La mise à jour 2010 des recommandations de l'AIHUS (Association inter-hospitalo-universitaire de sexologie) sur la dysfonction érectile (DE) intervient dans un contexte où les données disponibles montrent le faible taux de prise en charge de cette pathologie en médecine générale.
La prévalence de la dysfonction érectile augmente avec l’âge : de 1 à 9 % entre 18 et 39 ans, 2 à 30 % entre 40 et 59 ans, 20 à 40 % de 60 à 69 ans et 50 à 75 % au-delà de 70 ans. Or, les consultations en médecine générale pour ce motif restent peu fréquentes, de l'ordre de 3 patients par médecin et par an et 4 consultations par médecin et par an (données de la Société française de médecine générale). Les freins se situent aussi bien du côté du patient, avec un décalage entre les intentions de consultations et les taux réels de consultations, que du côté des médecins. "Depuis la première diffusion en 2005 des recommandations françaises sur la dysfonction érectile, le pourcentage de médecins abordant spontanément le sujet est resté faible, de l'ordre de 30 %" regrette le Pr Costa. "Et ceci alors qu'une majorité d’hommes (66 à 82 %) attend du médecin qu’il prenne l’initiative de discuter avec eux de leur fonction sexuelle. Pourtant, les généralistes prescrivent facilement les médicaments d'aide à l'érection dès lors que le patient a abordé lui-même le sujet".
QUEL BILAN EN CAS DE DYSFONCTION ÉRECTILE ?
-› Rappelons que le diagnostic de DE est un diagnostic d'interrogatoire, le trouble devant durer depuis au moins 3 mois. Une fois la DE confirmée, il faut rechercher d'autres éléments diagnostiques et pronostiques.
-› Le médecin doit s'enquérir également de l'existence d'autres troubles sexuels : trouble du désir ou de l'éjaculation, douleurs pendant les rapports, anomalies de rectitude de la verge gênant la pénétration (maladie de Lapeyronie), plainte concernant le prépuce. La présence de l'un ou l'autre de ces troubles, en association avec la dysfonction érectile, fait classer le patient dans le groupe des situations complexes, contexte dans lequel il est recommandé eu généraliste de prendre un avis spécialisé.
-› En présence d'une dysfonction érectile, l'interrogatoire et l'examen clinique doivent aussi rechercher les antécédents ou pathologies orientant vers une pathologie organique ou psychiatrique, susceptibles d'induire ou d'aggraver la DE. Un bilan minimal doit être prescrit.
La dysfonction érectile est un marqueur de risque cardiovasculaire
-› Parmi les principaux éléments à rechercher en cas de DE, figurent le diabète et la présence de facteurs de risque cardiovasculaire. En cas de diabète, l'origine de la DE est souvent multifactorielle, mettant en cause la dysfonction endothéliale, une éventuelle neuropathie, sans oublier le retentissement psychologique lié à toute maladie chronique. La DE apparaît plus fréquemment et plus précocement que chez le non diabétique (20 à 64,7 % de DE chez le diabétique selon les séries). L'évaluation de l'équilibre glycémique et le dépistage des complications du diabète sont donc essentiels.
-› S'agissant des liens entre dysfonction érectile et risque cardiovasculaire, les données sont de plus en plus convaincantes. Tout d'abord, la fréquence de la DE augmente en cas d'hypertension artérielle, de cardiopathie ischémique, de pathologie vasculaire périphérique ou de dyslipidémie.
Mais surtout, la dysfonction érectile constitue clairement un marqueur de risque cardiovasculaire, ou plus exactement un marqueur de la dysfonction endothéliale (et non pas un facteur de risque cardiovasculaire). C'est ce que montre notamment l'analyse combinée des études ONTARGET et TRANSCEND, consacrées aux effets des inhibiteurs de l'enzyme de conversion (IEC) (ramipril) et/ou des antagonistes des récepteurs de l’angiotensine II (ARA II) (telmisartan) chez des patients à haut risque cardiovasculaire. Les sujets rapportant une DE ont ainsi un risque de décès toutes causes égales à 2,04 par rapport aux patients ne rapportant pas de DE, tandis que le risque d'événements cardiovasculaires (décès d'origine cardiovasculaire + infarctus du myocarde + AVC + hospitalisation pour insuffisance cardiaque) s'élève à 1,62. Si l'on s'en tient aux seuls décès d'origine cardiovasculaire, le risque est de 2,26 chez les sujets présentant une DE.
