INTRODUCTION
La rhinite allergique (RA) est une affection extrêmement banale dans le sens où elle affecte un nombre important de patients, estimés actuellement entre 15 et 22 % de la population générale européenne, avec une prévalence de 18,2 % en France. Chez les enfants, la prévalence est de 15 à 40 % selon les pays. Les conséquences de ces données sont doubles :
L’allergologue ne peut pas prendre en charge un nombre aussi important de patients : la rhinite dans sa forme la plus habituelle est donc une pathologie qui doit être traitée par le médecin généraliste (MG).
La fréquence élevée de cette pathologie risque de la faire considérer comme anodine, ce qui n’est pas le cas en termes de retentissement sur la qualité de vie. De très nombreuses études confirment une altération de la qualité de vie parfois très sévère, associée dans certaines formes de RA à des comorbidités importantes.
Aussi, le rôle du MG est majeur pour savoir identifier une RA et mettre en place un traitement efficace.
→ Les deux formes selon la durée (1)
■ La rhinite intermittente est la plus fréquente : le diagnostic est facile car il y a un début et une fin, avec une symptomatologie limitée dans le temps. Le risque est surtout de négliger les formes sévères, qui peuvent gêner de façon très importante le patient.
■ La rhinite persistante : le diagnostic est plus difficile, car peut être confondu avec une rhinosinusite chronique vasomotrice et/ou inflammatoire, et le risque est de ne pas évoquer une étiologie allergique. Ne pas traiter le patient l’expose à des comorbidités liées à cette chronicité, en particulier à l’obstruction nasale chronique, surtout chez l’enfant.
LA RHINITE ALLERGIQUE INTERMITTENTE
Un diagnostic simple et rapide
• Cette rhinite se manifeste par l'apparition souvent brutale d'une rhinorrhée aqueuse antérieure et/ou postérieure, associée à des salves d'éternuements, un prurit nasal, et au développement d'une obstruction nasale plus ou moins importante entraînant parfois une diminution de l'odorat et du goût. Il n’y a pas de symptomatologie infectieuse.
• Le contexte est celui d’une exposition à des allergènes souvent parfaitement connus et reconnus par le patient : pollens d'arbres, de graminées, d'herbacées, habitat riche en acariens, exposition à des moisissures, contact avec un chat, etc.
• Sur le plan temporel, cette rhinite dure moins d'un mois dans sa définition stricte, mais on peut inclure les patients dont les symptômes durent plusieurs semaines. C’est l’association « unité de temps » + « unité de lieu » qui est pathognomonique de la RA intermittente.
• On estime qu'environ 70 % des patients présentant une RA ont une RA intermittente, encore anciennement dénommée RA saisonnière lorsque les allergènes sont de type pollinique.
L’importance d’évaluer le retentissement (2)
Le rôle du médecin généraliste, après avoir fait le diagnostic, est d'estimer la sévérité de cette rhinite en demandant au patient de noter entre 0 et 10 sa gêne dans la vie quotidienne, personnelle et professionnelle : en dessous de 5, c’est une forme légère ; au-dessus de 5, c'est une forme sévère. Cela signifie pour le patient qu'il y a alors un retentissement dans sa vie socio-professionnelle, une altération de la qualité du sommeil, une gêne dans ses loisirs… ce qui va conditionner le traitement.
La thérapeutique adaptée à la gêne (3)
La symptomatologie de la RA intermittente, dans sa forme légère ou sévère, peut se manifester selon deux grandes formes cliniques : les patients qui ont le « nez qui coule » lié à une prédominance de la rhinorrhée et des éternuements, et ceux qui ont surtout le « nez bouché ».
