
• Score < à 100 : l’athérome coronaire est peu important, le risque est faible.
• Score entre 100 et 400 : athérome coronaire débutant, dont l’importance est modérée. Il faut renforcer la lutte contre les facteurs de risque de façon médicamenteuse ou non médicamenteuse (activités physiques, régime alimentaire adapté, perte de poids…).
• Score > à 400 : lésions nombreuses et significatives nécessitant de prolonger les investigations, notamment avec une recherche d’ischémie : test d’effort, scintigraphie myocardique d’effort, écho ou IRM de stress. Parallèlement, il faut renforcer le contrôle des facteurs de risque.
PRISE EN CHARGE
Le bilan lipidique à pratiquer
Il est classique : CT, LDL-c, HDL-c, triglycérides. Actuellement, le non-HDLc (utilisé plus particulièrement chez les patients obèses, diabétiques avec hypertriglycéridémie ou taux très bas de LDL) est recommandé en pratique courante pour estimer le risque et la prise en charge de la dyslipidémie. Le dosage de l’apolipoprotéine B est recommandé chez les patients obèses ou avec syndrome métabolique, diabétiques, avec hypertriglycéridémie ou taux très bas de LDL-c.
La stratégie de prise en charge
Cette stratégie dépend du risque cardiovasculaire et du niveau de LDL-c. En fonction du Score risque et du LDL-c, on adopte des mesures diététiques ou des modifications du mode de vie (arrêt du tabagisme, conseils diététiques, activité physique…) ainsi qu’un traitement médicamenteux. Pour avoir le détail de cette prise en charge : https://www.portailvasculaire.fr/sites/default/files/docs/2019_esc-eas_…
Les objectifs thérapeutiques
→ En premier lieu, il convient d’établir une modification du mode de vie (5-6) :
• une alimentation saine et équilibrée pauvre en graisses à partir de cinq fruits et légumes par jour, poissons, viandes blanches, céréales complètes, légumineuses…
• l'arrêt du tabac,
• une activité physique et régulière de 30 à 60 minutes par jour,
• une réduction pondérale afin d’obtenir un indice de masse corporelle entre 20 et 25, un tour de taille < à 94 cm pour les hommes, < 80 cm pour les femmes,
• une pression artérielle < à 140/90 mmHg.
→ Les objectifs thérapeutiques sont principalement liés à des paramètres biologiques :
• Un taux de LDL-c :
- < 0,55 g/l en prévention secondaire ou chez les patients à très haut risque,
- < 0,7 g/l chez les patients à haut risque,
- < 1 g/l chez les patients à risque modéré,
- < 1,16 g/l chez les patients à bas risque.
• Un niveau de l'apolipoprotéine B :
- < 0,65 g/l chez les patients à très haut risque,
- < 0,8 g/l chez les patients à haut risque,
- < 1 g/l chez les patients à risque modéré.
• Le taux de triglycérides doit être < 1,5 g/l.
• Une HbA1c < 7 %. Dans le cas du diabète de type 2, l’ESC recommande une réduction de plus de 50 % du taux de LDL-c et une cible < 0,55 g/l chez les patients à très haut risque cardiovasculaire et < 0,7 g/l chez les patients à haut risque cardiovasculaire.
Les thérapeutiques médicamenteuses
Selon les dernières études, une baisse en moyenne de 1 mmol/l de LDL-c s’accompagne d’une réduction des événements cardiovasculaires majeurs de 22 %, des événements coronariens de 23 %, des décès cardiovasculaires de 20 %, des AVC de 17 % et de la mortalité totale de 10 % sur 5 ans.
■ Les statines Le recours à de fortes doses de statine est recommandé afin d’atteindre l’objectif de LDL-c ; elles sont également recommandées en première intention dans les hypercholestérolémies associées. Il convient dans tous les cas de privilégier les statines les plus efficientes que sont la simvastatine et l’atorvastatine, sans oublier la rosuvastatine qui est prescrite de façon assez large en pratique de ville. Les dosages varient de 5 à 80 mg en fonction de la statine (voir TAB. 2).
Le suivi de la prise en charge de l’hypercholestérolémie L’effacité de la prise en charge doit être évaluée dans un délai de 12 à 24 semaines pour les niveaux de risque cardiovasculaire faible et modéré, et de 8 à 12 semaines pour les niveaux haut et très haut risque. Il est recommandé de solliciter un avis spécialisé sur les options de traitement d’un patient à RCV élevé intolérant aux statines.
