Les perturbateurs endocriniens sont « des agents exogènes naturels ou de synthèse, capables d’entraîner des effets délétères sur un organisme vivant ou sa descendance en interférant avec la synthèse, le stockage, le transport, le métabolisme, la fixation, l’action ou l’élimination d’une hormone endogène intervenant dans les mécanismes de régulation du développement ou de l’homéostasie. »
À certaines périodes de la vie ou fenêtres d’exposition critiques, la sensibilité est plus importante, en particulier lors de la période préconceptionnelle, la grossesse, l’allaitement, la petite enfance et la puberté.
Plusieurs substances sont incriminées : pesticides, retardateurs de flamme, déchets industriels (dioxine, hydrocarbures aromatiques polycycliques), plastiques (phtalates, Bisphénol A), isolants électriques (PCBs) aujourd’hui interdits mais toujours présents dans les nappes phréatiques, métaux lourds (cadmium, présent dans le tabac), plomb, arsenic, mercure, résidus de médicaments.
INTRODUCTION
Les risques inhérents aux toxiques sont connus depuis des siècles, mais la connaissance des polluants chimiques à activité endocrinienne ou perturbateurs endocriniens environnementaux (PEEs) est plus récente. La médecine environnementale est un concept nouveau, à la frontière de différentes disciplines dont les fondements sont parfois éloignés. La mise en commun des avancées dans ces milieux de recherche a permis l’émergence d’une réflexion nouvelle commune à la médecine, l’écologie, la toxicologie, l’environnement, la chimie et la santé publique.
L’histoire des PEEs débute en 1991. Lors de la Conférence Wingspread, des scientifiques et chercheurs soulignent le risque des produits chimiques et leur effet comme perturbateur du système endocrinien : « De nombreux composés introduits dans l’environnement par l’activité humaine sont capables de perturber le système endocrinien des êtres vivants, y compris les poissons, la faune et les humains. »
Au fil des dernières décennies, notre vie quotidienne s’est modifiée grâce aux avantages apportés par la chimie et les nouvelles technologies. Mais les effets secondaires et toxiques de ces produits apparaissent et sont rapportés dans des études environnementales, écologiques, scientifiques et médicales.
L’exposition aux perturbateurs endocriniens environnementaux pendant le développement peut induire des anomalies dans l’enfance et des pathologies à l’âge adulte.
EXPOSITION AUX PERTURBATEURS ENDOCRINIENS
La population est exposée de façon ubiquitaire et quotidienne à de faibles doses de PEEs. Les voies de contamination sont la respiration, l’ingestion, la voie cutanée. Les sources de contamination passent par l’eau, l’alimentation, l’air, les cosmétiques…
Certains milieux professionnels sont particulièrement concernés, tant par la production que par l’utilisation de produits toxiques : agriculture (pesticides, herbicides, insecticides) industries pharmaceutiques et chimiques (fabrication de pesticides, matières plastiques, colles, peintures…).
Les PEEs ont des effets néfastes sur le développement et peuvent programmer à distance la survenue d’anomalies ou de pathologies chroniques.
Ils ont été impliqués sur la base d’études épidémiologiques humaines et expérimentales animales dans la survenue d’anomalies des organes génitaux sexuels masculins : hypospadias, cryptorchidie et diminution de la distance anogénitale (1, 2, 3, 4, 5), dans les troubles de la reproduction avec diminution de la qualité du sperme (6, 7), baisse de la fertilité, puberté précoce, endométriose, SOPK, avortements à répétition, insuffisance ovarienne précoce (8). Ils ont été aussi impliqués dans les troubles neuro-développementaux (syndrome d’hyperactivité, troubles de l’attention, autisme) (10, 11) et dans la prévalence accrue de maladies chroniques : diabète de type 2, obésité, maladies cardiovasculaires et cancers hormonodépendants.
QUELS CONSEILS AVANT LA GROSSESSE ?
La prévention sera le meilleur atout. Il faut conseiller les femmes et leurs conjoints, surtout avant et pendant la grossesse, en prenant le temps de leur prodiguer des explications et des recommandations claires et simples :
→ Le tabac, l’alcool, les drogues qui agissent comme des PEEs (cadmium, benzopyrène, PAHs du tabac) sont interdits ainsi que certains médicaments (même le paracétamol doit être prescrit à la dose la plus faible et pour une courte durée).