→ Pour les « nez qui coulent »
• Dans la forme légère, un traitement à la demande peut être proposé en première intention : on a le choix entre un antihistaminique par voie générale, ou un topique local antihistaminique ou corticoïde, ou une association des deux. Le choix entre comprimé et topique nasal sera guidé par le souhait du patient. Le délai d’action est cependant variable selon la molécule et le mode d’administration : ainsi les antihistaminiques agissent entre 15 et 30 minutes pour la rupatadine et la desloratadine, et entre 45 et 60 minutes pour la lévocétirizine et la loratadine. Le délai d’action des topiques locaux par voie nasale est plus court, de 15 minutes pour un antihistaminique à 60 minutes pour un corticoïde (2). Ce traitement est donc d’autant plus efficace qu’il est anticipé par rapport à l’exposition allergénique. Le développement d’applications sur téléphone mobile renseignant quotidiennement sur les risques polliniques permet au patient de gérer et d’adapter lui-même son traitement.
• Dans la forme sévère, un traitement continu pendant toute la durée de l’exposition sera plus efficace : cela diminue le retentissement inflammatoire muqueux secondaire aux crises itératives d’allergie. Le traitement reste le même que précédemment dans son principe, en sachant que la tolérance de ces divers médicaments est excellente avec un rapport bénéfice/risque très élevé, permettant une prise quotidienne pendant plusieurs semaines sans aucune appréhension.
→ Pour les « nez bouchés »
C’est l’inflammation de la muqueuse nasale qui domine, avec une obstruction.
• Dans la forme légère : tous les traitements habituels de la RA sont possibles avec une efficacité supérieure des sprays par voie nasale, en particulier les topiques corticoïdes.
• Dans la forme sévère : le traitement le plus efficace, supérieur à la prise quotidienne d’un antihistaminique, est le corticoïde local administré de façon quotidienne pendant toute la durée de l’exposition. L’association à un antihistaminique d’action locale augmente l’efficacité.
→ Cas particuliers
• Femmes enceintes : les données du CRAT (Centre de référence sur les agents tératogènes) indiquent que les antihistaminiques suivants : cétirizine, desloratadine, fexofénadine, lévocétirizine, loratadine, sont sans risques quel que soit le terme de la grossesse et pendant l’allaitement. Les données sont également rassurantes pour les topiques locaux, antihistaminiques et corticoïdes, prescrits à doses usuelles. Seules les molécules les plus récentes sont à proscrire, comme l’ébastine, la bilastine ou la rupatadine.
• Enfant de moins de 12 ans : la posologie des antihistaminiques est adaptée au poids. Les formes « suspension buvable » sont préférées pour les plus jeunes. Les topiques corticoïdes locaux sont autorisés dès l’âge de 3 ans (mométasone, béclométasone, etc.) ou 6 ans (comme le fluticasone). Il en est de même pour les antihistaminiques locaux (azélastine : à partir de 6 ans).
Traitements des comorbidités (4)
• Conjonctivite associée : un antihistaminique par voie générale peut protéger à la fois le nez et les yeux, mais il est souvent nécessaire de prescrire un collyre antihistaminique local en association avec le traitement nasal. Il est prescrit à la demande dans la RA légère et tous les jours dans les formes sévères.
• Asthme associé : si le traitement de la RA ne prévient pas les crises d’asthme, il faut prescrire un traitement bronchique inhalé, le choix pouvant porter sur une association corticoïdes + béta 2-longue durée d’action, qui peut être prise aussi bien à la demande que de façon continue selon la sévérité des manifestations durant la période d’exposition allergénique.
→ Place des corticoïdes par voie générale :
C'est dans les formes sévères de rhinite intermittente que l'on peut parfois ponctuellement prescrire une courte corticothérapie, surtout si le patient doit au même moment passer des examens, a des impératifs professionnels importants et/ou des événements familiaux majeurs. Il est préférable de prescrire ponctuellement prednisolone ou prednisone. Dans le même ordre d'idée, il faut préférer les corticoïdes injectables retard de durée d’action courte (bétaméthasone) plutôt que longue (triamcinolone).
LA RHINITE ALLERGIQUE PERSISTANTE
Il s'agit d'une rhinite qui persiste bien plus de quatre semaines, parfois quasiment toute l'année et qui était anciennement dénommée rhinite perannuelle. La rhinite allergique persistante, qui concerne environ 30 % des patients présentant une rhinite allergique (5), est du ressort de l’ORL ou de l’allergologue.
