Urologie

PROSTATITE CHRONIQUE ET SYNDROME DOULOUREUX PELVIEN CHRONIQUE

Publié le 12/06/2009
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La notion de prostatite chronique a évolué ces dernières années et se trouve désormais rattachée au syndrome douloureux pelvien chronique.

Ces affections très fréquentes continuent de poser de difficiles problèmes diagnostiques et thérapeutiques.

Si la notion de prostatite aiguë est claire, définissant une infection bactérienne aiguë, celle de prostatite chronique (PC) est complexe, mal définie, malaisée à affirmer et souvent aussi à prendre en charge.

Ce qu'explique Henry Botto : « La prostatite dans sa forme chronique recouvre des pathologies infectieuses prostatiques chroniques ou récidivantes, des pathologies inflammatoires prostatiques sans cause bactérienne évidente, mais aussi des douleurs chroniques plus ou moins associées à des troubles fonctionnels pelvi-périnéaux dont l'origine prostatique est tout sauf évidente, enfin des formes dites asymptomatiques purement histologiques et de découverte fortuite. En somme, la prostate est incluse dans un système qui la dépasse ».

Près de 14 % de la population masculine serait touchée par cette affection dont les symptômes peuvent altérer de façon notable leur qualité de vie, leur fonction sexuelle, voire leur santé psychologique. Une nouvelle classification, celle du NIH (National Institut of Health) (voir encadré E1), est largement adoptée dans le monde. Elle a l'avantage de bien séparer ce qui, à l'évidence, est infectieux (PCB – prostatite chronique bactérienne) de ce qui ne l'est pas et de sortir cette pathologie du cercle strict de la prostate en la recentrant sur la notion de syndrome douloureux pelvien chronique (SDPC) (2).

UN DIAGNOSTIC SOUVENT DIFFICILE

Il n’ existe pas de définition précise ! « La prostatite chronique bactérienne, dit Henry Botto, serait une prostatite aiguë ou subaiguë qui récidive. On parle de PCB pour les patients ayant eu au moins deux épisodes de prostatite aiguë. » Oui, mais sur combien d'années ? Il n'y a pas de réponse nette.

En fait, on utilise le terme de PCB/SPDC pour des sensations d’inconfort ou de douleurs de la région pelvienne présentes depuis plus de trois mois au cours des six derniers mois, mais remarque Henry Botto : « Il s’agit avant tout de diagnostic d'élimination car il n'existe ni marqueur, ni critère clinique, qui soit spécifique de prostatite chronique ou de syndrome douloureux pelvien. Toute la pathologie pelvi-périnéale doit être passée en revue avant d'être éliminée ». La mise en évidence d’une bactérie n’étant détectée par les examens de routine que dans seulement 5 à 10 % des cas, les PCB sont moins fréquentes (10 % des cas) que les SPDC (90 %) (6).

- Les signes cliniques sont inconstants dominées par une sensation de gêne, beaucoup plus que de douleur, pelvienne ou périnéale (pouvant être localisée à la prostate, le périnée, le scrotum, les testicules ou le pénis). Cette gêne est peu influencée par les mictions mais volontiers exacerbée par l'éjaculation. S'y associent de façon variée et inconstante, sans être particulièrement évocateurs, des troubles de la miction (fréquentes envies d’uriner, difficultés urinaires, diminution du jet).

- L'évolution peut être intermittente, avec des intervalles asymptomatiques, mais aussi chronique.

En pratique, pour évoquer une PCB/SDPC, il faut donc :

- Se focaliser à l'interrogatoire sur la recherche d'antécédents de prostatites aiguës ce qui va faciliter le diagnostic. L’anamnèse doit être précise : même après une antibiothérapie tenant compte des résistances, un germe peut persister dans la prostate devenue réservoir bactérien, et occasionner une nouvelle infection urinaire (7).

- Examiner la prostate et les muscles du périnée, la sphère génitale et rectale, rechercher une hernie afin d'exclure une affection de l'appareil urogénital ou anorectal ou une pathologie de la musculature du plancher périnéal. L'examen clinique est pauvre. « La prostate est le plus souvent normale, les aspects classiquement décrits – prostate légèrement augmentée de volume, douloureuse au toucher, avec des zones irrégulières et plus dures – sont devenus obsolètes » (3).