"La DE est donc non seulement un marqueur de risque cardiovasculaire en général, mais aussi un marqueur de risque de mortalité. Les événements cardiovasculaires survenant chez les patients porteurs d'une DE sont plus graves qu'en l'absence de DE. De récentes recommandations européennes confirment cet état de fait et précisent le délai entre le début de la DE et l'apparition des problèmes cardiovasculaires. Ainsi, chez un homme asymptomatique au plan cardiovasculaire, il faut 2 à 3 ans entre l'installation de la DE et la survenue des premiers symptômes cardiovasculaires, et 3 à 5 ans pour voir apparaître un authentique accident cardiovasculaire (soit 2 ans environ après l'apparition des premiers signes). Chez ces patients associant dysfonction érectile et facteurs de risque cardiovasculaire, la prise en charge doit être agressive (équilibre tensionnel, glycémique, lipidique). Un pas supplémentaire est donc franchi par rapport au dernier consensus international (consensus de Princeton II ; 2002), puisque l'existence d'une dysfonction érectile doit désormais faire évoquer et rechercher une pathologie cardiovasculaire. L'AIHUS recommande donc d'orienter vers le cardiologue tout patient porteur d'une DE et d'au moins 3 facteurs de risque cardiovasculaire".
Le terme "facteurs de risque" est ici pris au sens large, regroupant à la fois les facteurs listés par la HAS dans ses différentes recommandations (âge › 50 ans chez l’homme, › 60 ans chez la femme, tabagisme actuel ou arrêté depuis moins de 3 ans, antécédents familiaux précoces d'événement cardiovasculaire, diabète (même traité) dyslipidémie) et ceux qui s'en rapprochent : obésité, sédentarité, syndrome métabolique.
Les autres pathologies à évoquer
-› Outre les antécédents de traumatismes pelviens ou de chirurgie / radiothérapie pelvienne / curiethérapie, les troubles du bas appareil urinaire liés à une hypertrophie bénigne de la prostate sont souvent impliqués dans les troubles de l'érection (43 à 82,5 % de DE selon l'intensité des troubles mictionnels).
-› Il est recommandé par ailleurs de rechercher des signes de déficit androgénique, se manifestant par une diminution de la libido et du nombre et/ou de la qualité des érections nocturnes. Toutes les pathologies chroniques, dont le diabète, l'insuffisance rénale chronique et le sida, sont des facteurs de risque de déficit androgénique, de même que la corticothérapie au long cours, les antécédents de chirurgie herniaire, de cryptorchidie opérée, de cure de varicocèle ou d’orchidectomie. Le bilan biologique doit alors inclure la testostéronémie biodisponible. "Ce dosage est encore très peu demandé, y compris par les diabétologues" souligne le Pr Costa. "De nombreuses données plaident pourtant en faveur de l'importance de la restauration de l'hormone mâle dans ces cas de déficit androgénique".
-› La DE et la dépression vont souvent de pair, en association parfois avec des troubles anxieux (fréquence de l'anxiété de performance sexuelle). Globalement, la dépression multiplie par deux l'incidence de la DE, et à ce constat, il faut ajouter l'impact parfois délétère des antidépresseurs sur la fonction érectile.
-› Enfin, ces dernières années ont vu se multiplier les études sur les liens entre la DE et la sexualité féminine d'une part, et la communication dans le couple d'autre part. "À l’aide de questionnaires spécifiques, on a pu montrer que les femmes pâtissent de la dysfonction érectile de leur partenaire. Et que la satisfaction sexuelle est un facteur de maintien du couple, notamment chez les couples ayant par ailleurs une communication médiocre. La DE apparaît aujourd'hui comme un problème partagé par le couple. Le rôle de la partenaire dans le déclenchement ou le maintien de la dysfonction érectile, ainsi que sur les résultats de la prise en charge apparaît donc comme fondamental".
