Vaccination anti- HPV et risque de cancer invasif du col de l’utérus HPV Vaccination and the Risk of Invasive Cervical Cancer Lei J, Ploner A, Elfström KM, Sperén P & al. N Engl J Med 2020;383:1340-8. https://doi. org/10.1056/MEJMoa1917338.
CONTEXTE
L’objectif ultime de la vaccination anti-HPV est de prévenir les cancers invasifs du col de l’utérus (CCU) qui sont majoritairement liés à certains papillomavirus oncogènes (1). Plusieurs essais randomisés et une méta-analyse Cochrane (2) ont démontré que la vaccination anti-HPV réduisait l’incidence des condylomes génitaux et des lésions cervicales néoplasiques intra-épithéliales de haut grade du col de l’utérus : CIN2+, CIN3+ et adénocarcinomes in situ. Ces lésions sont considérées comme des précurseurs du CCU. Cependant, environ 43 % des CIN2+ régressent spontanément, tout comme 32 % des CIN3+ (3). De ce fait, les lésions histologiques choisies comme critère de jugement principal dans les essais randomisés des vaccins anti-HPV doivent être envisagées comme des critères intermédiaires (4, 5) ne permettant pas de conclure formellement sur l’efficacité de la vaccination en termes de réduction de l’incidence du CCU. Compte tenu de la très faible incidence de ce cancer chez les femmes jeunes, le délai et l’effectif nécessaires pour démontrer l’efficacité de la vaccination anti-HPV sur ce critère « dur » sont incompatibles avec la mise en oeuvre d’un essai randomisé. En Suède, la vaccination anti-HPV est approuvée depuis 2006 et le vaccin quadrivalent HPV types 6, 11, 16 et 18 est très majoritairement utilisé (6).
OBJECTIFS
Évaluer la corrélation statistique entre la vaccination anti-HPV chez les filles et femmes âgées de 10 à 30 ans et le risque de survenue d’un CCU invasif.
MÉTHODE
Étude prospective de cohorte conduite entre 2006 et 2017. Les données ont été extraites de plusieurs registres nationaux de santé suédois interconnectés qui colligent les données de 7,7 millions de sujets de genre féminin vivant en Suède avec leur statut vaccinal complet ainsi que tous les cas détaillés decancers déclarés. Tous les sujets de genre féminin âgés de 10 à 30 ans ont été identifiés puis inclus, sans randomisation, dans un groupe « vaccinées » (au moins une injection) et un groupe « non vaccinées » (témoin). Toutes ces filles et femmes ont été suivies jusqu’à un éventuel diagnostic de CCU, le décès, leur perte de vue, émigration, ou 31e anniversaire. Le critère de jugement principal était l’incidence annuelle du diagnostic de CCU. L’analyse statistique a comparé les deux groupes à l’aide d’un modèle de Poisson et a été ajustée sur la date et l’âge du sujet à la fin du suivi, la région de résidence en Suède, les caractéristiques économiques et éducationnelles du foyer, le niveau d’éducation du sujet, et enfin le pays de naissance et l’histoire des maladies cancéreuses de la mère. L’hypothèse d’une réduction de 70 % du risque de CCU dans le groupe « vaccinées » pour une incidence hypothétique de 4 CCU pour 100 000 sujets/année dans le groupe témoin avait une puissance théorique de 94 %. Les résultats sont exprimés en réduction relative du risque (RRR) avec un intervalle de confiance à 95 % (IC95 %).
RÉSULTATS
Cette étude de cohorte a inclus 1 672 983 filles et femmes âgées de 10 à 30 ans. 527 871 (31,6 %) d’entre elles ont reçu au moins une dose de vaccin HPV (dont 83,2 % avant l’âge de 17 ans) et 1 145 112 n’ont pas été vaccinées. Les deux groupes n’étaient pas comparables à l’inclusion sur de nombreuses caractéristiques, en particulier les tranches d’âge et le niveau d’éducation et socio-économique du foyer. Ils étaient encore plus incomparables à la fin du suivi. Au cours du suivi jusqu’à l’âge maximum de 31 ans, il y a eu 538 CCU (risque absolu/an = 0,00047 %, dans le groupe témoin et 19 (risque absolu/an = 0,000036 %) dans le groupe vaccinées. L’incidence cumulée du CCU a été 47 cas pour 100 000 personnes/ an dans le groupe vaccinées versus 94 cas pour 100 000 personnes/an dans le groupe témoin, soit une réduction relative du risque de 49 % après ajustement sur l’âge à la date du suivi : RRR = 0,51 ; IC95 % = 0,32-0,82. Après ajustement sur les autres covariables, la réduction relative du risque était de 63 % : RRR = 0,37 ; IC95 % = 0,21-0,57. En cas de vaccination avant l’âge de 17 ans, la réduction relative ajustée du risque était de 88 % : RRR = 0,12 ; IC95 % = 0,00-0,34, pour passer à 53 % : RRR = 0,47 ; IC95 % = 0,27-0,75, si la vaccination avait été effectuée entre l’âge de 17 et de 30 ans.
