La perception d’une odeur résulte de la stimulation du système olfactif par un mélange important de molécules odorantes. L’analyse sémiologique de la dysosmie est l’élément clé du diagnostic. L’imagerie est prescrite avec parcimonie et toujours en seconde intention.
INTRODUCTION
La stratégie diagnostique devant un trouble de l’odorat, appelé dysosmie, repose avant tout sur une analyse sémiologique des plaintes du patient. Les examens complémentaires sont limités et doivent être demandés en seconde intention. Le raisonnement devant une dysosmie repose sur un diagnostic positif, puis topographique et étiologique.
DÉFINITIONS
Bien définir le trouble de l’odorat est une étape essentielle vers le diagnostic. C’est grâce à un interrogatoire détaillé et précis que l’on définira de quel trouble souffre exactement le patient. La dysosmie est parfois quantitative, parfois quantitative et qualitative.
Parmi les dysosmies quantitatives, les hyperosmies sont très exceptionnelles ; elles doivent être différenciées des intolérances aux odeurs, qui concernent un patient ne tolérant pas certaines odeurs, qui induisent des manifestations cliniques comme des nausées, des vomissements, des malaises, des douleurs abdominales, etc. ; l’origine en est le plus souvent psychologique. La dysosmie quantitative est le plus souvent une hyposmie (diminution de l’odorat), voire une anosmie (perte complète).
Les dysosmies qualitatives sont plus difficiles à analyser mais l’importance de leur analyse sémiologique est fondamentale. On en distingue trois types :
➔ La cacosmie est la perception d’une mauvaise odeur qui est réellement présente dans les cavités nasales du patient : il existe donc une source de mauvaise odeur dans les voies aériennes supérieures. Attention, toute perception d’une mauvaise odeur n’est pas une cacosmie ; certaines parosmies sont parfois très désagréables.
➔ La parosmie est la perception d’une odeur transformée ; par exemple, en humant une tasse de café, le patient ne perçoit pas l’odeur du café mais une odeur transformée qui peut être une odeur de brûlé voire une odeur d’excrément (et prenant ainsi le masque d’une cacosmie).
➔ La phantosmie, ou illusion olfactive, est la perception d’une odeur, souvent complexe, comme une odeur d’oignon frit, perçue par le patient et que l’entourage ne perçoit pas : c’est un symptôme exceptionnel en consultation courante.
Les hyposmies et les anosmies peuvent être observées dans toutes les pathologies olfactives et ces symptômes ont peu de valeur topographique. Il n’en est pas de même pour les troubles qualitatifs : une cacosmie signe le plus souvent une topographie sinusienne d’origine dentaire ou liée à la présence d’une aspergillose sinusienne (bactéries anaérobies) ; une parosmie signe une topographie du neuroépithélium olfactif avec un défaut de connexion entre le neuroépithélium olfactif et le bulbe olfactif : ses étiologies sont dominées par les anosmies post-rhinitiques et les traumatismes crâniens ; la phantosmie signe une topographie centrale et elle est le plus souvent le marqueur d’une pathologie grave : une tumeur cérébrale, certaines épilepsies ou un trouble psychiatrique comme une schizophrénie.
DIAGNOSTIC TOPOGRAPHIQUE
Il est important de connaître les bases de la physiologie olfactive afin d’aborder le diagnostic topographique (1). Percevoir une odeur repose sur quatre étapes : l’aéroportage, la traversée du mucus, la transduction (2), la transmission centrale : nerf olfactif et centres olfactifs.
Lors d’une inspiration, les molécules odorantes pénètrent dans la cavité nasale (2) mais seulement 10 % de cet air passe par la fente olfactive pour être dirigé vers l’organe olfactif. Cet aéroportage est peu modifié par les caractéristiques anatomiques de la cavité nasale, que ce soit la forme de la cloison ou des cornets nasaux : il n’est donc pas licite de proposer une chirurgie de l’anatomie nasale (septoplastie, chirurgie des cornets) devant un trouble olfactif. Les pathologies affectant l’aéroportage sont dominées par les rhinosinusites diffuses comme la polypose naso-sinusienne (figure 1) (qui donnent le plus souvent une anosmie). Dans certaines formes de sinusite d’origine dentaire ou aspergillaire, une cacosmie peut être présente. Il n’y a ni parosmie, ni phantosmie.
Les molécules odorantes arrivent alors en regard du neuroépithélium olfactif et elles doivent traverser le mucus. Des protéines de transport, sécrétées par les glandes nasales, facilitent le transport des molécules les moins hydrosolubles. Les pathologies affectant la traversée du mucus sont les rhinites chroniques, engendrant des hyposmies. Il n’y a aucune dysosmie qualitative.
