Le risque cardiovasculaire augmente avec l'âge. Mais si l'on examine les éléments utilisés pour calculer le score de Framingham, l'importance du critère "âge" est telle que tous les sujets âgés pourraient presque être considérés comme étant à haut risque cardiovasculaire. Même chose lorsque l'on utilise le modèle européen de calcul de risque SCORE. "C'est en fait aux âges moyens de la vie que les équations de risque sont les plus pertinentes, explique le Dr Paillard. Ce qui prime dans une population âgée, c'est de déterminer quels sont les sujets les plus à risque au plan cardiovasculaire par rapport aux autres personnes du même âge. Et de proposer la prise en charge la mieux adaptée possible. Aujourd'hui, les patients âgés et très âgés (› 80 ans) sont de moins en moins exclus du domaine de la prévention cardiovasculaire. Nous disposons de plusieurs études pour étayer nos pratiques, mais leur interprétation doit être nuancée selon que l'on se situe en prévention primaire ou secondaire, et selon le critère de risque considéré : hypertension artérielle (HTA), hyperlipidémie, risque thrombotique ou diabète".
LE CRITERE HTA
La prévalence de l'HTA traitée a augmenté entre 2002 et 2010, qu'il s'agisse des sujets de plus ou de moins de 65 ans, comme le montrent les résultats des études FLAHS successives menées par le Comité français de lutte contre l'HTA. Ainsi, dans la tranche d'âge 65-74 ans, 42 % des hypertendus suivaient un traitement antihypertenseur en 2002, ce pourcentage passant à 51 % en 2010. Chez les 75 ans et plus, les chiffres sont respectivement de 52 % (2002) et 59 % (2010).
Les données de l'EBM
-› La mortalité par maladie coronaire s'élève, non seulement avec l'âge, mais aussi avec le niveau de PAS (pression artérielle systolique) et de PAD (pression artérielle diastolique). Par ailleurs, l'élévation de la pression pulsée (PAS – PAD) élève la mortalité totale chez l'hypertendu âgé, selon une méta-analyse regroupant 8 études randomisées en prévention primaire. "L'élévation de la pression pulsée est une caractéristique de l'HTA du sujet âgé, chez qui la PAS augmente volontiers isolément. Dans ce contexte, le fait de conserver une PAD relativement basse représente plutôt un facteur de risque et constitue un argument supplémentaire pour traiter l'hypertension. Mais il n'existe pas d'abaques de pression pulsée permettant de déterminer des seuils d'intervention". Dans ses recommandations de 2005 sur la prise en charge de l'HTA essentielle, la HAS recommande de traiter l'THA systolique isolée au même titre que l'HTA systolo-diastolique (6).
-› Le bénéfice de la prise en charge de l'HTA est démontré chez le sujet âgé, tant en prévention primaire que secondaire. La HAS (6) indique que la réduction de la pression artérielle diminue l’incidence des événements cardio-vasculaires, l’insuffisance cardiaque, les AVC et le risque de démence chez le patient âgé de plus de 60 ans et ce jusqu’à l’âge de 80 ans, dans l’HTA systolique isolée et l’HTA systolo-diastolique.
Au-delà de 80 ans, l'Agence, bien que reconnaissant un bénéfice sur la prévention des AVC, ne se prononce pas fermement. Dans la méta-analyse de Gueyffier (1999 ; réf 7), qui regroupait des patients de plus de 80 ans, le traitement antihypertenseur prévenait 34 % des AVC, de 22 % celui des événements cardiovasculaires majeurs et de 39 % celui d'insuffisance cardiaque. En revanche, il existait une augmentation de 6 % du risque de décès toutes causes. Depuis, l'étude HYVET (8) a confirmé le bénéfice du traitement antihypertenseur chez les patients de plus de 80 ans, qu'ils soient en prévention primaire ou secondaire (environ 12 % des 3845 sujets avaient un antécédent de maladie cardiovasculaire). Elle a également rassuré quant au risque d'augmentation de la mortalité. Dans cette étude, la PAS, au départ supérieure ou égale à 160 mmHg, a été traitée soit par indapamide +/- perindopril, soit par placebo. Après un suivi moyen de 1,8 an, une forte réduction du risque d'événements majeurs a été mise en évidence : -39 % de décès par AVC, -23 % de décès d'origine cardiovasculaire, -21 % de décès toutes causes, et un taux d'insuffisance cardiaque abaissé de 64 %. Ceci en prenant pour PA cible la valeur de 150/80 mmHg.
