Néphrologie

LE REIN DU SUJET ÂGÉ

Publié le 20/04/2012
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L'évaluation de la fonction rénale est de mieux en mieux codifiée. Chez la personne âgée comme chez l'adulte plus jeune, il convient d'identifier au plus tôt la présence d'une maladie rénale chronique, afin de proposer des mesures de néphroprotection.

Crédit photo : ©SPL/PHANIE

Selon le registre REIN (Réseau Épidémiologie et Information en Néphrologie), qui collecte les données sur l'insuffisance rénale terminale traitée, 8560 nouveaux malades ont débuté en 2009 un traitement de suppléance pour insuffisance rénale chronique (20 régions concernées cette année-là) avec un âge médian de 70,2 ans (1).

L'incidence de l'insuffisance rénale terminale traitée augmente avec l'âge, passant de 160 par million d’habitants chez les 45-65 ans à 433 pmh entre 65 et 75 ans et à 667 pmh au-delà de 75 ans. La prévalence fait de même, les chiffres pour les mêmes tranches d'âge étant respectivement de 1651, 2 810 et 2 875 pmh. 61 % des malades en dialyse ont plus de 65 ans et 38 % ont plus de 75 ans. Les informations sur les stades plus précoces de la maladie rénale sont moins bien connues, mais on estime à 3 300 cas pmh la fréquence de l'insuffisance rénale chronique (IRC) (2).

Le vieillissement rénal se caractérise par des modifications structurelles et fonctionnelles (Voir encadré 2).

QU'EST-CE QUE LA MALADIE RÉNALE CHRONIQUE ?

MRC et IRC

Le concept de maladie rénale chronique (MRC), développé au début des années 2000, ne recouvre pas exactement celui d'insuffisance rénale chronique. Il convient aujourd'hui d'utiliser la classification internationale, qui distingue 5 stades de sévérité pour la MRC, les 3 derniers correspondant à l'insuffisance rénale chronique (Voir tableau 1). Le stade 5 nécessite un traitement de suppléance par dialyse ou greffe rénale.

La maladie rénale chronique se définit par la présence, pendant plus de trois mois, de marqueurs d'atteinte rénale ou d’une baisse du débit de filtration glomérulaire (DFG) au-dessous de 60 mL/min/1,73 m², ce dernier cas de figure correspondant l'insuffisance rénale proprement dite. Les stades 1 et 2 correspondent à une MRC sans insuffisance rénale.

Les marqueurs d'atteinte rénale sont les suivants (5) :

- Protéinurie,
- Micro-albuminurie chez le diabétique,
- Hématurie (GR › 10/mm3 ou 10 000 /ml),
- Leucocyturie (GB › 10/mm3 ou 10 000 /ml),
- Anomalies morphologiques à l’échographie rénale (asymétrie de taille, contours bosselés, reins de petite taille ou gros reins polykystiques, néphrocalcinose, calcul, hydronéphrose) ; il peut s'agir aussi d'anomalies histologiques révélées par une ponction biopsie rénale.

Le dépistage de la MRC, indépendamment de l'âge du patient, repose donc en pratique sur l'estimation du DFG et sur la recherche des marqueurs biologiques d'atteinte rénale grâce à la bandelette urinaire. Si celle-ci révèle la présence de sang, de leucocytes ou d'albumine, on confirme ce résultat par un examen cytologique des urines au laboratoire (ECBU) et/ou un dosage de la protéinurie et de la micro-albuminurie (albuminurie de faible débit).

La HAS a récemment précisé les modalités de ce dernier dosage (6). Ainsi, il n'est pas nécessaire de recueillir les urines de 24 h. La détermination de la protéinurie doit être réalisée à partir d’un échantillon urinaire pouvant être prélevé à tout moment de la journée. Le résultat doit dans ce cas être exprimé sous la forme d’un ratio protéinurie/créatininurie ou albuminurie/créatininurie en mg/mmol. Les valeurs limites sont respectivement : 50 mg/mmol pour le ratio protéinurie/créatininurie, 30 mg/mmol pour le ratio albuminurie/créatininurie, et 0,5 g pour la protéinurie des 24 heures si celle-ci est effectuée (4). Toute valeur supérieure témoigne d'une atteinte rénale.

