Contrôle intensif de la glycémie chez les patients diabétiques de type 2 : suivi à 15 ans
Reaven PD, Emanuele NV, Wiitala WL, & al. Intensive Glucose Control in Patients with Type 2 Diabetes — 15-Year Follow-up N Engl J Med 2019;380:2215-24.
CONTEXTE
The Veterans Affairs Diabetes Trial (VADT) est un essai américain randomisé en ouvert qui a comparé un contrôle médicamenteux strict de l’HbA1c versus un contrôle “standard” chez 1 791 militaires diabétiques de type 2 (DT2). L’intervention consistait à obtenir une différence d’HbA1c ≥ 1,5 % entre le groupe contrôle strict et le groupe témoin et d’en mesurer l’impact sur un critère principal composite d’évènements cardiovasculaires : infarctus du myocarde (IdM), accident vasculaire cérébral (AVC), décès cardiovasculaire, insuffisance cardiaque (IC), insuffisance coronaire, chirurgie vasculaire et amputation pour artérite des membres inférieurs. Sur une médiane de 5,6 ans d’intervention, l’HbA1c était à 6,9 % dans le groupe strict et 8,4 % dans le groupe témoin (∆ = 1,5 %). Malgré cela, il n’y a pas eu de différence significative entre les groupes sur le critère principal : 29,5 % vs 33,5 %, HR = 0,88 ; IC95 % = 0,74-1,05, p = 0,14, au prix d’une augmentation significative des effets indésirables (1). Ce résultat, très contrariant pour la diabétologie, corroborait ceux de deux autres essais ayant testé le bénéfice clinique potentiel d’un contrôle strict de la glycémie publiés en 2008 (2, 3).
En 2015, la même équipe américaine a publié les résultats du suivi observationnel des patients inclus dans la phase randomisée de VADT (4), soit cinq ans après la fin de l’intervention. Assez logiquement, la différence d’HbA1c entre les deux groupes avait considérablement diminué (∆ = 0,3 %) trois ans après la fin de l’intervention. Cependant, 5 ans après celle-ci, la différence sur le critère principal était curieusement devenue (limite) significative : HR = 0,83 ; IC95 % = 0,77-0,99, p = 0,04, correspondant à 8,6 évènements CV évités pour 1 000 patients traités pendant un an, sans différence sur la mortalité cardiovasculaire ou totale. Ce résultat était à considérer avec prudence, dans la mesure où le mode de vie et les traitements reçus par les patients entre la fin de la phase randomisée et la date de l’analyse de suivi étaient imparfaitement documentés, et la puissance statistique insuffisante.
OBJECTIF
Mesurer l’effet de l’intervention testée dans la phase randomisée de VADT, 10 ans après la fin de l’essai afin d'argumenter un éventuel “effet mémoire” (5).
MÉTHODE
Étude observationnelle de suivi des patients inclus dans la phase interventionnelle de VADT (1). Les évènements CV du critère principal (y compris les décès et leur cause principale) ont été recueillis dans les quatre bases de données santé de l’armée américaine, dans les dossiers médicaux informatisés de 1 655 patients, et des données complémentaires ont été obtenues chez ceux ayant consenti à remplir des auto-questionnaires tous les ans. Le critère de jugement principal était un composite, rassemblant l’IdM, l’AVC, l’apparition ou l’aggravation d’une IC, l’amputation pour ischémie gangréneuse et le décès cardiovasculaire. Un des critères de jugement secondaire était la mortalité totale. L’analyse statistique a été faite en intention de traiter à l’aide d’un modèle de Cox proportionnel.
RÉSULTATS
L’effectif suivi comportait 1 655 patients, dont 1 391 ont rempli des auto-questionnaires tous les ans. À l’inclusion, dans VADT (soit 15 ans avant), 97 % étaient des hommes (militaires), âgés en moyenne de 61 ans, avec un DT2 depuis 12 ans. 40 % étaient en prévention secondaire, 73 % étaient hypertendus, 16,3 % fumeurs et le LDL-C moyen était à 1,07 g/L.
Le taux d’HbA1c a progressivement augmenté dans le groupe intensif et lentement diminué dans le groupe témoin, pour devenir identique dans les deux groupes (environ 8 %) 5 ans après la fin de l’intervention. Les variations connues des autres facteurs de risque CV semblaient similaires entre les groupes pendant la durée totale de suivi. À 15 ans (incluant la phase d’intervention), il n’y avait pas de différence significative sur le critère principal entre les patients du groupe contrôle strict et ceux du groupe témoin : HR = 0,91 ; IC95 % = 0,78-1,06, p = 0,23. Il en était de même pour la mortalité cardiovasculaire considérée isolément : HR = 0,91 ; IC95 % = 0,68-1,20 et pour la mortalité totale : HR = 1,02 ; IC95 % = 0,88-1,18. Ces résultats étaient indépendants de l’ancienneté du DT2, du niveau de risque CV et du statut de prévention CV (primaire ou secondaire) à l’inclusion.
COMMENTAIRES
Cette étude particulièrement bien faite et négative sur son critère principal alimente deux controverses.