→ Les produits alimentaires consommés devraient de préférence être issus de culture biologique, agriculture intégrée, élevage raisonné, sans pesticides, sans hormones et sans additifs.
→ Mieux vaut éviter de consommer de gros poissons : les grands prédateurs contiennent de fortes teneurs en méthylmercure, et les poissons d’eau douce sont fortement bio-accumulateurs de PCB. Les crustacés présentent une concentration de métaux lourds comme le cadmium. Il est conseillé de consommer du poisson au plus deux fois par semaine en privilégiant les poissons de mer plats de petite taille riches en oméga 3.
→ Ne pas consommer les aliments préemballés dans du plastique ou en boîte de conserve, eau en bouteille ou bonbonne.
→ Pour cuisiner : privilégier certains revêtements anti-adhésifs (acier inoxydable, fonte, fer et porcelaine). Éviter les contenants en plastique (bouilloire, cuit vapeur, biberon, ...). Il faut éviter la cuisson dans l’aluminium (papillotes) et ne pas chauffer au micro-ondes les aliments couverts de film étirable (passage de bisphénol et phtalates dans les aliments gras).
→ En cosmétique, privilégier les produits bio sans parabène, sans triclosan, sans EDTA, sans sels d’aluminium ni filtres chimiques. Il faut bien lire les étiquettes et favoriser les labels bio. Les produits ménagers doivent être bio ou label vert et sans toxique.
→ Lors du jardinage, bricolage et d'utilisation de peintures, il est nécessaire de faire très attention aux composants chimiques toxiques. Il faut apprendre à lire les étiquettes et prendre des produits sans toluène, ni hexane ni cis-CTAC (substances reprotoxiques de catégorie 2).
Pour préparer la chambre de bébé, utiliser des produits de peinture et des revêtements non toxiques ou bios, aérer la pièce. Laisser aérer les meubles en aggloméré deux ou trois mois dans un endroit ventilé avant de les installer dans la chambre. Laisser faire les travaux au futur papa.
→ En cas de métier à risque toxique, chimique ou physique, il faut évaluer les risques pour diminuer l’exposition avant la grossesse. Il faudra demander l’avis au médecin du travail.
→ Toutes ces informations doivent être apportées lors de la consultation préconceptionnelle afin d’éliminer les sources toxiques professionnelles et de diminuer celles environnementales et domestiques. Le but est de limiter l’exposition aux PEEs dès le début de la conception et de l'embryogenèse.
CONSULTATION ENVIRONNEMENTALE : QUAND, QUI, COMMENT ?
En connaissant les enjeux de la toxicité chimique et des PEEs, on devrait proposer cette consultation environnementale le plus tôt possible pour préserver la santé des nouveau-nés. Le moment idéal est donc avant la grossesse, dans le cadre d’une consultation préconceptionnelle. En effet, la première consultation prénatale a lieu généralement entre 8 et 12 semaines de grossesse, ce qui est déjà trop tardif vis-à-vis des recommandations à proposer pour réduire l’exposition fœtale et ses risques. D’où l’intérêt d’une consultation préconceptionnelle pour tous les couples souhaitant avoir un enfant pour y inclure information, prévention et dépistage des expositions à risque.
→ La consultation préconceptionnelle sera organisée pour chaque femme en âge de procréer ayant un désir d’enfant immédiat ou dans un futur proche ; pour les couples suivis en PMA ; entre deux grossesses si elle n’avait pas eu lieu avant ou en post-partum ; après une grossesse avec complication de dysthyroïdie ou de diabète gestationnel ; après un amaigrissement important car les POP (polluants organiques persistants) très lipophiles stockés dans le tissu adipeux sont relargués dans la circulation sanguine comme cela a été très bien montré après chirurgie bariatrique pour un certain nombre de polluants.
→ La consultation préconceptionnelle environnementale peut-être organisée par des médecins généralistes, des gynécologues, des pédiatres ou des sages-femmes. La formation en médecine environnementale s’impose pour les futures générations au cours de leurs études et pour le personnel soignant en formation continue ou formation diplômante.
