UNE SPÉCIFICITÉ FRANÇAISE ?
La consultation dite « de renouvellement d’ordonnance » est le motif de recours le plus fréquent en médecine générale en France (21,25 % des consultations) (1). On estime que 28 millions de personnes reçoivent un traitement de manière périodique (au moins 6 fois par an) pour une même pathologie (2).Cette consultation correspond à un état de fait, lié à la limitation temporelle de la prescription médicale. En France, la prescription d’un médicament est effectuée par un médecin et renouvelable par périodes maximales d’un mois ou de trois mois (si le conditionnement le permet), dans la limite de douze mois (3).
> Aux Pays-Bas, cette prescription peut être déléguée aux paramédicaux exerçant dans le cabinet du médecin (4). Dans d'autres pays (Royaume-Uni, Nouvelle-Zélande, Australie, par exemple), pour des questions d'économie de santé, le renouvellement (« repeat prescription ») peut se faire directement auprès du pharmacien (qui peut avoir contractualisé avec le médecin) ou sur demande téléphonique/internet selon les organisations des cabinets (5, 6). Cependant, l’aspect automatisé des renouvellements sans consultation médicale méconnaît certaines demandes des patients : personnalisation des soins et besoin de sécurité (7).
QUELLES SONT LES ATTENTES DES PATIENTS ?
Interroger les attentes des patients permet de mieux comprendre leurs besoins, et de favoriser leur implication afin d’améliorer l'efficacité des soins (8). Des études qualitatives se sont penchées sur l’interaction médecin-patient lors des consultations de renouvellement d’ordonnance (RO).L’analyse du discours des patients montre que cette consultation est vécue de manière « ritualisée » voire stéréotypée, et qu’ils en attendent un abord de leur santé globale, au-delà de la seule reconduction des traitements en cours. Les patients attendent un « partenariat effectif » avec leur généraliste pour le suivi de leurs maladies chroniques (9).
Côté généralistes, la consultation de RO est vécue comme difficile à mener car ils ressentent un désintérêt des patients à son égard. Selon eux, la réticence des patients à modifier leur traitement est également un frein à son déroulement optimal (10).
> Nous avons étudié par questionnaires les attentes des patients concernant la consultation de RO analysées en fonction de leurs profils. Une enquête par auto-questionnaire anonyme, basé sur l’outil d’évaluation de la satisfaction des patients EUROPEP (11), a été menée en 2014 parmi la patientèle adulte de 14 médecins géné-ralistes sélectionnés par méthode des quotas (12). Les attentes étaient explorées via des échelles de Likert en 5 points (de « pas important », à « essentiel »).
Les thèmes des tableaux concernaient :
- la consultation en elle-même : sa durée, l’examen clinique, la décision médicale partagée et la continuité relationnelle ;
- le suivi de la maladie : via l’information sur les symptômes, sur la réalisation des examens complémentaires et sur l’information avant un contact spécialisé ;
- l’ordonnance du traitement habituel : les explications sur l’intérêt des médicaments, les effets indésirables, les difficultés d’observance et la réévaluation des prescriptions y étaient abordés. Tous les adultes venant pour « renouveler l'ordonnance de leur traitement habituel » étaient invités à participer.
LA CONSULTATION DE RO N’EST PAS BANALISÉE PAR LES PATIENTS !