En pratique
-› La variabilité tensionnelle étant fréquente chez la personne âgée, de même que l'hypertension "blouse blanche", l'automesure tensionnelle est recommandée (6). Le protocole de mesure obéit à la "règle des 3" : 3 mesures successives le matin au repos, puis 3 mesures le soir avant le coucher, pendant 3 jours consécutifs, par exemple les 3 jours précédant la consultation. Soit 18 mesures au total, que le patient note sur un relevé d'automesure, et dont on calcule la moyenne. Les appareils à brassard huméral sont préférables aux appareils de poignet.
-› Selon les recommandations françaises, l'objectif tensionnel entre 60 et 80 ans est le même que pour le sujet plus jeune, inférieur à 140/90 mmHg (6). Mais si la PA initiale est très élevée, une baisse de 20 à 30 mmHg est acceptable. Au-delà de 80 ans, l'objectif est d'abaisser la PAS en dessous de 150 mmHg, à condition qu'il n'y ait pas d'hypotension orthostatique. "Ces objectifs restent d'actualité, et s'il est parfois difficile de les atteindre, il faut savoir se contenter des résultats obtenus sans chercher à obtenir une stricte normalité tensionnelle. L'important chez le patient âgé est d'éviter de laisser sans traitement une hypertension sévère, tout en prenant garde aux éventuels effets secondaires des traitements".
-› Les mesures hygiéno-diététiques sont recommandées dans tous les cas. Les molécules de première intention (hors indications spécifiques) sont les diurétiques thiazidiques et les inhibiteurs calciques dihydropyridiniques de longue durée d'action (6). "Par ailleurs, les règles de bithérapie préconisées par la HAS, qui associent soit un diurétique thiazidique, soit un inhibiteur calcique à chacune des autres grandes classes d'antihypertenseur, restent donc valables chez le sujet âgé", précise le Dr Paillard. Au-delà de 80 ans, il est recommandé de ne pas dépasser plus de 3 antihypertenseurs et de se contenter de la baisse tensionnelle obtenue avec ces thérapeutiques.
QUID DU LDL-CHOLESTEROL ?
Que disent les études ?
"Dans le domaine de l'hypercholestérolémie, les bénéfices du traitement sont incontestablement démontrés en prévention secondaire quel que soit l'âge des patients, mais les données sont moins probantes en prévention primaire lorsqu'il s'agit d'une population âgée". L'étude de prévention primo-secondaire PROSPER (9) a été menée en 2002 spécifiquement auprès de sujets âgés de 70 à 82 ans, dont 44 % présentaient un antécédent vasculaire. Un groupe était traité par 40 mg de pravastatine, l'autre groupe recevait un placebo. Le taux moyen de LDL-cholestérol était de 3,8 mmol/l (soit 1,47 g/l). Au terme du suivi, le LDL-C était abaissé de 34 % et on observait une réduction de 15 % du critère de jugement principal (décès d'origine coronarienne, infarctus du myocarde non fatals, AVC fatals ou non). "Mais l'un des points essentiels de cette étude est que la réduction des événements cardiovasculaires majeurs n'est significative qu'en prévention secondaire, et chez les hommes".
La méta-analyse d'Afilalo en 2008 (10) confirme l'intérêt du traitement par statines en prévention secondaire (versus placebo) chez des sujets coronariens de plus de 65 ans : 9 grandes études regroupées, près de 20 000 patients au total, réduction dans le groupe traité de 22 % de la mortalité totale, de 30 % de la mortalité coronaire, de 26 % du risque d'infarctus du myocarde non fatal et de 25 % du risque d'AVC.
En prévention primaire, on dispose d'une méta-analyse récente (2009 ; réf 11) ayant colligé 10 essais thérapeutiques représentant plus de 70 000 patients de plus et de moins de 65 ans. Chez les plus de 65 ans, les résultats sur les événements cardiovasculaires majeurs dans les groupes traités par statines sont favorables mais non significatifs.
En pratique
-› Jusqu'à l'âge de 80 ans, l'Afssaps recommande d'appliquer en prévention secondaire les mêmes règles de prise en charge que pour les sujets plus jeunes (1). Dans cette situation, l'objectif thérapeutique de LDL-cholestérol est inférieur à 1 g/l. "Cette valeur est parfois difficile à atteindre, et il faut tenir compte des éventuels effets indésirables des statines et des interactions médicamenteuses. En pratique quotidienne, le traitement est initié à faible posologie. Après l'âge de 80 ans, l'Afssaps ne se prononce pas, faute de pouvoir s'appuyer sur des études spécifiques. Aucune donnée ne permettant de penser que le bénéfice des statines en prévention secondaire s'atténue au-delà de 80 ans, c'est le bon sens clinique qui doit guider la prescription. Si l'espérance de vie du patient le permet, il est donc licite de prescrire un hypolipémiant en prévention secondaire. A noter qu'après 80 ans, les autres médicaments de prévention secondaire (bêta-bloquants, anti-agrégants plaquettaires, inhibiteur de l'enzyme de conversion) sont eux aussi prescrits sur la base des résultats d'études menées sur des patients moins âgés".
