Le traitement antihypertenseur administré au coucher réduit le risque cardiovasculaire.
Hermida RC, Crespo JJ, Dominguez-Sardina & al. Bedtime hypertension treatment improves cardiovascular risk reduction : the Hygia Chronotherapy Trial Eur Heart J 2019. https://doi.org/10.1093/eurheartj/ehz754
CONTEXTE
Plusieurs études et méta-analyses ont démontré que la pression artérielle (PA) moyenne nocturne mesurée automatiquement (MAPA) était un meilleur facteur prédictif des évènements cardiovasculaires que la PA diurne ou mesurée au réveil avec la même méthode (1). Un premier petit essai randomisé (2) avait démontré qu’administrer le traitement antihypertenseur au coucher versus au réveil améliorait le contrôle de la PA, et réduisait significativement les évènements cardiovasculaires (ECV). Cependant cet essai ne concernait pas des patients traités et suivis en médecine générale et la différence absolue observée sur un critère principal très composite était ténue (1,59 %, soit 62 patients à traiter au coucher vs au réveil pendant 5,2 ans pour éviter un évènement).
OBJECTIFS
Démontrer qu’administrer un traitement antihypertenseur (≥ 1 médicament) au coucher versus au réveil, réduit significativement les ECV chez des patients hypertendus tout-venant soignés et suivis en médecine générale, et améliore le contrôle de la PA mesurée en MAPA.
MÉTHODE
Essai randomisé multicentrique prospectif en ouvert réalisé dans 40 cabinets de soins primaires Galiciens (région de Vigo au nord-ouest d’Espagne) par 292 médecins généralistes tous formés et certifiés à l’utilisation de la MAPA. Les patients inclus devaient être atteints d’une HTA traitée on non avec une PA mesurée en MAPA pendant 48 heures. La PA moyenne devait être ≥ 135/85 mmHg au réveil et ≥ 120/70 mmHg pendant le sommeil.
Les patients ont été randomisés pour prendre leur traitement antihypertenseur (au choix de l’investigateur) soit au coucher soit au réveil. À la randomisation et à chaque visite, la PA a été mesurée au cabinet médical à l’aide d’un appareil électronique puis en MAPA avec une mesure diurne toutes les 20 minutes de 7 heures à 23 heures puis toutes les 30 minutes au cours du sommeil pendant 2 jours. Les investigateurs pouvaient modifier le traitement à chaque visite selon leur analyse personnelle de la situation clinique (PA considérée comme contrôlée ou non) et en utilisant les recommandations espagnoles. Le critère de jugement principal composite regroupait les décès cardiovasculaires, les infarctus du myocarde (IdM), les revascularisations coronaires, l’apparition d’une insuffisance cardiaque et les accidents vasculaires cérébraux (AVC). Les critères de jugement secondaires étaient chaque composant du critère principal, la mortalité totale et les valeurs de pression artérielle en fin d’essai.
L’analyse statistique a été faite en intention de traiter à l’aide d’un modèle proportionnel de Cox ajusté sur l’âge, le sexe, une coronaropathie connue, la présence d’un diabète de type 2 (DT2, oui vs non) ou d’une insuffisance rénale chronique, la consommation de tabac, le taux de HDL-cholestérol, la moyenne de la PA au coucher et de sa baisse (en %) pendant le sommeil.
RÉSULTATS
Cet essai randomisé a inclus 19 084 patients suivis en moyenne pendant 6,4 ans. 9 552 patients ont été randomisés dans le groupe traitement administré au coucher et 9 532 dans le groupe traitement administré au réveil. Les caractéristiques des patients à l’inclusion étaient comparables entre les groupes : âge = 60,5 ± 13,7 ans, 55,6 % d’hommes, 23,9 % de DT2, 15,2 % de fumeurs, PA électronique moyenne au cabinet médical = 149/86 mmHg, PA moyenne au réveil en MAPA = 136/81 mmHg et 124/70 mmHg pendant le sommeil. Pendant les 6,4 ans de suivi, il y a eu 1 752 (9 % des inclus) premiers évènements du critère principal. Les ECV de ce critère ont été significativement moins nombreux dans le groupe traitement pris au coucher : HR = 0,55 ; IC95 % = 0,50-0,61, p < 0,001. Il en était de même pour la mortalité toutes causes confondues : HR = 0,55 ; IC95 % = 0,48-0,63, p < 0,001 et pour chaque composant du critère principal avec des HR compris entre 0,39 et 0,66, tous avec p < 0,001 à l’exception des accidents ischémiques transitoires : HR = 0,73 ; IC95 % = 0,51-1,04, p = 0,08 (mais seulement 127 évènements au total). Par ailleurs, la réduction du risque était du même ordre, quel que soit le sous-groupe pré-spécifié de patients (genre, âge < ou ≥ 60 ans, tabac, DT2, PA au réveil ou pendant le sommeil, insuffisance rénale chronique, etc.).
