Par Hélène Joubert, avec le Pr Emmanuel Disse, chef du service d'Endocrinologie-Diabète-Nutrition Hôpital Lyon Sud (Hospices Civils de Lyon)
Actuellement, en France, le suivi des patients sous aGLP-1 pour perte de poids n’est pas codifié mais la coordination nationale des centres spécialisés de l’obésité (CSO) devrait publier prochainement un parcours standardisé. D’ores et déjà, certains grands principes peuvent être proposés.
1 - Quelle surveillance et à quel rythme ?
Le suivi des patients doit être organisé, en particulier pendant les premiers mois de traitement où les effets indésirables (EI), notamment digestifs, et les risques liés à une perte de poids importante et rapide sont maximaux.
En l’absence de recommandations actuellement, le patient devrait idéalement être revu en consultation systématique à 3, 6 et 12 mois par le prescripteur initial ou médecin généraliste, avec la réalisation d’un bilan biologique.
> À 3 mois, les problématiques seront les troubles digestifs et la réponse pondérale précoce, prédictive de l’évolution.
> À 6 mois, le patient est en phase de perte de poids rapide et importante. La problématique sera la prévention de la dénutrition et des carences vitaminiques (voir point 3). Avec, à cette étape, le dépistage d’un trouble alimentaire restrictif et l’évaluation du retentissement médical et psychique de la perte de poids rapide.
> À 12 mois, le patient a stabilisé son poids. Il faut expliquer la nécessité de maintenir le traitement au long cours pour garder le bénéfice obtenu, discuter d’une prise en charge complémentaire si nécessaire (chirurgie bariatrique, par exemple) et organiser le suivi au moyen terme (consultation tous les 6 mois, par exemple).
Il est légitime pendant cette période de réaliser des bilans biologiques (albumine, numération formule sanguine, ionogramme, créatinine, bilan hépatique de manière trimestrielle) et éventuellement des dosages vitaminiques. Il n’est pas nécessaire de surveiller la glycémie chez des patients non diabétiques, ces médicaments ne provoquant pas d'hypoglycémie (leur action se limite à corriger une hyperglycémie).
2 - Comment gérer les éventuels effets indésirables ?
Les agonistes des récepteurs au GLP-1 doivent être introduits à doses progressives : augmentation mensuelle pour le sémaglutide sur 4 mois de 0,25 mg jusqu’à 2,4 mg/semaine ; dose initiale de 2,5 mg/semaine pour le tirzépatide puis 5 mg après 4 semaines puis paliers de 2,5 mg au moins toutes les 4 semaines (dose maximale de 15 mg/semaine).
> Les effets indésirables digestifs (nausées, diarrhées, constipation, douleurs abdominales, reflux gastro-œsophagien) sont fréquents lors de cette escalade de doses. Très variables entre individus, ils sont généralement temporaires et liés à l'adaptation de l’organisme à la molécule et aux posologies croissantes. Certains patients présentent des EI digestifs même à de faibles doses. Environ 30 % des patients présenteront des nausées, 20 % de la diarrhée, 20 % de la constipation et 10 % des vomissements.
En cas de troubles digestifs importants, l’augmentation des doses peut être différée et la dose en cours maintenue voire diminuée avant de tenter une nouvelle augmentation posologique. Certains conseils alimentaires peuvent être utiles (voir point 5). La prescription de traitements symptomatiques (antinauséeux, antidiarrhéiques ou IPP si RGO) peut être proposée temporairement (avec une efficacité et des modalités d'utilisation habituelles), à l’instar de ce qui est proposé pour des patients diabétiques sous Victoza ou Ozempic.
Les études de vie réelle indiquent qu’une proportion importante de patients interrompent le traitement après seulement quelques mois, souvent en raison des effets indésirables. Ainsi, l’accompagnement des patients dès l’initiation du traitement est important pour prendre en charge les possibles effets indésirables digestifs initiaux et conforter l’observance. Si certains services hospitaliers ont mis en service une hotline pour aider à la gestion de ces effets indésirables, la réactivité du médecin de proximité permet de maintenir les patients sous traitement plus longtemps.
> Concernant les autres effets indésirables, le risque de cancer de la thyroïde a été écarté par l'Agence européenne des médicaments (EMA). Pour le risque suicidaire, il existe une augmentation de la prévalence des troubles psychiatriques sous traitement mais ce n’est pas un effet secondaire directement imputable à ces molécules. Il est connu que la perte de poids, notamment après une chirurgie bariatrique, peut être associée à une déstabilisation psychique, voire à un surrisque suicidaire.
En revanche, l’utilisation des aGLP-1 est associée à une augmentation du risque de pancréatite aiguë, bien que ce risque reste exceptionnel.
Par ailleurs, les études montrent une augmentation de près de 50 % des pathologies biliaires en général sous traitement. Le risque est surtout corrélé à l’importance de la perte de poids, qu'elle soit induite par régime, chirurgie ou médicaments. Ainsi, chez un patient ayant perdu beaucoup de poids avec ces traitements, des douleurs évocatrices (au niveau de l’hypochondre droit notamment) devront faire éliminer une pathologie biliaire.
