Les infections aiguës par le virus de l'hépatite B (VHB) ou par celui de l'hépatite C (VHC) sont souvent asymptomatiques. Mais l'évolution sur un mode chronique de l'une comme de l'autre peut induire à terme de sévères complications hépatiques, telles qu'une cirrhose ou un hépatocarcinome. Pour autant, de nombreux sujets infectés ou ayant été infectés ignorent leur statut (1,2) (encadré 1).
C'est pourquoi parmi les objectifs du Plan national de lutte contre les hépatites B et C 2009-2012 (3), figurent le renforcement du dépistage et la volonté d'augmenter le pourcentage de personnes - porteuses de marqueurs sérologiques de l'une ou l'autre infection - ayant connaissance leur statut sérologique. L'objectif est de passer de 45 à 65 % pour l'hépatite B (Ag HBs positif) et de 57 à 80 % pour l'hépatite C (anticorps anti-VHC positifs/présence d’ARN viral du VHC). C'est dans ce contexte que la HAS a émis en mars 2011 des recommandations sur les stratégies de dépistage biologique des hépatites virales B et C chez les sujets asymptomatiques (4). Ce dépistage doit permettre d'une part de repérer les formes chroniques des infections par le VHB et/ou le VHC, dans le but d'éviter les complications, et d'autre part de proposer la vaccination aux sujets à risque n’ayant jamais eu de contact avec le VHB, ainsi que des conseils de prévention (valables aussi pour les sujets à risque n’ayant jamais rencontré le VHC).
QUELS MARQUEURS EN 1ère INTENTION ?
Les marqueurs disponibles
-› Trois systèmes antigéniques sont présents sur le virus de l'hépatite B : HBs, HBe et HBc, auxquels correspondent respectivement les anticorps anti-HBs, anti-HBe et anti-HBc.
=› L'Ag HBs peut être détecté dans le sang environ 3 semaines après le contage, et sa persistance 6 mois après l'hépatite aiguë signe le passage à la chronicité. Lors de l'infection aiguë B dans sa forme habituelle, l'Ac anti-HBs apparaît de façon retardée deux semaines à 4 mois après la disparition de l'Ag HBs, et signe la guérison. En cas d'infection chronique, l'Ac anti-HBs n'apparaît pas (sauf dans quelques cas exceptionnels d'hépatite B chronique à Ac anti-HBs positifs), et l'Ag HBs persiste.
Exceptionnellement, le virus peut être de type mutant "s", induisant l’absence de détection de l’Ag HBs par certains dispositifs de diagnostic commercialisés.
L'infection B occulte (par un virus non mutant "s") se définit par un Ag HBs indétectable mais avec persistance d'une réplication virale faible.
=› Lorsque le patient est infecté par un virus B sauvage, l'Ag HBe apparaît peu avant l'ictère (si le patient est symptomatique) et disparaît en 2 mois environ (infection aiguë). Il témoigne de la réplication active du virus et d'une contagiosité élevée. Puis apparaissent les Ac anti-HBe, qui signent l'arrêt de la réplication virale. En cas d'infection chronique par le VHB, deux situations peuvent être observées vis-à-vis de l'Ag HBe, certains patients ne présentant pas de séroconversion anti-HBe (persistance de l'Ag HBe et absence d'Ac anti-HBe), alors que chez d'autres porteurs chroniques, on note un arrêt de la réplication virale et l'apparition des Ac anti-HBe.
D'autres patients sont porteurs chroniques d'un virus B mutant pré-core, le plus fréquent en France, qui n'exprime pas l'Ag HBe et se caractérise donc par la négativité de l’Ag HBe. La positivité des Ac anti-HBe observée chez ces patients reflète alors une séroconversion survenue à un moment où le virus sauvage était présent, avant que ne survienne la sélection naturelle du variant pré-core.
=› L'Ag HBc n'est pas détectable dans le sérum. Les Ac anti-HBc apparaissent durant la phase symptomatique. Ils sont de type IgM au début, témoignant d'une infection récente, de type IgG ensuite, persistant après la guérison. Les IgM et les IgG anti-HBc constituent les Ac anti-HBc totaux. Ils sont présents également en cas d'infection chronique et ne sont pas protecteurs.
=› L'ADN du VHB peut être détecté et quantifié dans le sang (nombre de copies / ml ou d'UI/ml) par PCR (polymerase chain reaction). On évalue ainsi l'activité virale de l'infection. Le seuil de sensibilité se situe en général aux alentours de 20 UI/ml.
