Réduction du risque cardiovasculaire avec l’icosapent éthyl pour traiter une hypertriglycéridémie
Bhatt DL, Steg PG, Miller M, & al. Cardiovascular Risk Reduction with Icosapent Ethyl for Hypertriglyceridemia N Engl J Med 2019;380:11-22. http://doi.org/10.1056/NEJMoa1812792
CONTEXTE
Chez les patients en prévention cardiovasculaire (CV) secondaire ou à haut risque CV en prévention primaire traités selon les recommandations, le risque d’évènement CV (ECV) reste consistant (1). Chez eux, l’hypertriglycéridémie est un marqueur indépendant de risque d’ECV (2). Plusieurs médicaments hypotriglycéridémiants (fibrates, niacine) ont été testés dans des essais randomisés mais ils n’ont jamais démontré qu’ils réduisaient l’incidence des ECV (3). Il en était de même pour les acides gras oméga-3 (4), non remboursés en France, à l’exception de l’essai Japonais en ouvert JELIS (5) qui a démontré qu’une petite dose (1,8 g/j) d’oméga-3 associée à une statine réduisait de 19 % (en relatif) les ECV sévères dans une population génétiquement particulière et très consommatrice de poissons.
OBJECTIF
Évaluer les bénéfices et les risques cliniques d’un oméga-3 hypotriglycéridémiant (icosapent éthyl, nom de marque aux USA : Vascepa®) chez des patients à haut risque cardiovasculaire correctement traités par une statine.
MÉTHODE
→ Essai randomisé en double insu versus placebo. Pour être inclus, les patients devaient avoir soit au moins 45 ans et un antécédent d’ECV documenté (prévention secondaire), soit au moins 50 ans et être diabétiques de type 2 (DT2) avec au moins un autre facteur de risque CV (prévention primaire à haut risque). Ils devaient également recevoir une statine à dose stable depuis au moins quatre semaines avec un LDL-cholestérol (LDL-c) compris entre 0,40 g/L et 1,00 g/L, et une triglycéridémie comprise entre 2,00 g/L (après amendement) et 4,99 g/L. Ils ont été randomisés pour recevoir soit 4 g/j d'icosapent per os, soit un placebo (même apparence et même odeur).
→ Le critère principal de jugement hétérogène et partiellement subjectif comprenait cinq composants : décès CV, infarctus du myocarde (IdM) et accidents vasculaires cérébraux (AVC) non fatals, revascularisations coronaires et hospitalisations pour angor instable. Le principal critère de jugement secondaire, plus objectif et “dur”, comprenait les décès CV, les IdM et les AVC non fatals. Les autres critères de jugement étaient chaque composant des critères composites précédents, différentes combinaisons de ces derniers et la mortalité totale.
→ L’analyse statistique a été faite en intention de traiter à l’aide d’un modèle de Cox proportionnel stratifié sur le stade de prévention (secondaire ou primaire), la région géographique et l’exposition ou non à l’ézétimibe. Après l’analyse sur le critère de jugement principal faite avec un risque alpha bilatéral fixé à p = 0,0437 (lié à deux analyses intermédiaires), les analyses sur les critères secondaires ont été hiérarchisées avec cette même valeur de p. Cette procédure biostatistique très rigoureuse et contraignante, mais qui accentue la solidité des preuves, consiste à prédéterminer l’ordre (étape par étape) dans lequel chaque critère est analysé et implique d’interrompre l’analyse dès que le résultat d’une étape est non significatif. Tous les évènements cliniques ont été adjudiqués par un comité d’experts indépendants en insu de la randomisation. L’effectif nécessaire pour montrer une différence relative de 15 % sur le critère principal, avec une puissance de 90 % a été estimé à 7 990 patients. Les résultats sont présentés en hazard ratio (HR) avec un intervalle de confiance à 95 %.
RÉSULTATS
→ Parmi 19 212 patients éligibles, 8 179 ont été randomisés : 4 089 dans le groupe icosapent et 4 090 dans le groupe témoin. Le statut vital était connu pour 99,8 % des patients en fin d’essai. À la suite de la randomisation, les deux groupes étaient comparables à l’inclusion : âge médian = 64 ans, hommes = 70 %, prévention secondaire = 70,7 %, IMC médian = 30,8 kg/m2, DT2 = 57,9 %, triglycéridémie médiane = 2,16 g/L, LDL-c = 0,75 g/L, et HDL-c = 0,40 g/L.
→ Au cours d’une durée médiane de 4,9 ans de suivi, il y a eu 705 (17,2 %) événements du critère principal composite dans le groupe icosapent vs 901 (22,0 %) dans le groupe placebo : HR = 0,75 ; IC95 % = 0,68-0,83, p < 0,001, nombre de patients à traiter pendant 5 ans pour éviter un événement de ce critère (NNT) = 21. Ce bénéfice était plus important chez les patients âgés de moins de 65 ans (NNT = 15). En raison d’un effectif vraisemblablement insuffisant, il n’y a pas eu de différence significative chez les patients à haut risque cardiovasculaire en prévention primaire sur ce critère.
→ Sur le principal critère de jugement secondaire (plus “dur” et objectif), il y a eu 459 (11,2 %) événements dans le groupe icosapent vs 606 (14,8 %) dans le groupe placebo : HR = 0,74 ; IC95 % = 0,65 - 0,83, p < 0,001, NNT 5 ans = 28. Le résultat était également non significatif en prévention primaire pour les mêmes probables raisons.