Outre son rôle de marqueur d'atteinte rénale chez le patient diabétique, la micro-albuminurie (ratio albuminurie/créatininurie de 3 à 30 mg/mmol) constitue par ailleurs un marqueur de risque cardiovasculaire en population générale, et notamment chez l'hypertendu.

La formule recommandée à présent par la HAS (2) pour estimer le DFG est l’équation CKD-EPI (Chronic Kidney Disease Epidemiology Collaboration), qui présente les meilleures performances quel que soit le niveau de la fonction rénale (résultat en ml/min/1,73m²). Elle utilise également le dosage de la créatininémie (raison pour laquelle la HAS recommande la standardisation des méthodes de dosage de la créatininémie).

L'équation CKD-EPI étant complexe, on peut recourir, en attendant la généralisation de la méthode au niveau des laboratoires, à un calculateur (www.soc-nephrologie.org), ou utiliser la formule MDRD. Pour autant, aucune équation n'est validée chez le sujet de plus de 75 ans, ou chez les patients présentant un poids extrême ou des variations de la masse musculaire, ou encore chez ceux recevant une alimentation pauvre en protéines animales ou dénutris.

Important : Le RCP (résumé des caractéristiques de produits) des médicaments dont la posologie nécessite d'être adaptée en fonction de la clairance de la créatinine se base encore sur la formule de Cockcroft et Gault.

Quels sujets âgés dépister ?

Si le dépistage de la MRC n'est pas recommandé chez le sujet âgé "tout venant", les facteurs de risque justifiant la démarche de dépistage sont nombreux (5) : pathologie rénale ou néphropathie connues, HTA, diabète, maladies cardiovasculaires, insuffisance hépatique, goutte ou hyperuricémie, maladies auto-immunes (lupus, sclérodermie…), dysglobulinémie monoclonale, prise au long cours de médicaments néphrotoxiques. Attention également en cas de prescription de médicaments à élimination rénale, ou avant l'injection de produits de contraste iodés.

Après confirmation du diagnostic de maladie rénale (présence de marqueurs d'atteinte rénale et/ou insuffisance rénale), le bilan s'attache à évaluer les facteurs pronostiques de progression de l'atteinte rénale. Il convient également de rechercher la présence des autres facteurs de risque cardiovasculaire : diabète, tabagisme (action directe sur le rein + rôle athérogène), obésité (facteur de risque indépendant de MRC lié à un hyperinsulinisme), dyslipidémie (facteur de risque indépendant de diminution du DFG ; action proathérogène et développement d'une glomérulosclérose). Le bilan comporte aussi une uricémie, une électrophorèse des protéines, et concernant l'imagerie, une échographie rénale (5).

À noter que la vitesse de progression de l'atteinte rénale peut être connue en calculant la différence entre deux valeurs successives du DFG, rapportée à la durée de l'intervalle. Une perte de DFG supérieure à 5 ml/min/1,73m² sur une année témoigne d'un déclin rapide de la fonction rénale (la perte physiologique est de l'ordre de 1 ml/min/1,73m²) et nécessite un suivi néphrologique (7).

LES PRINCIPES DE NEPHROPROTECTION

Après 65 ans, les néphropathies le plus souvent à l'origine de la MRC sont les néphropathies vasculaires et les néphropathies interstitielles chroniques. Les atteintes glomérulaires sont moins fréquentes.

- La prise en charge de la MRC vise non seulement à ralentir l'évolution vers l'insuffisance rénale terminale, mais aussi à réduire le risque cardiovasculaire, accru en cas de maladie rénale. Cette prise en charge varie selon le stade la MRC (Voir tableau 2), mais tous les stades, au moins jusqu'au stade 4, ont en commun les mesures de néphroprotection, c'est-à-dire les stratégies permettant de réduire la vitesse de progression de l'atteinte rénale. C'est ce volet qui est présenté ici.