Enfin, un signal existe concernant un risque de neuropathie optique ischémique antérieure non artéritique sous sémaglutide, mais ce phénomène mal compris semble être rare.
3 - Quid du risque de dénutrition, carences et sarcopénie ?
> Pour prévenir le risque carentiel et la dénutrition, notamment durant les 6 à 12 premiers mois, on surveillera en particulier le pourcentage de poids perdu et la cinétique de cette perte. Une perte de poids de 10 % à 3 mois ou de 20 % à 6 mois doit être considérée comme à risque de carences.
Le sens clinique et les examens biologiques, lors du suivi, indiqueront la nécessité ou non de mettre en place une supplémentation polyvitaminique, comme c’est le cas après chirurgie bariatrique, ou bien une supplémentation protéique pour prévenir la dénutrition.
La suspicion d’une anémie doit faire rechercher une carence en fer, en vitamines B9 et B12, qui nécessiteront des supplémentations spécifiques.
Des vomissements induits par le traitement doivent faire éliminer le risque de carence en vitamine B1 pour prévenir une encéphalopathie carentielle.
Il est probable que le parcours de soins « médicaments de l’obésité », en cours d’écriture, inclura une supplémentation vitaminique ou en protéines systématique, comme c’est le cas après une chirurgie bariatrique, avec une initiation sur un seuil de perte de poids prédéfini.
> Comme dans toute perte de poids importante et rapide, il existe également un risque de perte de masse maigre et notamment de muscles. La prévention d’une sarcopénie est donc importante, en rappelant la nécessité de maintenir un bon niveau d’activité physique (exercices physiques d’aérobie et renforcement musculaire) et l’importance de l’apport protéique alimentaire (60 g de protéines/j a minima), une supplémentation en protéines pouvant être nécessaire en cas d’apports insuffisants. L’objectif est de prévenir la sarcopénie en préservant la masse maigre.
Le cas échéant, le traitement ne doit pas être arrêté systématiquement car cela entraînerait une reprise de masse grasse (voir point 4) aggravant la situation initiale (obésité sarcopénique).
4 - Quand envisager un arrêt de traitement ?
> La règle d'arrêt (stopping rule) pour inefficacité est la suivante :
Il faut envisager l'arrêt du traitement en cas de perte de poids inférieure à 5 % après six mois de traitement à pleine dose. Ce seuil basé sur des analyses de données cliniques permet d’identifier les mauvais répondeurs précoces et d’éviter une exposition prolongée aux traitements en cas de réponse insuffisante.
> En dehors de cette situation, tout arrêt doit être bien réfléchi et discuté avec le patient.
En effet, ces traitements de fond ayant un effet uniquement suspensif, un arrêt intempestif conduira habituellement à une reprise de poids rapide et contribuera au yoyo pondéral délétère pour la santé sur le long terme. Pour le sémaglutide par exemple, une reprise pondérale moyenne de 70 % du poids perdu a été observée un an après son interruption. Ce risque doit être expliqué au patient dès la prescription et rappelé au cours du suivi, notamment lors de la stabilisation pondérale (plateau habituellement atteint au bout de 12 mois de traitement).
Les troubles digestifs induits par le traitement peuvent habituellement se résoudre avec des adaptations diététiques, des traitements symptomatiques, voire une diminution de posologie au palier du dessous, sans nécessité d’arrêter le traitement.
> Si l'arrêt du traitement devient nécessaire (pancréatite aiguë, dénutrition sévère induite par le médicament, grossesse, etc.), il faudra suivre de près le patient car la reprise de poids pourrait alors être rapide et importante.
> Faute de données de sécurité suffisantes, il est recommandé de ne pas utiliser les agonistes des récepteurs au GLP-1 ou GLP-1/GIP pendant la grossesse et de les prescrire chez des femmes sous contraception. Si une grossesse est découverte, le traitement doit être stoppé et le médecin traitant doit faire une déclaration de pharmacovigilance au décours de laquelle seront précisées les actions à suivre et si une surveillance particulière est nécessaire. En cas de grossesse programmée, le traitement doit être stoppé environ un mois à un mois et demi avant l'arrêt de la contraception, ce qui correspond à environ 5 demi-vies du produit. Après l’arrêt de ces médicaments, le poids peut repartir fortement à la hausse, ce qui peut exposer, durant la grossesse, à un surrisque de complications comme le diabète gestationnel. Un suivi attentif est donc nécessaire.
> Concernant l’âge maximal d’utilisation de ces médicaments, les données sont insuffisantes au-delà de 85 ans. En pratique, après 70 ans, l’intérêt du traitement doit être soigneusement évalué, notamment en raison de la diminution de la balance bénéfices-risques associée à la perte de poids dans cette population.