La troisième étape est la transduction, traduction du message chimique en message électrique par le neuroépithélium olfactif. Le neuroépithélium tapisse la face inférieure de la lame criblée de l’ethmoïde ; il est formé de deux types essentiels de cellules : les neurones olfactifs primaires, véritables transducteurs, et les cellules basales, qui permettent un renouvellement constant durant la vie des neurones olfactifs primaires. Les molécules odorantes se fixent sur un récepteur présent sur les cils du neurone à son pôle supérieur, ce qui induit une dépolarisation de la cellule et le transfert de l’information électrique par l’axone vers les glomérules du bulbe olfactif. Les pathologies de la transduction sont largement dominées par les étiologies virales, et en particulier actuellement par le Covid-19. Les parosmies sont fréquentes. Il n’y a ni phantosmie, ni cacosmie.
Le bulbe olfactif est le premier relais du système olfactif central. Les messages issus des récepteurs olfactifs exprimant un même récepteur convergent vers un même glomérule ; c’est à leur niveau que le codage qualitatif de l’odorat débute. Puis les axones des cellules mitrales se projettent sur les aires olfactives primaires, dominées par le cortex piriforme. Les connexions centrales assurent la perception consciente de l’odeur, son intégration affective et sa mémorisation, notamment via le cortex entorhinal. La pathologie du nerf olfactif est dominée par les traumatismes crâniens et le méningiome olfactif (figure 2). Les étiologies centrales sont le vieillissement normal et les maladies neurodégénératives, en premier lieu la maladie d’Alzheimer.
EXPLORER L’ODORAT
L’olfactométrie (3) est la seule technique clinique d’étude quantitative de l’odorat. Mais c’est une technique psycho-olfactive sujette à des variations en fonction de l’attention et de la cognition du patient testé. Plusieurs tests sont actuellement commercialisés ; néanmoins cette technique d’exploration fonctionnelle reste (actuellement) peu utilisée en clinique ORL courante et seuls quelques centres spécialisés français la pratiquent.
STRATÉGIE DIAGNOSTIQUE
Cette stratégie est avant tout clinique, basée sur l’interrogatoire : circonstances d’apparition, profil sémiologique, caractère aigu ou chronique. Le mode de révélation (aigu ou chronique) peut en effet orienter le diagnostic. Les examens complémentaires doivent être prescrits avec parcimonie et en seconde intention. Quatre diagnostics dominent les étiologies des dysosmies. Ils représentent plus de 80 % des cas (4) : la dysosmie post-rhinitique ; les dysfonctionnements rhinosinusiens ; le traumatisme crânien ; le vieillissement normal et pathologique (maladie d’Alzheimer).
➔ La dysosmie post-rhinitique représente la première cause de perte de l’odorat dans le monde. C’est un diagnostic d’interrogatoire : il est capital d’affirmer la relation entre la rhinite aiguë et la dysosmie. Au moment d’une rhinite aiguë, les symptômes usuels sont une obstruction nasale, une rhinorrhée antérieure et postérieure et une altération de l’odorat pouvant être une hyposmie ou une anosmie. À la guérison de la rhinite aiguë, l’odorat se normalise car l’œdème au niveau de la fente olfactive disparaît. Si la dysosmie persiste, on parle de dysosmie post-rhinitique, dont l’exemple typique est actuellement la dysosmie post-Covid. Le plus souvent, le patient ne consulte pas immédiatement, sauf actuellement avec le Covid du fait du battage médiatique. Le diagnostic est simple : la dysosmie doit avoir été immédiatement consécutive à la rhinite aiguë : l’interrogatoire suffit au diagnostic. L’examen rhinologique est normal et il n’existe pas d’autre symptôme de dysfonctionnement rhino-sinusien. La dysosmie post-rhinitique affecte surtout des femmes (65 % des cas), d’âge moyen compris entre 55 et 65 ans. Elle se présente sous la forme d’une hyposmie (50 % des cas) ou d’une anosmie (50 % des cas). Les parosmies sont fréquentes (30 % des cas), parfois décalées dans le temps de quelques semaines. Une perte de la flaveur (le goût) survient chez 30 % des patients, surtout quand il y a une anosmie. Il n’existe pas de traitement des dysosmies post-rhinitiques. La récupération spontanée est fréquente, dans plus de 60 % des cas, avec un délai variant de 6 à 18 mois. Les conséquences psychologiques sont souvent marquées avec un risque de dépression important. Il est conseillé aux patients de stimuler le système olfactif dès qu’un début de récupération s’amorce.
➔ Les dysfonctionnements rhinosinusiens sont une cause très fréquente de dysosmie. L’origine est une altération soit de l’aéroportage, soit du mucus. Dans ce cadre, hormis la dysosmie, il existe des symptômes témoignant d’un dysfonctionnement rhino-sinusien : obstruction nasale, rhinorrhée antérieure et/ou postérieure, pesanteurs faciales, éternuements, etc. Trois étiologies dominent et chaque étiologie est marquée par un type de dysosmie :
les rhinosinusites diffuses, avec pour exemple la polypose naso-sinusienne qui entraîne le plus souvent une anosmie ; un patient présentant une obstruction nasale chronique associée à une anosmie a probablement une polypose naso-sinusienne (figure 1) ;
les sinusites localisées antérieures, le plus souvent maxillaires, d’origine dentaire ou aspergillaire, sont dominées par la cacosmie (figure 3) ;
les rhinites chroniques, allergiques ou non, sont marquées par l’hyposmie ; il n’y a ni anosmie ni cacosmie.