-› La sérologie VHC repose sur la recherche des Ac anti-VHC, qui apparaissent environ 9 semaines après le contage, mais parfois davantage. La recherche de l'ARN viral par PCR donne un résultat de type qualitatif ou quantitatif (UI/ml).
-› Les tests rapides de détection du VHB et du VHC ne sont pas commercialisés en France, soit du fait de l’absence du marquage CE (pour le VHB), soit du fait de performances insuffisantes (pour le VHC) (4). Mais ils sont en cours de développement. Pour l'infection à VHC notamment, on dispose de tests immunologiques sur carte ou bandelette capables de mettre en évidence les Ac anti-VHC, et de tests non immunologiques sur papier buvard détectant et quantifiant l’ARN du VHC. Ces tests sont effectués sur le sang total capillaire ou sur la salive, mais bien que prometteurs, ils pèchent par leur manque de sensibilité (5).
VHB : Ag HBs + Ac anti-HBc + Ac anti-HBs
-› Plusieurs combinaisons de marqueurs peuvent être demandées pour établir le statut immunologique du patient vis-à-vis de l'infection par le VHB. La HAS (4) rappelle que les tests utiles pour le dépistage sont la recherche de l’Ag HBs et la détection des Ac anti-HBc et anti-HBs. Les autres tests de détection du VHB (Ag HBe, Ac anti-HBe et détection-quantification du génome viral) font partie du bilan diagnostique du niveau d’activité de l’hépatite B et doivent servir à guider la décision thérapeutique. L'Agence a examiné six combinaisons, dont trois ont été retenues :
- stratégie 1 : les trois marqueurs d’emblée : Ac anti-HBc + Ag HBs + Ac anti-HBs ;
- stratégie 2 : Ac anti-HBc + Ac anti-HBs, correspondant au contrôle avant vaccination de la nomenclature des actes de biologie médicale ;
- stratégie 3 : Ag HBs + Ac anti-HBs ;
-› La recherche des 3 marqueurs d'emblée a l'avantage de refléter précisément et en un seul temps le statut immunitaire du sujet testé (6) (tableau 1). Aucune erreur d'annonce au patient n'est donc à craindre. Cependant, le coût de cette stratégie est plus élevé que celui des deux autres protocoles retenus. La HAS précise que cette démarche n'est pas valable en cas de suspicion clinique ou biologique d'infection B aiguë ou chronique.
"A noter qu'il est intéressant de réaliser une sérologie de l'hépatite B même en cas d'antécédent de vaccination, remarque le Pr Alric, notamment chez les sujets ayant été vaccinés sans détermination préalable de leur statut immunitaire vis-à-vis du VHB. Ces patients peuvent en effet présenter une hépatite chronique B avec réplication virale tout en étant porteurs d'Ac anti-HBs suite à la vaccination. Précisons que la durée de la protection vaccinale est probablement illimitée et que tout contrôle de l'efficacité de la vaccination est inutile dès lors qu'un schéma vaccinal optimal a été réalisé, preuves à l'appui, chez un sujet vierge de tout contact antérieur avec le VHB.
Par ailleurs, une réactivation virale B est possible chez les sujets guéris en cas de dépression immunitaire sévère, en particulier lorsque les Ac anti-HBs ont disparu (profil biologique : Ac anti-HBc+, Ag HBs-, Ac anti-HBs-). Cette réactivation est possible aussi chez les sujets porteurs d'Ac anti-HBs, notamment en cas de chimiothérapie pour hémopathie avec greffe de moelle. Les autres situations à risque sont l'infection à VIH traitée par antirétroviraux, les traitements par chimiothérapie antinéoplasique en général, la prise d'anti-TNFalpha, les transplantations. Prudence donc chez les patients ayant des marqueurs non vaccinaux (Ac anti-HBc)".
-› Les deux autres stratégies de dépistage (Ac anti-HBc + Ac anti-HBs ou Ag HBs + Ac anti-HBs), qui n'utilisent que deux marqueurs, sont présentées par la HAS comme des alternatives possibles à la recherche des trois marqueurs d'emblée. Leur coût est moindre mais elles présentent notamment l’inconvénient majeur de ne pas différencier plusieurs types de sujets ayant le même profil sérologique (6).
Dépistage de l'hépatite C
-› Il repose sur la détection des Ac anti-VHC chez les personnes à risque. Si le résultat est négatif, il doit être annoncé comme une absence de contact avec le VHC, sauf infection récente avant séroconversion ou immunodépression sévère.