→ La consultation de médecine environnementale consiste à prendre en charge toutes les femmes et les patientes à risque en leur proposant un sevrage des toxiques : alcool, tabac, drogues, médicaments et une hygiène de vie permettant la diminution de l’exposition aux PEEs environnementaux et domestiques. Les recommandations remises à la patiente doivent être simples, claires et sans accent anxiogène ou culpabilisant (16). Elles permettront de prendre de bonnes habitudes alimentaires, de vie et de travail, en proposant une prise en charge adaptée et propre à chaque femme.
→ On vérifiera chez la future mère l’absence de trouble de la glycémie, d’anémie et d’hypothyroïdie frustre. Parfois (en fonction des risques), le taux de vitamine B9 ou B12 sera corrigé si nécessaire. En présence d’intoxication ancienne, on favorisera la bio-transformation ou la détoxification des substances chimiques par les enzymes hépatiques. Les toxines devenues hydrosolubles pourront être éliminées dans la bile, les urines ou les selles.
→ Dans le cadre de la prévention en médecine environnementale et pour diminuer les risques liés aux PEEs, deux mois avant la conception on conseille la prise d’acide folique, d’iode, de vitamine D et oméga 3. Une information spécifique lors de la consultation préconceptionnelle est préconisée (18). La prise d’acide folique et d’iode en préconceptionnel reste le moyen le plus simple de prévention à l’effet de certains PEEs. En effet, l’acide folique réduit le risque de survenue d'un trouble du spectre autistique lié à l’exposition aux pesticides organochlorés, organophosphorés ou autres PEEs. L'iode est indispensable en cas de tabagisme, d’exposition aux pesticides ou aux POP perturbateurs thyroïdiens (19, 20). L’iode est indispensable à la synthèse des hormones thyroïdiennes, elles-mêmes essentielles pour le développement du système nerveux central fœtal. Lors du premier trimestre de son développement, le fœtus utilise la T4 maternelle qui se transforme en T3 grâce à une désiodase (métalloenzyme au sélénium). Lors des deux trimestres suivants, le fœtus peut synthétiser ces hormones à partir de l’iode maternel qui passe également le placenta. Si en Europe, il n’existe plus de carence iodée chez l’adulte, une exception persiste pour la femme enceinte dont les besoins augmentent par passage vers le fœtus, augmentation de la clairance rénale et de la synthèse des hormones thyroïdiennes maternelles.
→ Pendant la grossesse, une alimentation saine et une activité physique raisonnable sont nécessaires. L’exercice physique régulier favorise l’élimination des toxines qui s’accumulent et saturent l’organisme. La phytothérapie et l'acupuncture sont des moyens de désintoxication et d’accompagnement. Elles peuvent être proposées dès le désir de grossesse afin de favoriser l’élimination de l’organisme des polluants à activité de PEEs.
CONCLUSION
La consultation préconceptionnelle permettra de sensibiliser la femme et son conjoint aux polluants du quotidien et d’envisager une grossesse en réduisant l’exposition aux PEEs afin de veiller à la santé de l’enfant. Réduire l’exposition de la mère par des mesures préventives simples est le pari de demain pour diminuer les pathologies chroniques environnementales de leurs enfants.
POUR EN SAVOIR PLUS
L’appel de FIGO est publié dans l‘International Journal of Gynecology and Obstetrics jeudi 1er octobre 2015
Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail. Femmes enceintes.https://www.anses.fr/fr/lexique/femmes-enceintes
Inpes.Le guide nutrition de la grossesse. www.inpes.santepubliquefrance.fr/CFESBases/catalogue/pdf/1059.pdf
United Nations Environment Program. State of the science on endocrine disrupting chemicals - 2012. OMS, 2013
Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail. évaluation des risques du bisphénol A (BPA) pour la santé humaine. Tome 1 : Avis de l’Anses, rapport d’expertise collective. Anses, mars 2013.
Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé. Complications liées à l’exposition in utero au diéthylstilbestrol (DES) (Distilbène®, Stilboestrol-Borne®). Actualisation 2011. Afssaps, juin 2011.