- Un questionnaire, le CPSI, a été élaboré par le NIH (voir encadré 3). Ce questionnaire d’évaluation de la gêne fonctionnelle contient quatre questions concernant la douleur ou l'inconfort (localisation, sévérité, fréquence), deux sur les troubles mictionnels (irritatifs ou obstructifs) et trois appréciant la qualité de vie (conséquence des symptômes sur la vie quotidienne). Bien que le CPSI soit validé, ses bénéfices au quotidien sont encore incertains.

QUELS EXAMENS DEMANDER ?

- Un ECBU : dans la PCB, une leucocyturie augmentée est fréquente alors qu'une bactériurie est beaucoup plus rare.

L'épreuve de Meares et Stamey. Ce test comprend un recueil des urines avant et après massage prostatique avec quatre prélèvements (recueil des premiers 10 ml d’urines à la recherche d’une colonisation urétrale, recueil au milieu de la miction, massage prostatique, puis recueil des sécrétions au méat urétral suivi d’un recueil des premiers 10 ml d’urine). Cette épreuve compliquée à réaliser et peu appréciée par les patients, est insuffisamment prescrite même par les urologues (4). Ce test est pourtant le plus important pour le diagnostic, c'est le seul qui permette de mettre en évidence une origine infectieuse en confirmant la présence de bactéries et de leucocytes dans l'exprimat prostatique ou l'urine après le massage et de classer l’affection en PCB ou SDPC (3, 7). Cependant, même réalisé très rigoureusement, le test de Meares et Stamey n'est positif que dans à peine 10 % des cas. C'est-à-dire que 90 % des patients ayant un tableau clinique évocateur de prostatite chronique n'ont pas d'infection ou que nous ne sommes pas capables de la mettre en évidence. « Le test est performant seulement si la sécrétion au méat urétral est immédiatement ensemencée », souligne Henry Botto.

La débitmétrie, aisée à réaliser, est utile pour éliminer un obstacle sous-prostatique ; celui-ci pouvant, si ce n'est en être la cause, être un facteur d'entretien de la prostatite chronique.

- La spermoculture est totalement abandonnée, elle est peu sensible et ne se justifie que dans les bilans d'infertilité chez l'homme.

- L'imagerie prostatique est peu contributive, notamment l'échographie. Qu'elle soit pubienne ou transrectale, elle montre classiquement des calcifications prostatiques qui n'ont rien de spécifique et ne permettent ni d'affirmer, ni d'éliminer le diagnostic. La tomodensitométrie comme l'IRM n'ont aucun intérêt dans le diagnostic de prostatique chronique.

- La cystoscopie n'est pas recommandée.

- Les sérologies de C. trachomatis et d'uréaplasma uréalyticum ne sont pas justifiées, leur rôle pathogène est incertain et les sérologies ont des positivités croisées rendant leur interprétation parfois difficile.

- Le PSA est un mauvais marqueur des prostatites chroniques.

- Certains examens vont relever uniquement de l’expérience et de la décision de l’urologue : cystoscopie, cytologie urinaire, uréthrographie rétrograde, recherche de marqueurs de l'inflammation, mais ces tests ne rentrent pas dans un diagnostic habituel.

ETIOPATHOGENIE

Le mécanisme physiopathologique est complexe et multifactoriel (8).

- La voie habituelle de contamination prostatique est canalaire : les germes vont coloniser l'urètre, puis la prostate.

- La prostatite chronique bactérienne fait souvent suite à une ou des prostatites aiguës non diagnostiquées ou mal traitées. Les lésions infectieuses chroniques de la prostate entraînent à la fois des lésions avec de petits abcès chroniques uniques ou multiples et des réactions de fibrose et de sclérose autour de ces lésions et qui sont autant de remparts aux antibiotiques (6). « Pour autant, le passage de la forme aiguë à la forme chronique n'est pas réellement prouvé ».

- Les bactéries, quand elles sont retrouvées, sont les mêmes que pour la prostatite aiguë. De nombreux micro-organismes ont été suspectés d'être responsables de PC bactériennes, les bacilles Gram-négatifs (E. Coli) classiquement majoritaires ne le sont plus, l'entérocoque faecalis et le staphylocoque sont des pathogènes souvent identifiés. D’autres sont discutés dont le C. trachomatis. « Rien n’est simple, selon Henry Botto. Il reste encore à préciser le réel degré de pathogénicité de ces germes et leur rôle dans la symptomatologie des syndromes regroupés sous le terme de prostatite chronique ».