En cas de suspicion d’infection récente, la HAS recommande de refaire le dosage des Ac anti-VHC 4 à 6 semaines après, et chez une personne très immunodéprimée, de réaliser une recherche de l’ARN du VHC sur le premier prélèvement (6).
-› "En cas de signes cliniques d'hépatite aiguë, le diagnostic virologique repose sur les marqueurs des hépatites A (IgM anti-VHA), B, C, et E (Ac anti-VHE)".
EN CAS DE RESULTAT POSITIF
Infection à VHB
-› En cas d’Ag HBs positif, la HAS (6) recommande le contrôle sur un deuxième prélèvement. Dans son argumentaire (4), l'Agence propose une concuite à tenir résumée dans le tableau 1.
"Ce tableau reflète bien le cas général, précise le Pr Alric. Cependant,
"chez un patient dont l'Ag HBs revient positif sur la sérologie initiale, il est préférable, quel que soit sont statut vis-à-vis des Ac anti-HBc et anti-HBs, de demander la quantification de l'ADN viral sur le 2e prélèvement si la positivité de l'Ag HBs est confirmée. En cas de réplication virale active, on procède ensuite au reste du bilan diagnostique, sans oublier les marqueurs du virus D (ou delta). Le virus D a en effet la propriété de consommer le VHB et d'en faire baisser la virémie, ce qui peut conduire à tort au diagnostic de portage inactif du VHB. Si l'ADN viral est négatif, le contrôle à 3 mois de la sérologie est indiqué. Par ailleurs, lorsque une infection aiguë par le VHB est mise en évidence, il est souhaitable d'effectuer un dépistage familial élargi au(x) partenaire(s)".
-› "L'importance d'un suivi longitudinal doit être soulignée. Aujourd'hui, on s'appuie sur la cinétique de la charge virale et des transaminases, et non plus sur le suivi des IgM anti-HBc. Plusieurs déterminations successives sont nécessaires, notamment chez les patients porteurs d'un mutant pré-core (dont la virémie et les transaminases sont très fluctuantes)".
Infection à VHC
En cas d’Ac anti-VHC positifs, il est recommandé de contrôler la sérologie par un nouveau test immuno-enzymatique (EIA) avec un autre réactif sur un deuxième prélèvement. Si la sérologie est de nouveau positive, le résultat à annoncer est "contact avec le VHC". Dans cette situation, la HAS recommande alors de rechercher l’ARN du VHC par PCR sur ce même deuxième prélèvement (6).
LES POPULATIONS A RISQUE
Le dépistage des hépatites virales B et C s’adresse aux individus à risque asymptomatiques (6)."Certains modes de contamination sont communs au VHB et au VHC, ce qui amène en pratique réaliser les deux dépistages en même temps".
Pour le VHC
Le dépistage doit être ciblé les populations à risque d'hépatite C, telles que les définit L'ANAES en 2001 (7).
Il s'agit tout d'abord des sujets exposés à des actes médicaux ou ayant des comportements à risque de contamination élevé : sujets ayant reçu des produits sanguins stables avant 1988 ou ayant eu avant 1992 des produits sanguins labiles, une greffe de tissu, de cellules ou d’organe, une intervention chirurgicale lourde, un séjour en réanimation, des soins en néonatalogie ou en pédiatrie, un accouchement difficile ou une hémorragie digestive, toutes situations ayant pu être à l'origine d'une transfusion ; également les sujets ayant utilisé au moins une fois dans leur vie des drogues par voie intraveineuse, quelle que soit la date d’utilisation, les toxicomanes "actuels", les enfants nés de mère séropositive pour le VHC, les hémodialysés, les sujets découverts séropositifs pour le VIH auxquels on peut ajouter ceux qui sont porteurs du VHB. A cette liste on peut ajouter les sujets ayant des rapports sexuels traumatiques.
Le dépistage concerne aussi les sujets ayant un facteur d’exposition avec un risque non quantifié ou faible : partenaires sexuels de sujets contaminés par le VHC, membres de l’entourage familial des patients contaminés, sujets incarcérés ou ayant été incarcérés, sujets ayant eu un tatouage ou un piercing avec du matériel non à usage unique, sujets ayant eu de la mésothérapie ou de l’acupuncture sans matériel à usage unique, sujets originaires ou ayant reçu des soins dans des pays réputés ou présumés à forte prévalence du VHC, sujets ayant un taux élevé d’ALAT sans cause connue.