→ La première concerne la valeur prédictive de la réduction médicamenteuse de l’HbA1c comme critère biologique intermédiaire solidement corrélé à la diminution des évènements cardiovasculaires chez les patients DT2. D’un point de vue épidémiologique, il est bien démontré que plus l’HbA1c est élevée, plus le risque de complications macrovasculaires (et microvasculaires) augmente (6, 7), ce qui en fait un marqueur du risque CV. En revanche, pour devenir un facteur de risque, il reste à démontrer qu’une intervention visant à la diminuer réduit parallèlement les évènements cardiovasculaires, ce que les essais VADT, ACCORD et ADVANCE n’ont pas pu établir malgré une méthode très solide (1, 3).
Quelques auteurs prétendent que les inhibiteurs des SGLT2 (alias gliflozines) et les analogues de la GLP1 ont fait ces démonstrations, mais pour des raisons méthodologiques, les nombreux essais de non-infériorité publiés avec ces principes actifs ne sont pas vraiment convaincants (8). Par ailleurs, les différences d’HbA1c observées étaient trop faibles pour expliquer le bénéfice clinique allégué (9), et d’autres facteurs de risque ont très significativement varié parallèlement à la réduction modeste de l’HbA1c (la pression systolique pour les iSGLT2 et le poids pour les GLP1).
→ La seconde controverse concerne l’“effet mémoire” (legacy effect). Il désigne le bénéfice clinique à long terme d’une période suffisamment longue de contrôle de l’HbA1c, même en cas de perte ultérieure de ce contrôle. Cette hypothèse séduisante avait été soulevée par la publication du suivi à 10 ans de l'essai UKPDS (après 10 années d’intervention, soit 20 ans au total), mais les importants biais de ce suivi (informations sur le tabac, l’activité physique régulière, et le poids dans chaque groupe, inconnues) ne permettaient pas vraiment de conclure (5). Le suivi à 15 ans de VADT ne confirme pas ce prétendu “effet mémoire”. Il en était de même du suivi à long terme des essais ACCORD et ADVANCE (10, 11). Au total, l’hypothèse de l’effet mémoire, qui avait pour objectif de se consoler de la médiocrité méthodologique d'UKPDS (12), est un “espoir échaudé”.
CONCLUSION
En pratique, il est logiquement recommandé de contrôler l’HbA1c (en particulier avec la metformine mais sans trop de preuves) des patients DT2 en mesurant bien, pour chacun, le rapport efficacité clinique/effets indésirables de chaque classe pharmacologique (13). Si les médicaments antidiabétiques n’ont pas de preuve formelle sur la réduction des évènements CV, les statines et les inhibiteurs de l'enzyme de conversion en disposent (14, 15), ce qui modifie les priorités de la stratégie thérapeutique.
Bibliographie
1- Duckworth W, Abraira C, Moritz T, & al. Glucose control and vascular complications in veterans with type 2 diabetes. N Engl J Med 2009;360:129-39.
2- The Action to Control Cardiovascular Risk in Diabetes Study Group. Effects of intensive glucose lowering in type 2 diabetes. N Engl J Med 2008;358:2545-59.
3- The ADVANCE Collaborative Group. Intensive blood glucose control and vascular outcomes in patients with type 2 diabetes. N Engl J Med 2008;358:2560-72.
4- Hayward RA, Reaven PD, Wiitala WL, & al. Follow-up of glycemic control and cardiovascular outcomes in type 2 diabetes. N Engl J Med 2015;372:2197-206.
5- Holman RR, Paul SK, Bethel MA, Matthews DR, Neil HAW. 10-Year follow-up of intensive glucose control in type 2 diabetes. N Engl J Med 2008;359:1577-89.
6- Seshasai SR, Kaptoge S, Thompson A, & al. Diabetes mellitus, fasting glucose, and risk of cause-specific death. N Engl J Med 2011;364:829-41.
7- Stratton IM, Adler AI, Neil HA, & al. Association of glycaemia with macrovascular and microvascular complications of type 2 diabetes (UKPDS 35): prospective observational study. BMJ 2000;321:405-12.
8- Pouchain D, Le Roux G, Renard V, Lebeau JP, Boussageon R. Effets cliniques des nouveaux antidiabétiques. Revue narrative des essais randomisés de non-infériorité. exercer 2018;145;314-22.
9- Inzucchi SE, Kosiborod M, Fitchett D, et al. Improvement in cardiovascular outcomes with empagliflozin is independent of glycemic control. Circulation 2018;138:1904-7.
10- The ACCORD Study Group. Nine-year effects of 3.7 years of intensive glycemic control on cardiovascular outcomes. Diabetes Care 2016;39:701-8.
11- Zoungas S, Chalmers J, Neal B, et al. Follow-up of blood pressure lowering and glucose control in type 2 diabetes. N Engl J Med 2014;371:1392-406.
12- Boussageon R, Boissel JP. Le côté obscur de UKPDS. Médecine 2009;5:315-8.
13- HAS. Stratégie médicamenteuse du contrôle glycémique du diabète de type 2. Disponible sur : https://www.has-sante.fr/jcms/c_1022476/fr/strategie-medicamenteuse-du-…
14- Collins R, Reith C, Emberson J, & al. Interpretation of the evidence for the efficacy and safety of statin therapy. Lancet 2016;388:2532-61.
15- HOPE Study Investigators. Effects of ramipril on cardiovascular and microvascular outcomes in people with diabetes mellitus: results of the HOPE study and MICRO-HOPE sub-study. Lancet 2000;355:253-9.
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