La surveillance hépatique (ALAT) est la suivante :
• Avant le traitement
• 8 semaines après le début du traitement médicamenteux ou après toute augmentation de la posologie.
• Ensuite, tous les ans si ALAT < 3 x N (normale).
• Si ALAT ≥ 3 x N : arrêter la statine ou réduire la posologie, contrôler les enzymes hépatiques après 4 à 6 semaines et réintroduire prudemment le traitement lorsque les ALAT sont revenues à une valeur normale.
La surveillance musculaire repose sur les éléments suivants :
• Il n’est pas utile de doser la créatine kinase (CK) chez les patients traités par hypolipémiant avant le début du traitement, sauf dans les situations à risque suivantes : douleurs musculaires préexistantes, insuffisance rénale modérée à sévère, hypothyroïdie, antécédents personnels ou familiaux de maladie musculaire génétique, abus d’alcool, âge supérieur à 70 ans, d’autant plus qu’il existe d’autres facteurs de risque musculaire.
• Si le taux de CK initial est > 5 x N, il est recommandé de ne pas instaurer de traitement médicamenteux et de contrôler de nouveau les enzymes musculaires.
Il est recommandé de mettre en place une démarche d’éducation thérapeutique pour améliorer le respect des modifications du mode de vie et favoriser l’adhésion du patient à son traitement médicamenteux.
La consommation de pamplemousse ou de son jus est déconseillée avec un traitement par simvastatine.
En cas d’effets indésirables avec une statine, il convient de discuter avec le patient des différentes stratégies possibles :
• arrêter la statine et la réintroduire à la résolution des symptômes pour vérifier que ceux-ci sont liés à la statine ;
• réduire la dose en proposant la statine un jour sur deux, ce qui est fréquemment fait en pratique de ville, ou remplacer par une autre statine de même intensité ;
• en l’absence d’amélioration de la tolérance, prescrire une statine d’intensité inférieure.
■ Les inhibiteurs de l’absorption du cholestérol L’ézétimibe est utilisé en 2e intention en association avec les statines si l’objectif n’est pas atteint ou en cas d’intolérance à ces dernières. Les associations simvastatine/ézétimibe, atorvastatine/ézétimibe sont très largement utilisées chez les patients à risque élevé et très haut risque avec la surveillance clinique et biologique habituelle.
■ Les inhibiteurs des PCSK-9 (7-8-9) Ils ont été proposés à partir de deux études : l’étude Fourier avec l’évolocumab réduisant de 15 % les événements cardiovasculaires à 2 ans, et l’étude Odyssey montrant quant à elle une efficacité du même ordre que l’alirocumab. Ces deux médicaments sont indiqués en prévention primaire et secondaire chez les patients à très haut risque cardiovasculaire en cas de non atteinte des objectifs de LDL-c avec une dose maximale tolérée de statine et d’ézétimibe.
■ Les autres molécules (10) Les fibrates et les oméga-3 ne sont recommandés qu’en cas d’hypertriglycéridémie associée avec un niveau de preuve faible.
DIX MESSAGES A RETENIR
1- La prévention des maladies cardiovasculaires repose sur la modification du mode de vie avec une alimentation équilibrée, la normalisation de l’IMC, une activité physique régulière, ceci pendant toute la vie associée à la correction des facteurs de risque classiques (HTA, tabac, diabète,...)
2 - Il faut dépister tout homme ≥ 40 ans ou femme ≥ à 50 ans pour la recherche d’athérosclérose. Cette recherche doit être plus précoce si le risque cardiovasculaire est élevé, notamment en cas de présence de facteurs de risque majeurs (tabac, diabète, HTA, dyslipidémie, hérédité).
3 - Les outils recommandés par l’ESC pour le dépistage et la stratification du risque sont l’évaluation du risque global, notamment avec l’échelle de risque Score, et avec deux examens de première intention : le doppler des troncs supra-aortiques et des artères des membres inférieurs, ainsi que le score calcique coronaire.
4 - Les adultes âgés de 40 à 75 ans qui sont évalués pour la prévention des maladies cardiovasculaires par le risque Score doivent bénéficier d'une discussion avec le médecin avant de commencer un traitement pharmacologique telle qu’une statine.
5 - Le traitement par statine est le traitement de première intention pour la prévention primaire d’une maladie cardiovasculaire chez les sujets qui ont une cholestérolémie de LDL-c augmenté au-delà de 1,9 g/l, d’autant plus s’il existe des facteurs de risque associés (diabète, tabac, hypertension artérielle...).