- Les deux leviers thérapeutiques permettant de ralentir la progression de la maladie rénale sont le contrôle de la pression artérielle et la réduction de la protéinurie (8). L'objectif tensionnel est inférieur à 130/80 mmHg en mesure conventionnelle. Pour la protéinurie, l’objectif est une protéinurie résiduelle la plus basse possible, inférieure à 0,5 g/jour (urines des 24 h), à convertir désormais en utilisant les ratios recommandés sur échantillon d'urines (protéinurie/créatininurie < 50 mg/mmol, albuminurie/créatininurie < 30 mg/mmol).

Les traitements néphroprotecteurs

Les bloqueurs du système rénine angiotensine (SRA) - inhibiteurs de l’enzyme de conversion (IEC) et antagonistes des récepteurs de l’angiotensine II (ARAII) – sont les molécules de choix dans cette indication (9). Ils permettent à la fois de réduire la pression artérielle et la protéinurie. Leur effet anti-protéinurique est maximal 1 à 3 mois après le début du traitement et il est dose-dépendant.

Le blocage du SRA permet de ralentir la vitesse de progression de la maladie rénale de 30 à 40 % (7). "Cette mesure est efficace dès les stades précoces de la maladie rénale, même en l'absence d'insuffisance rénale et d'hypertension artérielle. Mais en population âgée, la prudence est de mise et il faut évaluer soigneusement la tolérance au traitement. Ainsi, pour atteindre l'objectif tensionnel, il est préférable de se donner quelques semaines ou quelques mois. L'efficacité des IEC et des ARA II est comparable, tant sur la baisse tensionnelle que sur la réduction du débit d'albuminurie. En ce qui concerne l'aliskiren, inhibiteur direct de la rénine, le recul est encore limité".

En pratique, la posologie doit être adaptée progressivement, et c'est la tolérance clinique (hypotension orthostatique, asthénie) et biologique (créatininémie, ionogramme) qui fixe la limite. Il est souvent nécessaire de recourir à des associations médicamenteuses, en ajoutant par exemple un diurétique thiazidique. L'association d'un IEC et d'un ARA II est exceptionnelle chez le patient âgé.

Attention : Penser à diminuer ou à interrompre provisoirement les bloqueurs du SRA en cas de situation à risque de déshydratation : diarrhée, vomissements, fièvre…

La prise en charge des autres facteurs de risque cardiovasculaire (normalisation des lipides et de la glycémie, arrêt du tabac) est indispensable.

Les protides et le sel

- Une restriction de l'apport protidique alimentaire est recommandée dès qu'il existe une insuffisance rénale (9). Au stade 3 de la MRC, cet apport doit être de 0,8 g/kg/j, tout en maintenant un apport calorique compris entre 30 et 35 kcal/kg/j, et inférieur à 0,8 g/kg/j pour les stades 4 et 5. En l'absence d'insuffisance rénale, aucune restriction n'est recommandée. Cependant, l'amplitude de la restriction protidique ne serait que de 10 à 20 % de l'effet lié à un traitement par IEC (7).

- La restriction en sel – 6 g/j - est recommandée en cas d'insuffisance rénale associée à une HTA (9). L'apport alimentaire en chlorure de sodium est d'ailleurs le principal facteur modulant l'effet antiprotéinurique des bloqueurs du SRA (7).

Les médicaments

- Les traitements néphrotoxiques sont à éviter en cas d'insuffisance rénale. Les AINS cumulent plusieurs mécanismes, y compris lorsqu'ils sont administrés par voie locale : hypoperfusion rénale entraînant une insuffisance rénale fonctionnelle aiguë, atteinte glomérulaire, atteinte tubulo-interstitielle. Citons également les aminosides (atteinte tubulaire), le lithium, et les produits de contraste iodés dont l'injection nécessite une préparation sous surveillance médicale (hydratation, suppression des IEC / ARA II / diurétiques avant l'examen…).

- La posologie de certains médicaments à élimination rénale doit être adaptée selon la clairance de la créatinine estimée par la formule de Cockcroft et Gault.

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Dr Pascale Naudin-Rousselle (rédactrice, fmc@legeneraliste.fr) sous la responsabilité scientifique du Pr Jean-Jacques Boffa (Service Néphrologie et Dialyses. INSERM UMR S 702. Hôpital Tenon. 4 rue de la Chine. 75020 Paris).

Source : Le Généraliste: 2601