- La faible incidence des prostatites chroniques avec un germe identifié a fait discuter de l’origine infectieuse et rechercher d’autres étiologies, probablement intriquées : autre origine infectieuse, dysfonctions mictionnelles ou neuromusculaires (spasmes ou contractures de la musculature périnéale, élévation de la pression urétrale prostatique lors de la miction, reflux urinaire intra-prostatique), phénomènes auto-immunitaires ou inflammatoires responsables de cystites interstitielles ou encore des causes inconnues liées à l'environnement neuromusculaire et responsables de douleurs neuropathiques (3).

- Les infections sexuellement transmissibles sont un facteur de risque reconnu de PCB et de SDPC.

- Certains experts ont souligné l'intrication entre des facteurs psychologiques (stress, terrain anxio-dépressif) et des symptômes de PCB/SDPC, mais il est difficile de déterminer si la fréquence des troubles psychosomatiques notée serait cause ou conséquence du syndrome.

- Des études récentes font état, chez de nombreux patients, de marqueurs moléculaires en faveur d’un passé ou de la présence d’une colonisation bactérienne ou d’une infection malgré des cultures répétées négatives. « L’existence de germes pathogènes que l’on ne sait pas identifier au niveau de l’appareil urinaire par des méthodes conventionnelles est possible. Il est aussi possible qu’une présence bactérienne provoque une réponse immune entraînant inflammation et douleur », souligne le Pr Botto (2).

TRAITEMENT

Indications de l’antibiothérapie

Un traitement antibiotique est recommandé dans les prostatites chroniques bactériennes et doit être essayé (une seule fois) dans les SDPC. Il faut noter cependant qu’il n'y a pas de corrélation entre le nombre de leucocytes et de bactéries retrouvés lors d’un examen et la sévérité des symptômes dans les PCB et que cette présence ne prédit pas la réponse au traitement antibiotique.

Les fluoroquinolones (ciprofloxcine et lévofloxacine) sont considérées comme les molécules de préférence du fait de leur pharmacocinétique (bonne diffusion dans la prostate et efficacité à la fois sur les germes Gram-négatifs et positifs). L’association triméthoprime-sulfaméthoxazole peut éventuellement être utilisée. « En ce qui concerne la PCB, l'antibiothérapie ne devrait plus se faire à l'aveugle, mais après la mise en évidence d'un germe qui repose sur le test de Meares et Stamey » (1, 2).

– Le traitement est prescrit pendant 2 à 3 semaines.

Le patient doit ensuite être réexaminé et seulement si les cultures effectuées avant le prétraitement étaient positives ou si le patient signale des effets positifs du traitement, celui-ci est prolongé pendant 6 semaines.

- La justification de l’administration d’antibiotique dans les SDPC repose sur l’hypothèse selon laquelle il s’agirait d’une infection bactérienne bien qu’aucune bactérie n’ait pu être décelée, surtout en cas antécédent. Dans cette situation, de nombreuses études confirment cet effet bénéfique de l’antibiothérapie (1).

- Un traitement par alpha-bloquant est souvent ajouté à l’antibiothérapie avec une amélioration dans de nombreux cas, mais les études restent partagées sur l’efficacité réelle de cette association

En cas d’échec de l’antibiothérapie

Les patients ayant un SDPC sont traités de manière empirique avec de nombreux traitements médicamenteux ou physiques (alpha-bloquants, anti-inflammatoires, phytothérapie, rééducation périnéo-sphinctérienne avec biofeedback, acupuncture, crénothérapie, le crawberry est en cours d’étude). Il n’y a pas d’indication chirurgicale.

Malgré l’existence de nombreuses études scientifiques validées, aucune recommandation spécifique n'a été réalisée jusqu’à présent. Ceci est dû au fait que les patients avec un SDPC représentent probablement un groupe hétérogène d’affections ; aussi les résultats thérapeutiques sont toujours incertains (5, 8).

Environ un tiers des patients s’améliorent, un tiers s’aggravent et un tiers restent stables quelles que soient les modalités thérapeutiques (3). « Cependant, une récente amélioration dans la classification et l’application de méthodes modernes incluant la biologie moléculaire devraient permettre, dans un futur proche, de proposer une systématisation convenable de traitement. »


Dr Catherine Freydt (médecin généralsiste à Chatou, fmc@legeneraliste.fr), sous la responsabilité scientifique du Pr Henry Botto (chef du service d’Urologie. Hôpital Foch. 40, rue Worth – 92150 Suresnes).

Source : Le Généraliste: 2492