Pour le VHB
-› La liste des populations à risque de contamination par le VHB figure notamment dans le calendrier vaccinal 2011 (8) :
• personnes ayant des relations sexuelles avec des partenaires multiples ;
• partenaires sexuels d’une personne infectée par le virus de l’hépatite B ou porteur chronique de l’antigène HBs ;
• personnes de l’entourage d’un sujet infecté par le virus de l’hépatite B ou porteur chronique de l’antigène HBs (personnes vivant sous le même toit) ;
• toxicomanes utilisant des drogues parentérales (intraveineuses, intranasales) ;
• voyageurs dans les pays de moyenne ou de forte endémie ;
• personnes amenées à résider en zones de moyenne ou de forte endémie ;
• personnes susceptibles de recevoir des transfusions massives et/ou itératives ou des médicaments dérivés du sang (hémophiles, dialysés, insuffisants rénaux…) ;
• personnes candidates à une greffe d’organe, de tissu ou de cellules ;
• personnes détenues qui peuvent cumuler un certain nombre de facteurs d’exposition au virus de l’hépatite B ;
• personnes qui, dans le cadre d’activités professionnelles ou bénévoles, sont susceptibles d’être en contact direct avec des patients et/ou d’être exposées au sang et autres produits biologiques, soit directement (contact direct, projections), soit indirectement (manipulation et transport de dispositifs médicaux, de prélèvements biologiques, de linge, de déchets) : professionnels de santé libéraux, secouristes, gardiens de prison, éboueurs, égoutiers, policiers, tatoueurs, auxquels on peut ajouter les sujets pratiquants des sports violents ou de contact (rugby, boxe…)".
-› Sont également concernés (8) :
• les enfants et adolescents accueillis dans les services et institutions pour l’enfance et la jeunesse handicapées ;
• les enfants d’âge préscolaire accueillis en collectivité ;
• les nouveau-nés de mère porteuse de l’antigène HBs ;
• les enfants et adultes accueillis dans les institutions psychiatriques.
-› Les personnes adeptes du tatouage avec effraction cutanée ou du piercing (à l'exception du perçage d'oreilles) sont citées dans un document de l'Inpes (2005, réf 9).
-› Toutes les femmes enceintes doivent bénéficier au 6ème mois de grossesse d'un dépistage de l'hépatite B (Ag HBs).
Un dépistage insuffisamment ciblé sur les sujets à risque
-› Une enquête a été menée par l'INPES dans le cadre du Baromètre santé médecins généralistes 2009, entre novembre 2008 et janvier 2009 auprès de 2083 médecins généralistes français (10). S'agissant de l'hépatite C, les médecins proposent systématiquement le dépistage aux usagers de drogues par voie intraveineuse, aux personnes transfusées avant 1992, mais moins souvent aux sujets ayant une asthénie durable, à ceux porteurs d'un tatouage ou d'un piercing, et à ceux ayant subi un acte chirurgical ou médical invasif. Quant au dépistage de l'hépatite B, il est proposé en priorité aux usagers de drogues par voie intraveineuse et nasale, à l’entourage familial d’un patient porteur de l’antigène HBs positif, et aux personnes ayant des comportements sexuels à risque. Il l'est moins souvent pour les personnes originaires d’un pays de forte endémie ainsi que pour celles en situation de précarité.
-› De récentes données de surveillance de l’activité de dépistage du VHB par les consultations de dépistage anonyme et gratuit (CDAG), le réseau de laboratoires RenaVHC/B et le réseau des pôles de référence "hépatites" ont mis en évidence les éléments suivants (11). Les tests confirmés AgHBs positifs représentent respectivement, chez les femmes et les hommes, 0,5% et 1% des tests de dépistage AgHBs réalisés. Ces résultats sont en faveur d’un dépistage peu ciblé. Les personnes dépistées et prises en charge en 2008 sont très majoritairement (8/10) nées dans des pays de moyenne ou forte endémicité VHB. Mais quel que soit le niveau d’endémicité du pays de naissance, le dépistage a été réalisé fortuitement pour 61% des patients, et non du fait de la présence d'un facteur de risque.
-› "Qu'il s'agisse de l'infection à VHB ou à VHC, le risque est fortement augmenté chez les personnes venant de pays de forte endémie (Afrique subsaharienne, Afrique de l'Ouest, Asie). De plus, ces sujets font souvent des hépatites plus graves, ce qui fait d'eux une cible de choix pour le dépistage".
Mise au point
Troubles psychiatriques : quand évoquer une maladie neurodégénérative ?
Étude et pratique
Complications de FA, l’insuffisance cardiaque plus fréquente que l’AVC
Cas clinique
L’ictus amnésique idiopathique
Recommandations
Antibiothérapies dans les infections pédiatriques courantes (2/2)