Pédiatrie

Rechercher les lésions de la maltraitance

Publié le 05/12/2014
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L’Académie américaine de pédiatrie vient de se pencher sur les particularités des fractures de l’enfant secondaires à des actes de maltraitance. 20 % de ces fractures ne seraient pas rattachées à leur véritable cause.

Crédit photo : ILAN ROSEN/SPL/PHANIE

Les fractures sont les principales blessures dues à la maltraitance des enfants, mais elles peuvent aussi relever de maladies autonomes qu’il faut savoir détecter. Flaherty et coll. (1) font le point sur le diagnostic différentiel des fractures dues à la maltraitance et l’évaluation des enfants atteints de fractures relevant d’autres causes. 20 % des fractures liées à un mauvais traitement ne sont pas rattachées à leur vraie cause ou attribuées à d’autres (2). Une évaluation à mettre en relation avec la récente mise au point de la HAS sur le repérage de la maltraitance chez l’enfant (19).

DIAGNOSTIC DIFFÉRENTIEL DES FRACTURES

• Traumatismes : maltraitance versus blessures non volontaires. Les fractures représentent 8 à 12 % des blessures de l’enfant (1). Les maltraitances faites aux nourrissons et aux petits enfants sont responsables de 12 à 20 % de fractures (3). Bien que les fractures par maltraitance aient des caractères particuliers, n’importe quelle fracture peut être due à des mauvais traitements. Les fractures multiples, le retard de prise d’un avis médical, l’augmentation du délai de consolidation, d’autres blessures de la peau ou des organes internes sont des alertes.

• Âge et niveau de développement de l’enfant. 80 % des fractures dues aux maltraitances surviennent chez les moins de 18 mois (4). Les fractures du fémur et de l’humérus sont typiques d’une maltraitance d’avant la marche. Leur fréquence diminue ensuite.

• Caractéristiques spécifiques des fractures par maltraitance. Les fractures de côtes et des métaphyses des os longs (surtout), celles de l’omoplate, de l’épaule, des vertèbres et su sternum (plus rares) évoquent une maltraitance (encadré E1). Dues à une compression antéro-postérieure, les fractures costales ont une probabilité de 95 % d’être dues à une maltraitance (5). Les autres causes de fracture sont les suivantes : accouchements difficiles ; accidents de voiture (même avec choc minime en cas de fragilité osseuse) ; manœuvres de réanimation cardio-pulmonaire (risque faible avec deux doigts, important avec les deux mains encerclant le thorax).

• Syndromes, maladies métaboliques et maladies de système.

• Ostéogénèse imparfaite. L’ostéogenèse imparfaite (OI), maladie des os de verre ou de Lobstein est un groupe d’affections autosomiques dominantes, caractérisées par une fragilité osseuse par défaut congénital d’élaboration des fibres collagènes du tissu conjonctif de la trame osseuse (6). L’incidence est comprise entre 1 pour 10 000 et 1 pour 20 000 naissances. L’OI est souvent due à des mutations hétérozygotes des gènes COL 1A1 du chromosome 17 et COL 1A2 du chromosome 7 (7). Elle affecte aussi bien les garçons que les filles. Avec les sclérotiques bleues (signe majeur), les autres signes sont résumés dans l’encadré E2 (1). Le plus souvent transversales, les fractures affectent les os longs, rarement isolées. L’OI peut être confondue avec le syndrome d’enfant battu ; la répétition des fractures dans un environnement protégé doit évoquer le diagnostic d’OI (1).

• Naissance avant terme. Les enfants pré-termes ont une déminéralisation des os, mais leur densité se normalise à la fin de la 1re année (8). Les plus exposés naissent à moins de 28 semaines de gestation ou pèsent moins de 1500 g (1). L’ostéopénie, maximale entre 6 et 12 mois, améliorée par une supplémentation nutritionnelle et minérale, se traduit par les fractures costales ; les fractures des os longs ;un rachitisme ; l’élargissement métaphysaire.

• Rachitisme. Certaines fractures pourraient être dues à déficit en vitamine D. En milieu urbain, 40 % des nourrissons et des petits enfants âgés de 8 à 24 mois ont une concentration sérique de 25-hydroxyvitamine D inférieure ou égale à 30 ng/ml (9). Les facteurs favorisants sont un allaitement au sein prolongé sans supplément en vitamine D, l’hyper pigmentation de la peau, un défaut d’exposition au soleil (10).

• Ostéomyélite (OM). Les irrégularités métaphysaires multiples de l’OM peuvent ressembler à certaines anomalies de l’OI, mais le contexte clinique est différent et les images radiologiques d’OM associent lyse osseuse et appositions périostées.

• Fractures secondaires à une déminéralisation par inactivité. L’inactivité sévère quelle qu’en la cause (11) s’accompagne d’une déminéralisation et d’un risque de fracture, plus souvent diaphysaires que métaphysaires, en particulier à la suite de manœuvres de physiothérapie ou d’exercices pour améliorer les mouvements.