COMMENTAIRES
Seuls les pays scandinaves ou anglo-saxons disposent de bases de données qui permettent ce type d’étude de cohorte qui suggère de faire un petit pas (hésitant mais utile) en plus pour tenter de démontrer un probable lien de causalité protecteur entre la vaccination anti-HPV et le risque de CCU. L’effectif de cette étude de cohorte et les réductions relatives du risque sont tellement impressionnants qu’ils pourraient presque être convaincants. Cependant, en y regardant de plus près, les choses ne sont pas aussi limpides ou probantes. L’analyse de la figure 1 de l’article, qui illustre le devenir des sujets entre 2006 et 2017, et le tableau qui présente les caractéristiques des deux groupes à l’inclusion montrent qu’ils n’étaient pas comparables. Par exemple, parmi les 1 145 112 sujets du groupe témoin, 28 056 (0,25 %) ont émigré en dehors de la Suède versus 3 484 (0,007 %) dans le groupe vaccinées. Par ailleurs, 583 881 (50,9 %) sujets ont atteint leur 31e anniversaire au cours du suivi dans le groupe témoin versus 5 738 (10,8 %) dans le groupe vaccinées. La mortalité totale a été 4 fois plus importante dans le groupe témoin que dans le groupe vaccinées (20/10 000 versus 6/10 000). Enfin, le biais le plus important est l’effectif devenu similaire entre les groupes en fin de suivi alors qu’il était deux fois plus important dans le groupe témoin à l’inclusion. Même les ajustements statistiques les plus sérieux et judicieux ne sont pas capables de compenser de tels biais de non comparabilité. Par ailleurs, si les réductions relatives du risque sont très spectaculaires, qu’en est-il exactement du bénéfice absolu allégué ? En regardant les résultatssous l’angle absolu, le risque de CCU a été de 0,0527 pour 100 sujets/an dans le groupe témoin et de 0,0073 pour 100 sujets/an dans le groupe vaccinées, ce qui fait une différence absolue entre les groupes de 0,0454 pour 100 sujets/an ou un nombre de filles ou femmes à vacciner = 2203 pour éviter un CCU. Autrement dit, 2202 personnes vaccinées n’en auront pas le bénéfice (au moins dans cette durée de suivi) tout en étant exposées à d’éventuels effets indésirables de la vaccination le plus souvent bénins (7, 8). Enfin, tout en étant précautionneux avec les résultats des études observationnelles en vie réelle (9), comment expliquer que l’incidence du CCU augmente régulièrement en Australie (10) depuis 2008 alors que la vaccination anti-HPV a été introduite en 2007 et que 90 % de la population cible a été vaccinée : échec du vaccin ? succès du dépistage ? durée de surveillance post-vaccinale encore insuffisamment longue ? ou les trois ? Un essai randomisé d’une durée d’au moins 20 ans n’est pas envisageable. De ce fait, il faudra attendre la diminution de l’incidence du cancer invasif du col de l’utérus dans les registres des pays qui ont adopté la vaccination de masse et dans lesquels son taux est très élevé pour en avoir la preuve tangible. En pratique, la vaccination anti-HPV est recommandée en France mais la couverture vaccinale est plutôt modeste : 23,7 % de la population cible en 2018 (11). Lors d’une consultation dédiée ou non à ce sujet, il est judicieux d’expliquer (chiffres à l’appui) la nature et la quantité de bénéfice individuel et collectif attendues de la vaccination et les risques potentiels (7) auxquels elle expose afin de fournir une balance bénéfice/risque objective de cette intervention. Ensuite, laisser la jeune fille et/ou sa famille ou la femme adulte décider de se faire vacciner après avoir été impartialement informée (12).
Bibliographie
1. Walboomers JM, Jacobs MV, Manos MM, et al. Human papillomavirus is a necessary cause of invasive cervical cancer worldwide. J Pathol 1999;189:12-9.
2. Arbyn M, Xu L, Simoens C, Martin-Hirsch PP. Prophylactic vaccination against human papillomaviruses to prevent cervical cancer and its precursors. Cochrane Database Syst Rev 2018; 5:CD009069. https://doi.org/10.1002/14651858.CD009069.pub3.
3. Östör A. Natural history of cervical intraepithelial neoplasia: a critical review. Int J Gynecol Pathol 1993;12:186-92.
4. Yudkin JS, Lipska K, Montori V. The idolatry of the surrogate. BMJ 2011;343:d7995. https://doi.org/10.1136/bmj.d7995
5. Pouchain D, Boussageon R, Berkhout C, Leroux G, Le Reste JY. « Surrogate endpoints » dans les essais thérapeutiques : une idole aux pieds d’argile. Exercer 2015;122:295-301.
6. Wang J, Ploner A, Sparén P, & al. Mode of HPV vaccination delivery and equity in vaccine uptake: a nationwide cohort study. Prev Med 2019;120:26-33. https://doi.org/10.1016/j.ypmed.2018.12.014
7. Jørgensen L, Doshi P, Gøtzsche P, Jefferson T. Challenges of independent assessment of potential harms of HPV vaccines. BMJ 2018;362:k3694. https://doi.org/10.1136/bmj.k3694
8. Chandler RE, Juhlin K, Fransson J, Caster O, Edwards IR, Norén GN. Current safety concerns with human papillomavirus vaccine: a cluster analysis of reports in VigiBase. Drug Saf 2017;40:81-90. https://doi.org/10.1007/s40264-016-0456-3 27638661
9. Gueyffier F, Cucherat M. The limitations of observation studies for decision making regarding drugs’ efficacy and safety. Therapie 2019;74:181-5.
10. National cancer Control Indicators. Cancer Incidence, 2019. Disponible sur : https://ncci.canceraustralia.gov.au/diagnosis/cancer-incidence/cancer-i…
11. Fonteneau L, Barret AS, Levy-Bruhl D. Évolution de la couverture vaccinale du vaccin contre le papillomavirus en France – 2008-2018. Bull Epidemiol Hebd 2019;22-23:424-30. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2019/22-23/2019_22-23_3.html
12. Wegwarth O, Kurzenhäuser-Carstens S, Gigerenzer G. Overcoming the knowledge-behavior gap: The effect of evidence-based HPV vaccination leaflets on understanding, intention, and actual vaccination decision. Vaccine 2014;32:1388-93. https://doi.org/10.1016/j.vaccine.2013.12.038
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