Bibliographie
1- Auger J. Les différentes anomalies de la reproduction masculine sont-elles en augmentation ? Faits et controverses, possibles facteurs en cause : une analyse actualisée des données de la littérature et des registres. Andrologie. 2011; 21(1):7-23.
2- Skakkebaek NE, Rajpert-De Meyts E, Main KM.Testicular dysgenesis syndrome: an increasingly common developmental disorder with environmental aspects.Hum Reprod. 2001 May;16(5):972-8.
3- Rocheleau CM, Romitti PA, Dennis LK. Pesticides and hypospadias: a meta-analysis. J Pediatr Urol 2009 ; 5 : 17–24. Med Sci (Paris) 2016 ; 32 : 21–26
4- Kalfa N, Philibert P, Baskin LS, Sultan C. Hypospadias: interactions between environment and genetics. Mol Cell Endocrinol 2011;335(2):89–95
5- Brücker-Davis F, Azuar P, Boda-Bucino M et al. Cryptochidie et exposition in utero à des xénobiotiques dans la région niçoise : absence de corrélation entre examen néonatal et concentrations de xénobiotiques au sang du cordon. Ann Endocrinol 2006 ; 67 : 380-1
6- Carlsen E, Giwercman A, Keiding N, Skakkebaeck NE. Evidence for decreasing quality of semen during past 50 years. B Med J 1992 ; 305 : 609-13
7- Auger J, Kunstmann JM, Czyglik F, Jouannet P. Decline in semen quality among fertile men inParis during past 20 years. N Engl J Med 1995 ; 332 : 281-5.
8- Jurisicova A, Taniuchi A, Li H, Shang Y, Antenos M, Detmar J, Xu J, Matikainen T, Hernández A, Nunez G, Casper R. Maternal exposure to polycyclic aromatic hydrocarbons diminishes murine ovarian reserve via induction of Harakiri. Journal of Clinical Investigation 117 , 12 , 12- 2007
9- Fénichel P. Environnement, exposition fœtale et reproduction. Mt médecine de la reproduction 2007 ; 9 (2) 98 -104.
10- Brücker-Davis F, Hiéronimus S, Fénichel P. Thyroïde et environnement. La Presse Médicale. 2016, 45, 1,
11- Fénichel P, Brücker-Davis F, Chevalier N. Perturbateurs endocriniens – Reproduction et cancers hormono-dépendants. La Presse Médicale 2016, 45, 1,
12- Dereumeaux C., Guldner L., Saoudi A., Pecheux M., Crouy-Chanel (de) P., Bérat B., Wagner V., Goria S. Imprégnation des femmes enceintes par les polluants de l’environnement en France en 2011. cohorte Elfe - Tome 1 : polluants organiques. 12 : 2016. Santé publique France ; 2016.
13- Garlantézec R, Multigner L. Relation entre exposition professionnelle, anomalie de la fertilité et troubles de l’appareil reproducteur : revue de la littérature récente.BEH 7-8-9 / 21 février 2012
14- Quignot N, Barouki R, Lesné L, Lemazurier E, Jégou B. Mécanismes et enjeux de la perturbation endocrinienne BEH 7-8-9 / 21 février 2012
15- Delpierre C, Lepeule J, Cordier S, Slama R, Heude B, Charles MA. Origine développementale de la santé et des maladies (DOHaD), environnement et épigénétique . Med Sci. 32,1, 01-2016
16- Greck T, Fénichel P. Charte Grossesse Environnement Santé. https://www.ellovia.com/fiches-conseil/fiches-conseil.html
17- Guegen Y, Ferrari L, et al. Les cytochromes P 450 : métabolisme des xénobiotiques, régulation et rôle en clinique. Annales de biologie clinique. 64(6) Novembre 2006.
18- Avis de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail. relatif à l’actualisation des repères alimentaires du PNNS des femmes enceintes ou allaitantes. Avis de l’ANSES Saisine n°2017-SA-0141.
19- Schmidt RJ, KoganV,Shelton JF, et al. Combined prenatal pesticide exposure and folic acide intake in relation to autism spectrum disorder. Environ Health Perspect 2017 ; 125(9) : 097007.
20- FEES. Felles enceintes environnement et santé http://www.projettees.fr.
Liens d'intérêts
Aucun
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