→ Enfin, les patients du groupe traitement au coucher prenaient significativement moins de médicaments antihypertenseurs que ceux du groupe traitement au réveil (1,71 vs 1,80, p < 0,001) à la fin de l’essai. Par ailleurs, la pression artérielle mesurée électroniquement au cabinet était significativement plus basse dans le groupe administration au coucher (140/81 vs 143/82 mmHg, p < 0,001), tout comme la PA pendant le sommeil (115/65 vs 118/66 mmHg, p < 0,001), mais pas la PA moyenne au réveil.
COMMENTAIRES
→ Ce travail conduit par un pharmacologue biostatisticien épris de chronobiologie mondialement reconnu est impressionnant et convaincant. Impressionnant par les 19 000 patients de médecine générale inclus et la durée de leur suivi (6,4 ans), par la qualité obsessionnelle de la méthode (à l’inverse de celle de l’analyse statistique qui ne tenait pas compte de l’inflation du risque alpha liée à la multiplicité des tests), par la précision des mesures répétées et des outils utilisés, par le choix de critères de jugement cliniques pertinents pour le patient, et par le peu de données manquantes pour des patients suivis en soins primaires. Convaincant par ses résultats significatifs sur tous les critères de jugement cliniquement pertinents principal et secondaire (ce qui est exceptionnel et lié au très gros effectif de patients inclus), et quel que soit le sous-groupe de patients considéré.
→ Au-delà du plan d’analyse statistique non hiérarchisé, ce commentaire élogieux est à nuancer avec deux petites réserves :
♦ Il est dommage qu’un travail de recherche de cette qualité, exclusivement réalisé par des médecins généralistes ambulatoires et leurs patients, et avec des résultats aussi solides, pertinents, intéressants et faciles à mettre en œuvre, soit publié dans une revue de cardiologie peu lue par les médecins de pratique comparable.
♦ Comme trop souvent, il est également dommage que les résultats soient tous exclusivement présentés en risque relatif (ou HR). De ce fait, en l’absence des données absolues présentées dans chaque groupe (pas de supplément ou d’appendix téléchargeable adossé à la publication), il est impossible de connaître le nombre absolu (ou la proportion) des évènements dans chaque groupe et pour chaque critère. Ces données permettraient de calculer la quantité d’effet de l’intervention et de savoir combien de patients pourraient réellement tirer bénéfice d’une administration de leur traitement au coucher. Une réduction de relative de 45 % d’évènements sur une base de 100 ou de 10 évènements dans le groupe comparateur, ce n’est pas la même chose.
→ En pratique, cet essai confirme que la mesure ambulatoire de la pression artérielle (en MAPA ou en automesure) doit être (devenir) le gold standard du diagnostic et du suivi de l’HTA (3, 4). Il démontre surtout qu’il est préférable de prescrire le traitement antihypertenseur au coucher plutôt qu’au réveil en tenant compte qu’un éventuel diurétique administré le soir puisse être gênant (au moins provisoirement) pour le patient et qu’il est raisonnable de lui expliquer les raisons de ce conseil et de l’informer d’une éventuelle pollakiurie nocturne transitoire.
Bibliographie
1- Hermida RC, Crespo JJ, Otero A, & al. Asleep blood pressure: significant prognostic marker of vascular risk and therapeutic target for prevention. Eur Heart J 2018;39:4159-71.
2- Hermida RC, Ayala DE, Mojon A, & al. Influence of circadian time of hypertension treatment on cardiovascular risk: results of the MAPEC study. Chronobiol Int 2010;27:1629-51.
3- Piper MA, Evans CV, Burda BU, & al. Diagnosis and predictive accuracy of blood pressure screening methods with consideration of rescreening intervals: a systematic review for the US Preventive Services Task Force. Ann Intern Med 2015;162:192-204. Lebeau
4- JP, Pouchain D, Huas D, & al. ESCAPE-ancillary blood pressure measurement study: end-digit preference in blood pressure measurement within a cluster-randomized trial. Blood Pressure Monitoring 2011,16:74-79.
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