Comprendre les difficultés du diagnostic
• Par le passé, la RA persistante était généralement considérée comme une allergie à des allergènes présents toute l’année dans les habitats (acariens, phanères d’animaux ou moisissures), ce qui n’est plus vrai aujourd’hui. L’augmentation de la prévalence du terrain atopique et de la rhinite allergique, associée au réchauffement climatique et aux modes de vie multipliant les contacts avec des pollens très variés, fait que beaucoup de patients ayant une rhinite persistante ont une allergie pollinique. Un patient polysensibilisé peut en effet réagir à des pollens d'arbres en mars, à des pollens de graminées en juin, à des pollens d'herbacées en juillet, à nouveau aux pollens de graminées en septembre-octobre et parfois à des pollens remis en suspension dans l'air en hiver. Il ne faut donc plus penser qu'une allergie persistante est forcément liée aux acariens.
• L’obstruction nasale et les rhinorrhées dominent par rapport aux éternuements et au prurit nasal : le patient en prend l'habitude et ne s'en plaint pas forcément. Il consulte plutôt pour une fatigue, des céphalées, des troubles du sommeil, un ronflement nocturne, une toux chronique. L'important est donc de penser à l'allergie.
• Dans ces formes, les comorbidités sont fréquentes : si l’asthme domine, il faut penser aussi à la surcharge pondérale, une modification du voile du palais avec altération de l'occlusion buccodentaire (échec des traitements d'orthodontie), des troubles du sommeil avec ronflements et apnées, générateurs de difficultés d'apprentissage avec échecs scolaires chez l’enfant.
Rechercher des arguments allergiques
S’il est difficile à l'interrogatoire de faire facilement le lien entre poussée de rhinite et exposition à des allergènes, il est possible de faire un examen biologique simple pour confirmer l’hypothèse diagnostique avec un test de dépistage multi-allergénique respiratoire (dosage des IgE spécifiques vis-à-vis d’un mélange d’allergènes respiratoires sur une prise de sang simple). Le biologiste choisira le test de dépistage multi-allergénique respiratoire le plus adapté avec une réponse qualitative (positif, négatif) et parfois semi-quantitative (taux bas ou élevé). S'il est négatif, cela élimine une allergie respiratoire, mais s’il est positif, cela confirme une sensibilisation. L'objectif n'est pas de faire précisément le diagnostic des allergènes en cause mais de conforter l’hypothèse d’une RA persistante en présence d'un terrain atopique.
Comment orienter le recours à l’ORL et/ou à l’allergologue ?
• Si le test biologique de dépistage est négatif, on orientera plutôt le patient vers un ORL, qui recherchera une hypertrophie des végétations adénoïdes, des amygdales, une déviation de la cloison nasale, etc.
• Si ce test biologique est positif, on orientera plutôt vers l’allergologue (6). Il cherchera à préciser la composante allergique dans la symptomatologie du patient, identifiera les allergènes en cause et pourra, après confrontation des tests cutanés et de la biologie, proposer une désensibilisation ou immunothérapie spécifique (ITS) qui est actuellement le seul traitement curatif possible des allergies respiratoires en dehors de l’éviction des allergènes. L’apport de l’allergologie moléculaire est déterminant pour reconnaître les bons répondeurs ayant un profil de sensibilisation en adéquation avec le profil allergénique des contenus des traitements de désensibilisation.
Actuellement, la disponibilité de comprimés sublinguaux, à côté des gouttes sublinguales, facilite l’observance, les comprimés étant disponibles en pharmacie de ville, se conservant à température ambiante et pouvant être pris facilement en déplacement ou en voyage.
En attendant l’avis spécialisé
Le traitement symptomatique peut être prescrit bien entendu par le médecin généraliste, en attendant l’avis spécialisé. Les traitements restent les mêmes que pour la RA intermittente avec uniquement la nécessité d’une prise au long cours pour obtenir un effet significatif en termes d’amélioration. Les traitements sont associés en fonction de la sévérité appréciée par une note entre 0 et 10, comme vu plus haut, page 21. Une bonne réponse à ce traitement avec rechute à l’arrêt sert également de « test diagnostic » en faveur d’une étiologie allergique à cette rhinite persistante.