La part de la iatrogénie
L'AIHUS recommande de lister parmi les médicaments pris par le patient ceux qui sont susceptibles d'induire ou d'aggraver une DE. De nombreuses molécules peuvent être en cause, même si leur responsabilité réelle est difficile à apprécier : diurétiques thiazidiques ou épargneurs de potassium, clonidine, alpha et bêta-bloquants, antidépresseurs, anti-épileptiques, anti-H2, fibrates…
PRENDRE EN CHARGE LA DYSFONCTION ÉRECTILE
Avant de prescrire un IPDE5
-› Dans tous les cas, une information adaptée doit être donnée au patient, concernant la physiologie de l'érection, le mécanisme des pannes, la sexualité féminine et les effets du vieillissement.
Les mesures hygiéno-diététiques comprennent la lutte contre la sédentarité et le tabagisme ainsi qu'une adaptation du régime alimentaire (régime méditerranéen). "A ce titre, le médecin généraliste est beaucoup mieux armé que le spécialiste pour encourager son patient à modifier son mode de vie".
-› Les traitements en cours doivent être adaptés si cela est possible, non sans avoir vérifié au préalable l'existence d'un lien chronologique entre la mise en route du traitement et l'apparition de la DE.
• S'il s'agit d'un antihypertenseur, un avis cardiologique doit être pris dès lors que le patient est coronarien (avéré ou potentiel) ou diabétique. Chez l'hypertendu sans autre facteur de risque, le bêta-bloquant peut être remplacé par un autre antihypertenseur (antagoniste calcique, IEC ou ARA II), avec les précautions d'usage mais sans avis cardiologique. Même chose pour l'arrêt des diurétiques.
• En ce qui concerne les antidépresseurs, les effets de la dépression sur la fonction érectile sont intriqués avec les effets secondaires prêtés au traitement. Les tricycliques et les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine sont souvent incriminés. "Bien qu'il soit possible de modifier le traitement et de choisir une molécule moins délétère sur la sexualité – moclobémide, agomélatine, duloxétine, milnacipran, mirtazapine, tianeptine – la priorité reste au traitement de la dépression. Pour ne pas prendre le risque de sous traiter la dépression, il est préférable en pratique d'adjoindre au traitement antidépresseur un médicament d'aide à l'érection".
S'il s'agit d'antipsychotiques, l'avis d'un psychiatre est indispensable.
Les médicaments oraux d'aide à l'érection
-› En pratique, les inhibiteurs de la phosphodiestérase de type 5 (IPDE5) constituent le traitement de première intention. Trois molécules sont disponibles : sildénafil, tadalafil, vardénafil. La durée d'action du sildénafil est de 4 à 5 heures, celle du tadalafil de 36 heures, celle du vardénafil n'est pas précisée mais sa demi-vie est de 4 à 5 heures.
Les trois molécules peuvent être prises à la demande, environ 1/2 heure à une heure avant les rapports, mais le tadalafil peut désormais être pris quotidiennement pour les patients répondeurs à la demande et utilisant le produit au moins deux fois par semaine (dosages à 2,5 et 5 mg). "L'AMM indique encore que ce mode d'utilisation du tadalafil est réservé aux patients ayant testé préalablement la prise à la demande, mais cette restriction va très prochainement disparaître. La prise quotidienne convient bien aux patients qui ont du mal à organiser leur sexualité, la prise à la demande étant parfois mal vécue par certains hommes. Pour l'heure, nous n'avons pas constaté d'émoussement de l'efficacité de ce produit lorsqu'il est pris quotidiennement".