6 - Les dernières recommandations de l’ESC confirment le concept « lower is better » chez les patients à haut et très haut risque cardiovasculaire (en post-infarctus, après un AVC…) avec de nouvelles cibles à atteindre en matière de réduction du taux de LDL-c en utilisant les statines.
7 - En France, selon les recommandations de la HAS, il convient d’abaisser le LDL-c en deçà de 0,7 g/l après un syndrome coronaire aigu.
8 - Dans les cas particuliers où il convient de faire baisser le LDL-c en deçà de 0,7 g/l, l’association de l’ézétimibe à de fortes doses de statine est souvent conseillée.
9 - Les inhibiteurs des PCSK-9 sont de nouveaux médicaments qui, associés aux statines et à l’ézétimibe, vont permettre de faire baisser de façon drastique le LDL-c. Ils sont en attente de mise sur le marché.
10 - Le rôle du généraliste, en première ligne pour initier le dépistage et la prévention cardiovasculaire des patients, est majeur. Il apparaît justifié que le généraliste prescrive d’emblée les examens de dépistage nécessaires et puisse suivre le patient en coordination avec le cardiologue.
Bibliographie
1 - Francois Mach, Colin Baigent , Alberico L. Catapano, et al. 2019 ESC/EAS Guidelines for themanagement of dyslipidaemias: lipid modification to reduce cardiovascular risk. The Task Force for the management of dyslipidaemias of the European Society of Cardiology (ESC) and European Atherosclerosis Society (EAS). European Heart Journal ( aout 2019) 00, 1_78.
2 - HAS. Synthèse fiche mémo. Principales dyslipidémies : stratégies de prise en charge. Février 2017.
3 - Donna K. Arnett, MSPH, FAHA, et al. ACC/AHA CLINICAL PRACTICE GUIDELINE. 2019 ACC/AHA Guideline on the Primary Prevention of Cardiovascular Disease A Report of the American College of Cardiology/American Heart. Association Task Force on Clinical Practice Guidelines. Circulation September 2019;140:e596–e646.
4 - Rosembaum D, unité de prévention des maladies cardiovasculaires Pole Cœur Métabolisme, Hôpital Pitié Salpêtrière. Le score calcique en pratique. Recommandations Cœur, Diabete, Metabolisme CORDIAM Avril 2016.
5 - Neumann A, Lindholm L, Norberg M, et al. The cost-effectiveness of interventions targeting lifestyle change for the prevention of diabetes in a Swedish primary care and community based prevention program. Eur J Health Econ 2017;18:905_919.
6 - Ahern AL, Wheeler GM, Aveyard P, et al. Extended and standard duration weight-loss programme referrals for adults in primary care (WRAP): a randomised controlled trial. Lancet 2017;389:2214_2225.
7 - Arrieta A, Hong JC, Khera R, et al. Updated costeffectiveness assessments of PCSK9 inhibitors from the perspectives of the health system and private payers: insights derived from the FOURIER trial. JAMA Cardiol 2017;2:1369_1374.
8 - Annemans L, Packard CJ, Briggs A, et al. ‘Highest risk-highest benefit’ strategy: a pragmatic, cost-effective approach to targeting use of PCSK9 inhibitor therapies. Eur Heart J 2018;39:2546_2550.
9- Ray KK, Colhoun HM, Szarek M, et al. ODYSSEY OUTCOMES Committees and Investigators. Effects of alirocumab on cardiovascular and metabolic outcomes after acute coronary syndrome in patients with or without diabetes: a prespecified analysis of the ODYSSEY OUTCOMES randomised controlled trial. Lancet Diabetes Endocrinol 2019; pii: S2213-8587(19)30158-5. S2213-8587(19)30158-5.
10 - Arca M, Borghi C, Pontremoli R, et al. Hypertriglyceridemia and omega-3 fatty acids: their often overlooked role in cardiovascular disease prevention. Nutr Metab Cardiovasc Dis2018;28:197_205.
Liens d'intérêts
Pour cet article, l’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt.
Mise au point
Troubles psychiatriques : quand évoquer une maladie neurodégénérative ?
Étude et pratique
Complications de FA, l’insuffisance cardiaque plus fréquente que l’AVC
Cas clinique
L’ictus amnésique idiopathique
Recommandations
Antibiothérapies dans les infections pédiatriques courantes (2/2)