Dans l’analyse hiérarchisée, la différence entre les deux groupes était significative en faveur de l’icosapent sur tous les autres critères secondaires, y compris la mortalité CV (HR = 0,80 ; NNT = 112), mais pas sur la mortalité totale : HR = 0,87, IC95 % = 0,74 - 1,02 qui était le critère de dernier rang.
→ En termes de sécurité d’emploi, il y a eu significativement plus d’hospitalisations pour fibrillation atriale ou flutter dans le groupe icosapent : 5,3 % vs 3,9 %, NNH = 72, et plus d’œdèmes périphériques, p = 0,002, NNH = 67 et de constipation, p < 0,001.
→ Enfin, en termes d’effets biologiques, la différence sur les triglycérides était de - 0,45 g/L en faveur du groupe icosapent en fin d’essai et de - 0,05 g/L pour le LDL-C, p < 0,001 pour ces deux résultats. Le bénéfice clinique observé était concordant, quel que soit le taux initial et à un an des triglycérides.
COMMENTAIRES
Pour les responsables de cette rubrique, il est très inhabituel de consacrer deux pages à un seul essai randomisé concernant un unique médicament. L’exception d’aujourd’hui est liée à la renaissance inattendue d’un acide gras oméga-3 dans la prévention cardiovasculaire, à la qualité et à la rigueur de l’essai Reduce-it ainsi qu'à l’amplitude (très) surprenante du bénéfice clinique observé (légèrement atténuée par l’augmentation des fibrillations auriculaires), comparativement aux données connues de la littérature à ce jour. Les résultats sont d’autant plus surprenants qu’une récente méta-analyse avait conclu à l’absence de bénéfice CV de cette classe pharmacologique (4) et que l’essai ASCEND chez 15 000 patients DT2 en prévention primaire n’avait pas montré de bénéfice pour une faible dose (1 g/j) d’oméga-3 (6).
→ Contrairement aux apparences et pour la petite histoire, l’icosapent éthyl n’est pas un nouveau médicament. Il y a un peu plus de 10 ans, il avait été testé sans succès dans le traitement de la maladie de Huntington et n’avait pas obtenu d’AMM dans cette indication (7). Par ailleurs, le mécanisme d’action pharmacologique susceptible d’expliquer l’effet observé de ce principe actif dans cet essai n’est pas bien élucidé et ne peut pas se résumer à une différence de 0,45 g/L de triglycérides entre les groupes. Néanmoins, deux hypothèses peuvent soutenir ce résultat spectaculaire : une posologie quotidienne d’icosapent (4 g/j) très supérieure à celle évaluée antérieurement, et une population dont le risque CV était très important. Par exemple, sur le principal critère de jugement secondaire (décès CV + IdM + AVC) dans les groupes placebo, le risque d’ECV à 10 ans était de 33,8 % pour les patients en prévention secondaire et de 19,6 % pour les DT2 en prévention primaire.
→ En pratique, l’icosapent éthyl apportera un plus dans la prise en charge des patients à haut risque cardiovasculaire hypertriglycéridémiques. Un second essai positif avec une amplitude de bénéfice similaire emporterait la conviction. Cependant, il faudra être patient pour en disposer, car l’icosapent doit d’abord obtenir une AMM dans cette indication en Europe (ce qui ne posera pas de problème), puis un remboursement en France avec une ASMR d’un bon niveau (ce qui sera plus difficile) et enfin un prix acceptable par la solidarité nationale. Il est probable que le remboursement sera restreint aux patients en prévention secondaire déjà sous statine et ayant une triglycéridémie > 2 g/L. En attendant, pour consommer 4 g/j d’oméga-3, il faudrait manger quatre plats de poisson chaque jour, ce qui paraît bien improbable pour un patient français.
Liens d'intérêts :
Aucun
Bibliographie :
1- Bhatt DL, Eagle KA, Ohman EM, & al. Comparative determinants of 4-year cardiovascularevent rates in stable outpatients at risk of or with atherothrombosis. JAMA 2010;304:1350-7.
2- Nichols GA, Philip S, Reynolds K, & al. Increased cardiovascular risk in hypertriglyceridemic patientswith statin-controlled LDL cholesterol. J Clin Endocrinol Metab2018;103:3019-27.
3- Ganda OP, Bhatt DL, Mason RP, & al. Unmet need for adjunctive dyslipidemia therapy in hypertriglyceridemia management. J Am Coll Cardiol2018;72:330-43.
4- Aung T, Halsey J, Kromhout D, & al. Associations of omega-3 fatty acid supplementuse with cardiovascular disease risks: meta-analysis of 10 trials involving 77 917 individuals. JAMA Cardiol2018;3:225-34.
5- Yokoyama M, Origasa H, Matsuzaki M, et al. Effects of eicosapentaenoic acid on major coronary events in hypercholesterolaemic patients (JELIS): a randomized open-label, blinded endpoint analysis. Lancet 2007;369:1090-8.
6- The ASCEND Study Collaborative Group. Effects of n−3 fatty acid supplements in diabetes mellitus. N Engl J Med2018;3791540-50.
Demande AMM EMA retirée en 2009 pour inefficacité dans l’indication maladie de Huntingtonhttps://www.ema.europa.eu/en/medicines/human/withdrawn-applications/eth…
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