Une autre facilité de prise est représentée par la mise à disposition du vardénafil orodispersible, qui autorise la prise sans eau. Concernant le sildénafil, l'arrivée d'une petite boite de 2 comprimés seulement facilite la prise lors d'un séjour ou d'un voyage. Aucun IPDE5 n'est remboursé.
-› Les IPDE5 sont bien tolérés lorsqu'ils sont utilisés dans le respect de leurs contre-indications : prise de dérivés nitrés ou de médicaments donneurs de NO, insuffisance cardiaque sévère.
• S'agissant du risque coronarien, l'AIHUS recommande, chez tous les patients, ayant ou non une pathologie cardio-vasculaire connue, de vérifier avant l'instauration d'un traitement par IPDE5 la capacité du sujet à soutenir un exercice physique équivalant à un rapport sexuel, correspondant à la montée de deux étages à pieds (un étage pour une partenaire habituelle) ou à 20 minutes de marche par jour.
• En l'absence de maladie coronarienne connue, si le patient est actif et asymptomatique à l’occasion d’efforts réguliers et s'il a peu ou pas de facteurs de risque cardio-vasculaire (≤ 3), les IPDE5 peuvent être prescrits sans exploration cardiologique préalable.
• Chez le coronarien connu et chez le patient sédentaire présentant plus de 3 facteurs de risque, un avis cardiologique doit être demandé avant la prescription.
-› Les modalités de prise ainsi que le délai et la durée d'action de chaque médicament doivent toujours être précisés. Il faut insister sur le fait que les IPDE5, s'ils facilitent l'érection, nécessitent une stimulation sexuelle, et que 4 à 6 essais sont parfois nécessaires avant d'obtenir un résultat satisfaisant. "Les généralistes utilisent les IPDE5 à bon escient, mais ils ont plus de mal avec l'aspect informatif, peut-être en raison d'une trop grande proximité avec leurs patients. De même, certains hommes parlent plus volontiers de leurs problèmes sexuels lorsqu'ils ont affaire à un médecin remplaçant, en l'absence de leur médecin de famille".
La voie locale : en seconde intention
-› En cas d’échec du traitement oral ou pour des raisons de préférence personnelle du patient, on peut conseiller en 2e intention le recours aux injections intracaverneuses de prostaglandine E1 (alprostadil), une dizaine de minutes avant le rapport sexuel. Aucune stimulation sexuelle n’est nécessaire. Trois formes sont disponibles, dont la forme "dual". L’apprentissage de la technique d’injection par le patient doit être médicalisé. L'alprostadil en injections intracaverneuses est remboursé dans certaines indications selon la procédure des médicaments d'exception.
-› L’injection intra-urétrale de l'alprostadil, bien que moins efficace que l’injection intra-caverneuse avec seringue et aiguille, peut être préférée par le sujet en raison du caractère moins invasif du geste. Elle n'est pas remboursée.
-› Un autre traitement local est le vacuum. Ce dispositif mécanique crée un vide dans un cylindre placé autour de la verge, ce qui provoque l’érection. Celle-ci est maintenue grâce à un anneau élastique glissé à la base de la verge, après retrait du cylindre.
La pose d’un implant pénien garde une place en dernière intention.
Quand adresser au spécialiste ?
L'AIHUS recommande au médecin généraliste de diriger son patient vers un spécialiste – urologue, cardiologue, psychiatre… - dans toutes les situations complexes, c'est-à-dire lorsqu'il manque l'un des 5 paramètres de la forme simple. Ces paramètres sont les suivants : dysfonction érectile secondaire, isolée (non associée à un autre trouble sexuel), dont la durée n'apparaît pas comme un facteur de complexité (on admet qu'une durée supérieure à 3 ans est un facteur de complexité), avec une capacité érectile résiduelle, et au sein d’un couple motivé (sans conjugopathie).
Dans tous les cas, le médecin doit participer au suivi du patient.
Mise au point
La périménopause
Mise au point
La sclérose en plaques
Etude et Pratique
Appendicite aiguë de l’enfant : chirurgie ou antibiotiques ?
Mise au point
Le suivi des patients immunodéprimés en soins primaires