Dans ce cadre, un avis ORL est utile afin de réaliser une fibroscopie nasale. Il est conseillé d’adresser le patient à l’ORL, muni d’un examen TDM, axial et coronal, des sinus de la face réalisé sans injection.
➔ La dysosmie post-traumatique peut être liée soit à des lésions des cavités naso-sinusiennes, soit à une section des filets nerveux olfactifs traversant l’étage antérieur de la base du crâne, soit à des lésions des centres olfactifs. Les deux premières atteintes prédominent. Les dysosmies après un traumatisme crânien sont présentes dans 4 à 8 % des cas. L’anosmie domine (80 % des cas) et les parosmies sont fréquentes (40 % des cas). Le plus souvent, le patient consulte à distance du traumatisme. Le diagnostic est un diagnostic d’interrogatoire : la dysosmie doit avoir été immédiatement consécutive au traumatisme crânien. Il n’y a aucun traitement médical ni chirurgical ; les récupérations sont rares.
➔ Le système olfactif, comme tout système sensoriel, vieillit. Plus de 70 % des sujets âgés de plus de 80 ans sont anosmiques ou fortement hyposmiques et la moitié des sujets entre 65 et 80 ans ont un déficit olfactif important. Cette presbyosmie apparaît progressivement : c’est une hyposmie progressive sans dysosmie qualitative. Les conséquences sont parfois marquées, avec des troubles nutritionnels liés au manque de motivation alimentaire et, surtout, des risques d’accidents domestiques comme un incendie, une explosion de gaz, et des intoxications alimentaires. Il n’y a pas de traitement. Le diagnostic est un diagnostic d’interrogatoire si le sujet a plus de 80 ans. Mais le diagnostic différentiel est principalement la maladie d’Alzheimer. Toutes les maladies neurologiques dégénératives sont associées à une dysosmie : maladie d’Alzheimer, maladie de Parkinson, chorée de Huntington, syndrome de Korsakoff, sclérose latérale amyotrophique. La dysosmie est progressive mais débute plus précocement que dans le vieillissement normal : une perte progressive de l’odorat menant à l’anosmie avant 65 ans doit faire suspecter le diagnostic de maladie neurologique dégénérative.
➔ Les autres causes des dysosmies représentent moins de 20 % des étiologies. Les dysosmies d’origine toxique sont exceptionnelles. La dysosmie post-radique est le plus souvent transitoire. Les dysosmies d’origine médicamenteuse sont exceptionnelles (contrairement aux dysgueusies). Le tabac diminue l’odorat. Les dysosmies d’origine psychiatrique sont des phantosmies. Quelques pathologies générales peuvent parfois entraîner une dysosmie : cirrhose d’origine alcoolique (lien avec la vitamine A), insuffisance surrénale, sarcoïdose, thymomes, maladie de Horton, syndrome de Gougerot-Sjögren, sclérodermie, diabète, insuffisance rénale, SIDA, hypothyroïdie.
Les dysosmies d’origine tumorale sont rares : 0,3 % des dysosmies. On doit toujours y penser lorsqu’aucune cause évidente de dysosmie n’apparaît. La dysosmie est rarement un signe révélateur d’une tumeur cérébrale, sauf pour le méningiome olfactif (figure 2). Le piège du méningiome olfactif est que les signes cliniques sont longtemps limités à une simple hyposmie progressive conduisant en quelques années à une anosmie. Il est donc essentiel, lorsqu’aucun diagnostic n’a été trouvé devant une hyposmie progressive, après avoir éliminé les causes sus-jacentes, de demander une IRM cérébrale (figure 2).
Enfin, devant un patient n’ayant jamais senti, il faut penser à une anosmie congénitale. Elle est liée à une absence de développement du neuroépithélium et du bulbe olfactif. Elle est parfois associée à un hypogonadisme hypogonadotrophique dans le cadre d’un syndrome de Kallmann-De Morsier. L’IRM est le seul examen qui permet d’affirmer l’absence de bulbes et de tractus olfactifs.
EN RÉSUMÉ
- Un trouble de l’odorat appelé aussi dysosmie, n’est jamais un symptôme bénin pour deux raisons :
- Il induit un fort retentissement psychologique et fonctionnel qui peut conduire à une dépression mais aussi à des conséquences alimentaires et de sécurité environnementale.
- Il peut être aussi le symptôme révélateur de nombreuses pathologies, dont certaines sont graves et qu’il convient de diagnostiquer sur ce simple signe fonctionnel.
- La démarche diagnostique s’appuie principalement sur l’interrogatoire.
- Les dysosmies post-COVID dont on parle aujourd’hui beaucoup correspondent à une dysosmie post-rhinitique. Elles sont liées à une atteinte du neuroépithélium.
- Devant toute dysosmie, un avis ORL est conseillé.
BIBLIOGRAPHIE 1. LLEDO PM, GHEUSI G, VINCENT JD. Information processing in the mammalian olfactory system. Physiol Rev, 2005, 85 : 281-317. |
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