-› En prévention primaire, il n’est pas recommandé de débuter un traitement hypolipémiant après 80 ans (1). La poursuite d'un traitement instauré antérieurement se justifie en cas de cumul de facteurs de risque, s'il n'existe aucune pathologie non cardiovasculaire réduisant l'espérance de vie du patient et si le traitement est bien toléré. "En conséquence, il est inutile de doser le cholestérol chez un sujet de plus de 80 ans en prévention primaire. Entre 70 et 80 ans, la primo-prescription d'un hypocholestérolémiant est à réserver aux patients à haut risque cardiovasculaire, porteurs par exemple d'une athérosclérose significative". Les objectifs de LDL-cholestérol sont les mêmes qu'en population générale.
LES OBJECTIFS GLYCÉMIQUES CHEZ LE SUJET ÂGÉ
-› Le diabétique âgé est un patient fragile, en raison de la présence éventuelle de comorbidités (à l'origine d'une polymédication) ou de certains "syndromes gériatriques" tels que l'altération des fonctions cognitives, la dénutrition, les chutes, les déficits sensoriels, sans oublier la dépendance fonctionnelle. Cette notion de fragilité a d'ailleurs été mise en évidence dans les récentes études ACCORD (Action to Control Cardiovascular Risk in Diabetes ; N Engl J Med 2008) et VADT (Veterans Affairs Diabetes Trial ; N Engl J Med 2009), qui testaient les effets d'un contrôle glycémique intensif (sans se limiter à la population des diabétiques âgés). Ces essais ont montré l'importance de la cinétique de la baisse glycémique, une diminution trop rapide de l'HbA1C étant potentiellement délétère, notamment vis-à-vis du risque d'hypoglycémie. De même il faut tenir compte de l'ancienneté du diabète, puisqu'une baisse trop importante de l'HbA1c pourrait être néfaste chez les patients dont l'HbA1c s'est maintenue à un niveau élevé durant plusieurs années.
-› Les diabéto-gériatres français distinguent des objectifs glycémiques plus ou moins sévères selon l’état de fragilité du sujet (13) :
Chez le patient diabétique âgé "en bonne santé", la glycémie à jeun doit osciller entre 0,90 et 1,26 g/l et l’HbA1c entre 6,5 et 7,5 %
Chez le patient diabétique âgé "fragile", la glycémie à jeun doit se situer entre 1,26 et 1,60 g/l et l’HbA1c entre 7,5 et 8,5 %
Ainsi, la prévention des complications du diabète reste l'objectif prioritaire tant que le sujet est autonome et ne présente pas de comorbidités notables, tandis que chez le patient fragile, on privilégie plutôt la prévention de l'évolution vers la dépendance.
LE RISQUE DE THROMBOSE
-› En prévention secondaire après infarctus du myocarde, le traitement antiagrégant plaquettaire par aspirine a fait la preuve de son efficacité chez le patient âgé. L'association aspirine + clopidogrel est possible après pose de stent par exemple, mais la double inhibition plaquettaire n'a pas été évaluée après 80 ans, et le risque hémorragique potentiel doit être pris en compte (12).
-› "En prévention primaire, l'aspirine est indiquée chez les sujets à haut risque cardiovasculaire, notamment en cas de diabète associé à d'autres facteurs de risque et en cas d'athérosclérose significative (même asymptomatique). Même chose lorsque plusieurs facteurs de risque autres que l'âge sont associés. Attention toutefois à l'augmentation du risque hémorragique avec l'âge".
-› En cas de fibrillation auriculaire, la prévention du risque embolique impose de recourir à un traitement anti-thrombotique, en l'absence de contre-indication. "La mise en route d'un traitement par antivitamine K, avec un INR compris entre 2 et 3, diminue de 60 % le risque d'AVC chez le patient âgé, ce pourcentage étant seulement de 20 % avec l'aspirine". C'est pour des valeurs d'INR comprises entre 2 et 3 que les risques respectifs d'AVC ischémique et d'hémorragie cérébrale sont les plus faibles.
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