> En cas d’insuffisance rénale, la filtration glomérulaire doit être prise en compte. Le sémaglutide est contre-indiqué en dessous de 30 ml/min, faute de données entre 15 et 30 ml/min (pour le liraglutide, l’utilisation reste possible jusqu’à 15 ml/min).
5 - Quels conseils alimentaires ?
> Pour limiter les nausées et vomissements, les diététiciens recommandent de boire suffisamment pour prévenir la déshydratation, de prendre les repas lentement en mâchant bien, et d’essayer de fractionner l’alimentation en petites prises réparties tout au long de la journée. Les aliments difficiles à digérer, très gras, sucrés, riches en fibres dures ou au goût fort, ainsi que les graisses cuites, fritures et odeurs de cuisson, doivent être évités. Il est préférable de privilégier les aliments au goût neutre, comme les fruits et légumes cuits à l’eau ou les produits laitiers. Les boissons gazeuses (de préférence de l'eau plutôt que des sodas) peuvent aider à réduire les nausées.
> En cas de manque d'appétit, il est recommandé de fractionner les repas et d’ajouter des collations tout au long de la journée. Les plats appréciés du patient doivent être privilégiés, en mettant l’accent sur le plat principal plutôt que les hors-d'œuvre. Pour stimuler l'appétit et améliorer le goût des aliments, il est conseillé d'ajouter des herbes, aromates ou épices. Chaque repas doit contenir des aliments riches en protéines. Une supplémentation en poudre de protéines, faible en calories, peut aussi être envisagée.
> Une évolution du comportement alimentaire peut survenir avec ces médicaments qui ciblent les centres de régulation de la prise alimentaire dans les zones hypothalamiques, influençant ainsi les sensations de faim, et qui agissent sur le système de la récompense, réduisant ainsi l'envie de manger même en l'absence de besoin nutritionnel. Cette interaction entre ces deux systèmes permet de diminuer les compulsions alimentaires (craving) et d'aider les patients à éviter les pensées alimentaires obsessionnelles. En pratique, cela conduit à une diminution des choix alimentaires impulsifs, les patients tendant à choisir des aliments moins riches en graisses et en sucres. Dans ce contexte, il faut toutefois veiller à ce qu’ils ne développent pas de troubles du comportement alimentaire sur un mode restrictif (anorexie induite).
Vigilance vis-à-vis des patients ayant des antécédents de troubles alimentaires restrictifs (épisodes d’anorexie à l’anamnèse), qui pourraient être plus à risque de développer des comportements similaires à l'anorexie mentale sous traitement. À noter que les patients qui présentent une hyperphagie boulimique ont parfois eu par le passé des comportements restrictifs ou anorexiques qui pourraient se réactiver sous traitement.
Si un patient déclare s’alimenter peu, ou de manière exclusive, il est impératif d'ajuster les prescriptions en protéines et en vitamines. Il faudra également réévaluer la pertinence de la posologie du traitement pharmacologique de l’obésité mais, tant que possible, ne pas l’interrompre de manière intempestive pour ne pas induire une reprise de poids rapide et délétère. L’arrêt du traitement pourra se discuter au cas par cas, en fonction de la situation clinique et en prévenant le patient du risque de reprise pondérale.
Les médicaments disponibles
En France, trois médicaments indiqués dans la perte de poids hors diabète sont actuellement disponibles en officine (mais non pris en charge par l’Assurance maladie) : deux agonistes des récepteurs au GLP-1 : le liraglutide (Saxenda) et le sémaglutide (Wegovy) ; et un co-agoniste des récepteurs au GLP-1/GIP (aGLP-1/GIP), le tirzépatide (Mounjaro).
Leurs AMM concernent les individus ayant un IMC > 30 kg/m2 ou > 27 en présence de comorbidités. La HAS les positionne en 2e intention et avant 65 ans. L’ANSM restreint leur prescription aux sujets avec un IMC > 35 en 2e intention, avec une prescription initiale réservée aux médecins diplômés en endocrinologie, diabétologie et nutrition ou ceux – y compris généralistes – ayant un diplôme complémentaire en nutrition.
Concernant les pertes de poids attendues, le liraglutide 3 mg/j permet une perte pondérale moyenne de l'ordre de 9,2 %, le sémaglutide 2,4 mg/semaine de 15 % à 12 mois (55 % perdent plus de 15 % et 35 % plus de 20 %). Quant au tirzépatide, la perte de poids moyenne aux posologies 10 et 15 mg/semaine dépasse 20 % et 22,5 %, respectivement. Près de 40 % des patients perdent plus 25 % de leur poids.
À noter que Saxenda ne sera prochainement plus disponible en France.
Liens d’intérêt : le Pr Emmanuel Disse déclare des honoraires en tant que consultant ou conférencier (laboratoires NovoNordisk, Sanofi, Lilly, Jonhson & Jonhson, Embecta, Astra Zeneca, Pfizer, Rhythm Pharmaceuticals, Amryt) et aide à la conception d'outils éducatifs, payée à son institution (Astra Zeneca, Lilly et Sanofi).
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