• Scorbut. Rare, le scorbut expose à des fractures chez l’enfant plus âgé exclusivement nourri au lait de vache sans supplémentation en vitamine C : déminéralisation, calcifications sous-périostées.

• Déficit en cuivre. Un déficit en cuivre peut être observé après 6 mois (chez l’enfant à terme) et après 2 mois et demi (pré-terme), au cours des désordres nutritionnels sévères, l’insuffisance hépatique, le syndrome du grêle court. Les symptômes sont le retard psychomoteur, l’hypotonie, la pâleur, l’hypopigmentation de la peau, l’anémie sidéroblastique.

• Maladie de Menkes. Affection liée au chromosome X, la maladie de Menkes affecte les garçons, les femmes étant conductrices saines. Son incidence annuelle se situe autour de 1 pour 300 000. Due à un déficit en cuivre, elle touche différents organes, caractérisée par une neuro-dégénérescence progressive, des anomalies du tissu conjonctif, et des cheveux clairsemés en « fils de fer » (1).

• Maladies de système. L’insuffisance rénale chronique s’accompagne d’un déficit en vitamine D à l’origine d’une ostéodystrophie dont les signes radiologiques ressemblent au rachitisme (1).

• Fragilité osseuse temporaire. Certains enfants pourraient naitre avec une fragilité osseuse temporaire les exposant à un risque de fracture lors de manipulations normales (12) mais ce « temporary brittle bone disease » est discuté (13).
 

ÉVALUATION MÉDICALE


• Histoire de la maladie actuelle. Il faut interroger l’enfant capable de verbaliser (en dehors des gardiens) et les gardiens qui doivent donner des détails sur la position de l’enfant avant le traumatisme et après celui-ci. Souvent ils ne donnent pas d’explication à la blessure ou bien relatent un événement mineur. Au contraire, les gardiens d’enfants ayant présenté une blessure non liée à une maltraitance rapportent un événement majeur dans la plupart des cas (14). Les blessures non liées à la maltraitance sont dues à une chute de chaise ou à un traumatisme de jeu entre enfants (fracture des os longs). Les éléments en faveur de la maltraitance sont, en particulier chez un nourrisson : l’absence de description de l’histoire du traumatisme ; une description vague chez un nourrisson qui ne marche pas encore ; un retard pour solliciter les soins (1) (voir encadré E3).

• Antécédents médicaux. Le médecin doit recueillir toutes les informations sur les événements pouvant perturber la minéralisation osseuse (grossesse, accouchement, nutrition de l’enfant, antécédents d’affections rénales, digestives, neurologiques, etc.

• Histoire familiale et sociale. Des anomalies familiales (fractures multiples, surdité, anomalies des dents, sclérotiques bleues) peuvent orienter vers un diagnostic particulier. Préciser le mode de garde, le niveau socio-économique, les addictions des parents, un signalement aux services de PMI, etc.)
• Examen clinique. Les points clés sont la reconstitution de la courbe de croissance ; l’étude du carnet de santé, un examen clinique complet (peau, mobilité, système nerveux, etc.)


EXAMENS DE LABORATOIRE


Les examens nécessaires sont le bilan phosphocalcique, le dosage sérique de la 25-OHD et de la parathormone, un bilan hépatique, un ECBU.
Les dosages sériques spéciaux (cuivre, vitamine C, céruloplasmine) et une enquête génétique (recherche des gènes associés à l’ostéogénèse imparfaite) complètent les investigations.


IMAGERIE


Les enfants de moins de 2 ans atteints de fractures suspectes devraient bénéficier d’une radiographie de l’ensemble du squelette à la recherche d’autres traumatismes ou anomalies osseuses. Les radiographies détectent des fractures supplémentaires dans environ 10 % des cas (15).
L’imagerie 3D est importante pour déceler des fractures passées inaperçues sur les clichés conventionnels. Il faut répéter ces radiographies 2 à 3 semaines après l’examen initial si une maltraitance est suspectée. Très sensible, la scintigraphie osseuse peut être utile en complément (1). Un scanner ou une IRM peuvent être utiles.


ÉVALUATION DE LA FRATRIE


Il faudra aussi évaluer la fratrie, en particulier les jumeaux (17,18).


EN CONCLUSION


Les maltraitances faites aux enfants peuvent survenir dans tous les milieux, quel que soit le niveau socio-économique, et dans tous les groupes de la population.

Le diagnostic est basé sur une étude minutieuse de l’anamnèse et un examen clinique complet qu’il faut savoir répéter, avec l’aide d’avis de spécialistes (orthopédistes, endocrinologues, généticiens, etc.).

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Pr Guy Dutau (pneumo-allergo-pédiatre,Toulouse). Correspondance: FMC@legeneraliste.fr

Source : lequotidiendumedecin.fr