EN RÉSUMÉ
La rhinite allergique est une affection fréquente, et 70 % des patients ont une forme intermittente qui place le MG en première ligne pour proposer un traitement. Il existe beaucoup de formes commerciales, mais finalement peu de classes thérapeutiques antiallergiques : l’important est de proposer un traitement qui est le plus souvent très efficace avec un excellent rapport bénéfice/risque.
La RA persistante est plus compliquée : l’essentiel pour le MG est de l’évoquer et de ne pas hésiter à faire une biologie simple et un test thérapeutique puis demander l’aide d’un allergologue ou d’un ORL selon les disponibilités locales. Le développement de la téléconsultation devrait permettre d’aider à la prise en charge de ces patients en ayant recours plus facilement à un avis spécialisé, qui guidera le principe de la thérapeutique, et à la mise en place d’une ITS.
DANS LE CONTEXTE DE L’ÉPIDEMIE COVID-19
• Parler de rhinite allergique en période de pandémie virale sévère peut sembler « déplacé ». Mais il n’est pas absurde de faire une mise au point sur cette affection qui risque inutilement d’alarmer les patients qui vont subitement présenter un « rhume ».
D’autre part, les mesures de confinement vont soumettre les nombreux allergiques à une pression allergénique considérable : aussi bien en acariens et squames d'animaux, qui se multiplient dans un milieu confiné chaud et humide, qu’en pollens par les fenêtres ouvertes pour aérer avec une entrée importante de pollens qui vont rester dans l’habitat. L’asthme n’est pas en soi un facteur de risque vis-à-vis du Covid-19 et les traitements anti-asthmatiques et antiallergiques ne sont pas contre- indiqués, bien au contraire. Par ailleurs, il faut se méfier des crises d’asthme, en particulier celles qui se manifestent sous forme de toux chez les plus jeunes, dans ce contexte de confinement et de concentration élevée en allergènes.
• Enfin, il faut rester vigilant sur la survenue de signes cliniques inhabituels dans une RA, comme une anosmie brutale avec agueusie, qui peuvent être les premiers signes ORL d’une infection à Covid-19. Il faut alors arrêter lavage de nez et corticoïdes aussi bien locaux que per os et réévaluer le patient sous l’angle d’une possible infection à Covid-19, les données actuelles semblant indiquer qu’il s’agit alors généralement d’une forme de bon pronostic.
Bibliographie
1 – Allergic Rhinitis and its Impact on Asthma (ARIA) : classification des rhinites allergiques en évolution. Rev Fr Allergol 2018 ; 58 : 421-26.
2 – Next-generation Allergic Rhinitis and Its Impact on Asthma (ARIA) guidelines for allergic rhinitis based en Grading of Recommendations Assessment, Development and Evaluation (GRADE) and real-world evidence. J Allergy Clin Immunol 2020 ; 145 (1) : 70-80.
3 – Allergic Rhinitis and its Impact on Asthma (ARIA) guidelines-2016 revision. J Allergy Clin Immunol 2017 ; 140 (4) : 950-58.
4 – Magnan A, Didier A, Magar Y. Rhinite allergique, une symptomatologie handicapante malgré les traitements actuellement disponibles. Rev Fr Allergol 2016 ; 56 : 420-25.
5 – Dutau G, Lavaud F. La rhinite allergique et ses comorbidités. Rev Fr Allergol 2019 ; 59 : 32-40.
6 – Mortuaire G, Michel J, Papon JF, Malard O, Ebbo D, Crampette L, Jankowski R, Coste A, Serrano E. L’immunothérapie antiallergique dans la rhinite allergique. Annales françaises d’oto-rhino-laryngologie et de pathologie cervico-faciale 2017, 134 : 247-53.
Étude et pratique
HTA : quelle PA cible chez les patients à haut risque cardiovasculaire ?
Mise au point
Troubles psychiatriques : quand évoquer une maladie neurodégénérative ?
Étude et pratique
Complications de FA, l’insuffisance cardiaque plus fréquente que l’AVC
Cas clinique
L’ictus amnésique idiopathique