En Île-de-France, où la prévalence de la maladie rénale chronique de stade8 5 est la plus haute, la déconnexion est forte entre l’offre et la demande de transplantation : l’écart entre le nombre de greffes et le celui de personnes sur liste d’attente a presque doublé en dix ans. Lors d’une table ronde fin 2024, le Collectif transplantation rénale a mis en lumière les leviers d’action envisageables dans cette région que la Dr Marine Jeantet, directrice générale de l’Agence de la biomédecine (ABM), qualifie d’« atypique ».
L’Île-de-France réalise 20 % de l’activité de greffe rénale française. Pourtant le prélèvement fait défaut, freiné par des défis organisationnels : accès au bloc, identification des donneurs, ressources humaines dédiées, pour ne citer que les principaux. Les facteurs environnementaux et hospitaliers associés à l’opposition au don y sont plus marqués du fait des inégalités territoriales.
Prioriser le bloc opératoire : une décision collégiale
L’activité de greffe occupe des lits de réanimation et des blocs opératoires au sein d’un système contraint en ressources. Arnaud Corvaisier, directeur de l’offre de soins à l’agence régionale de santé (ARS) Île-de-France déclare : « Nous avons inclus dans les autorisations de chirurgie l’obligation de prendre en compte le temps opératoire nécessaire pour une transplantation ».
Pour le Pr Mathieu Raux, anesthésiste-réanimateur à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière (AP-HP), « nous devons sortir de la vision notariale de “chacun son bloc” ». Il invite les établissements à convenir collégialement d’une stratégie de priorisation. Par exemple, l’hôpital Necker-Enfants malades (AP-HP) dédie l’un de ses blocs aux urgences pour ne pas annuler d’opération programmée. À la Pitié-Salpêtrière, c’est un référentiel tricolore qui a été retenu, la greffe étant en orange, couleur définissant une chirurgie dont le retard dégrade le pronostic ou avec une logistique complexe. Une autre approche est de prioriser la greffe sur toute autre chirurgie.
Nous devons sortir de la vision notariale de “chacun son bloc”
Pr Mathieu Raux, anesthésiste-réanimateur à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière (AP-HP)
Le prélèvement sur les donneurs décédés après arrêt cardiaque Maastricht III (MIII) est un « objectif fort pour la région », déclare la Dr Marine Jeantet. Plusieurs centres ont ouvert ce programme mais certains débutent seulement, tandis que d’autres peinent à s’y consacrer, en raison de difficultés organisationnelles générales. L’ABM souhaite assurer un meilleur maillage territorial des hôpitaux MIII, moins présents en périphérie de la région.
Valoriser l’investissement des soignants
« L’identification des donneurs est un travail de fourmi », commente le Dr Matthieu Le Dorze, anesthésiste-réanimateur et médecin coordinateur à l’hôpital Lariboisière (AP-HP). Un investissement chronophage pour au final dénicher peu de donneurs. La présence d’équipes de coordination et le nombre d’équivalents temps plein paramédicaux dédiés aux activités de prélèvement sont inversement corrélés au taux de refus. « Il faut du temps pour bien faire, souligne le Pr Rémi Salomon, président de la commission médicale d’établissement (CME) de l’AP-HP. La reconnaissance que l’institution ou qu’une communauté hospitalière accorde à cet investissement est incontournable ».
La Dr Marine Jeantet veut augmenter la visibilité de l’activité. « Dans un territoire, des établissements ne sont autorisés qu’au prélèvement. Il faut donner du sens à cette activité dont on ne voit pas la finalité et qui n’est pas valorisée », défend-elle. La Pr Catherine Paugam-Burtz, alors directrice générale adjointe de l’AP-HP (et depuis novembre directrice générale de l’Agence nationale de sécurité du médicament), veut prendre en exemple l’initiative d’un PU-PH réanimateur, chef de service en région. Dans son hôpital, chirurgiens, coordinateurs, infirmiers et réanimateurs assistaient à la CME. « Tout le monde était présent et fier. C’était un projet collectif », narre-t-elle. Pour le Pr Salomon, « la place qu’on accorde à la coordination est centrale, les équipes de prélèvement doivent rencontrer celles qui s’occupent des patients ».
L’ABM révèle que les établissements audités sont associés à un taux d’opposition plus faible : la préparation à l’évaluation augmenterait l’investissement des personnels. Le Dr Le Dorze exhorte à mieux communiquer pour développer une réelle culture du don d’organe : « Les acteurs du circuit de greffe doivent se parler. Il faut convaincre les personnels de l’importance de ces activités. La médecine de prélèvement d'organe doit faire pleinement partie de la réanimation ».
Les ambitions du plan greffe 2022-2026
Le quatrième plan greffe est doté d’un financement complémentaire de 210 millions d’euros, ce qui porte à deux milliards le montant des engagements (soit une hausse de plus de 10 % par rapport au budget habituellement alloué). Parmi les mesures, le prélèvement multisources (Maastricht III, don vivant, prélèvement pédiatrique) et près de 150 infirmiers en pratique avancée. L’objectif est d’atteindre entre 6 760 et 8 530 greffes en 2026.
Le Collectif transplantation rénale recense la perception terrain du déploiement du Plan Greffe, à travers un questionnaire destiné aux professionnels de santé.
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