« À l’heure où la maison brûle, on nous demande si la vaisselle est faite » : au CHU de Limoges, 100 médecins boycottent la certification hospitalière

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Publié le 11/05/2022
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Crédit photo : DR

C’est une première : une centaine de médecins du CHU de Limoges ont approuvé le boycott de la certification hospitalière pour la qualité des soins, procédure d’évaluation externe obligatoire pour tous les établissements de santé, pilotée par la Haute Autorité de santé (HAS).

Cette action de protestation s’inscrit dans la lignée d’une tribune d’un collectif de plus de 200 soignants, publiée dans « Le Monde » en janvier dernier et intitulée « S’ériger contre la certification hospitalière, ce n’est pas s’ériger contre la qualité et la sécurité des soins ». Spécialiste de médecine interne au CHU de Limoges et membre du collectif inter-hôpitaux (CIH), le Dr Sylvain Palat explique au « Quotidien » les raisons de cette action dont il espère qu'elle fera tache d'huile.

LE QUOTIDIEN : Pourquoi avoir décidé de boycotter la certification hospitalière ?

Dr SYLVAIN PALAT : J’ai prêté serment, j’ai donc une obligation de moyens. Je dois tout mettre en œuvre pour prendre en charge correctement mes malades, mais nous n’avons pas les moyens de le faire ! L’éthique me dicte donc de dénoncer un outil d’évaluation qui ne reflète pas la réalité du terrain, les difficultés que l’on rencontre dans notre exercice, les conditions de prise en charge.

Preuve en est : le CHU de Rennes a été brillamment certifié récemment, alors que les délais d’attente dans ses urgences sont importants, que les soignants font grève, que l’attractivité est en berne. On a l’impression d’assister à une parodie de certification. L’accepter, c’est cautionner un outil qui dit que « tout va bien », alors que ce n’est pas le cas. Après quinze ans de politique d’austérité, de fermeture de lits, de réduction du budget, on assiste à une crise des vocations à l’hôpital public qui est déserté par les médecins et les paramédicaux.

Que répondez-vous à la direction du CHU de Limoges qui fait valoir que l'objet de cette certification n'est pas de relever les difficultés de l'hôpital public, mais d'en « évaluer le niveau de fonctionnement global » ?

Dans ce cas, à quoi sert la certification ? À l’heure où la maison brûle, on nous demande si la vaisselle est faite et bien rangée. Ce discours revient à dire que la certification n’est qu’une évaluation des procédures. Mais est-ce qu’il est logique d’évaluer des procédures dans les hôpitaux qui sont en difficulté ? Est-ce la priorité d’évaluer si les portes des chambres sont bien fermées ?

Prenons l’exemple de cette infirmière qui avait laissé la porte de la chambre du patient ouverte car il avait des problèmes de mémoire. Plutôt que de l’attacher à son lit pour éviter une chute, elle avait laissé la porte ouverte pour pouvoir le surveiller. Au final, le commentaire suivant figurait dans la grille de certification : « Votre service ne respecte pas la dignité des patients. »

La méthode de certification est-elle inadaptée ? 

Il y a dans cette certification un côté binaire, un « process » qui nous paraît complètement déconnecté du bon sens. Elle pose des questions très concrètes, mais on ne peut répondre que par oui ou par non. Il n’y a pas de champ pour des textes libres, pour faire remonter des questions spécifiques. On vous demande par exemple si vous avez un ordinateur. Et on répond par oui ou non, on ne peut pas dire : « Oui, j’ai un ordinateur, mais le logiciel dysfonctionne, je perds du temps tous les jours avec l’informatique. »

Il y a un item « respect de l’intimité et de la dignité du patient ». Est-ce digne d’avoir 96 malades tête-bêche sur des brancards toute la nuit aux urgences ? Des personnes âgées qui restent cinq jours aux urgences ? Si l’item « dignité » était correctement évalué, aucun hôpital français ne serait certifié.

Comment pourrait-on améliorer cette évaluation de la qualité des soins ?

Si vous parlez de qualité des soins, il faut parler des effectifs, du capacitaire, de l’organisation, du financement, de la gouvernance, du maillage sanitaire en ville, de la prévention… Il faut aussi tenir compte de la qualité de vie au travail. La première préoccupation des soignants, c’est de pouvoir faire leur travail correctement, pour prendre en charge correctement les malades.

Pensez-vous que votre action va changer la donne ?

Je n’ai pas la naïveté de croire qu’une action isolée, à Limoges, va changer quelque chose. Mais l’objectif est triple : informer la population sur la situation de l’hôpital, faire pression sur nos tutelles entre deux élections, pour qu’elles prennent enfin conscience de la gravité de la situation. Nous espérons enfin que notre action fera tache d’huile.

Si cela donnait l’idée à d’autres médecins de faire la même chose dans leurs hôpitaux respectifs, notre mouvement aurait encore plus de pertinence et de crédibilité. Je ne sais pas s’il s’agit de la bonne solution, mais est-ce qu’on a actuellement d’autres voies pour se faire entendre ? Une chose est sûre : la certification ne nous permet pas de nous exprimer. Les mêmes difficultés étaient là il y a quatre ans, et la certification n’a rien apporté.


Source : lequotidiendumedecin.fr