307 questionnaires ont été recueillis en un mois. Les répondants avaient des caractéristiques médicales (type et nombre de pathologies chroniques, polymédication) et socio-démographiques représentatives des patients consultant les généralistes français.> Les répondants étaient porteurs en moyenne de 1,66±0,9 pathologie et 131 (43,3 %) étaient porteurs de deux pathologies ou plus. Le profil de pathologie des répondants différait en fonction du genre et de la polymédication : les femmes étaient significativement plus atteintes que les hommes de maladie articulaire (31 (81,6 %) vs 7 (18,4 %) ; p < 0,01) et de maladie psychologique ou psychiatrique (44 (78,6 %) vs 12 (21,4 %) ; p < 0,01). Dans les autres catégories de pathologies, les hommes étaient le plus souvent représentés. Les personnes prenant
> 214 répondants (69,7 %) jugeaient cette consultation d’importance égale à une consultation pour un autre motif, 64 (20,8 %) la trouvaient moins impor-tante et 19 (6,2 %) l’estimaient plus importante. Les items le plus souvent cités comme « essentiels » par les répondants étaient ceux relatifs à la décision médicale partagée (« participer aux décisions », 38,4 %) et à l'obtention d'information sur le problème de santé (« recevoir des explications concernant les examens complémentaires » (37,5 %), « recevoir des explications avant une consultation spécialisée ou avant une hospita-lisation » (34,2 %) et « recevoir des informations sur les symptômes et les maladies » (31,3 %). La réévaluation régulière du contenu de l’ordonnance, en vue de la modifier, était une attente forte pour 70 % des patients (« très important » : 45,6 %, « essentiel » : 21,4 %). > Les taux de réponse les plus élevés dans la catégorie « essentiel » concernaient le thème du suivi de la maladie.
> Les taux de réponse les plus élevés dans la catégorie « très important » concernaient le thème de l’ordonnance. Les attentes concernant la durée de la consultation (« avoir assez de temps ») et la continuité relationnelle (« être toujours reçu par le même médecin ») avaient le plus fort taux de réponse « peu ou pas » important.
Ces résultats concordent avec ceux de Krucien N. et coll., portant sur les préoccupations des usagers de médecine générale, dans lesquels on remarque que l'échange d'informations et le partage de la décision médicale dans une démarche d'alliance thérapeutique occupent une place prépondérante dans les attentes des patients (13).
PLUS LES PATIENTS SONT ÂGÉS, PLUS IL FAUT RÉÉVALUER
> L'item « recevoir des informations sur les symp-tômes et les maladies » enregistrait une variation significative des réponses à l’échelle de Likert en fonction de l'âge des répondants. Plus les patients étaient âgés plus ils accordaient de l’importance au fait de « recevoir des informations sur les symptômes et les maladies ». En effet, l'oddsratio pour une augmentation d’âge de 10 ans était de 1,14 (IC : 95 %[1,03-1,23]). Il n'était pas détecté de différence significative dans les attentes des patients selon la maladie chronique dont ils étaient atteints, ni le nombre de médicaments renouvelés.> Ces résultats laissent entrevoir la complexité (et la durée) des consultations pour les patients âgés polypathologiques et multimorbides, qui sont en attente d’une décision médicale partagée. Cela peut renforcer la pertinence des majorations de rémunération pour ces patients (forfait MPA, par exemple) si l'on souhaite que le médecin puisse consacrer un temps suffisant à la réévaluation des pathologies et des traitements.
EN PRATIQUE
La consultation « photocopie d’ordonnance » est à bannir ! Il existe un écart entre les représentations qu’ont certains médecins des attentes supposées de leurs patients (réticences au changement, désintérêt), et les attentes réelles des patients : réévaluation des traitements et abord global de leur santé.> La consultation de RO n’est pas banalisée par les patients qui sont attachés à mieux comprendre et partager le suivi de leur maladie chronique. Ils ne sont notamment pas opposés au fait de modifier l'ordonnance de leur traitement habituel.
> En France la reconduction du traitement des malades chroniques doit se faire lors d’une consul-tation médicale, et non de manière automatique sans rencontre du médecin. Faisons de cette situation une chance, en adoptant une démarche clinique rigoureuse, intégrée dans une pratique réflexive, pour plus d’efficience dans la gestion des maladies chroniques. Car c’est aussi ce qu’en attendent les patients ! Dorénavant, nous pourrions utiliser l’abréviation « RO » non plus pour signifier « renouvellement d’ordonnance » mais pour « réévaluation d’ordonnance ».
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