LE QUOTIDIEN : Selon Aurélien Rousseau, la crise estivale a été mieux anticipée que l’an dernier. Le ministre ajoute que « l’hôpital tiendra » et que la situation est sous contrôle. Partagez-vous ce constat positif ?
Dr MARC NOIZET : Le nouveau ministre adopte la même attitude que son prédécesseur, qui avait un discours très édulcoré sur la situation. Je peux comprendre qu’il ait tendance à atténuer l’ampleur des difficultés. Mais s’il refuse de reconnaître qu’il y a aujourd’hui de vraies difficultés à traiter les patients de manière sécurisée aux urgences, cela signifie qu’il ne mettra pas les mesures en face pour corriger la situation.
Notre enquête montre qu’il y a une disproportion importante entre le ressenti des professionnels et la communication du gouvernement. La dégradation du fonctionnement des services d’urgences touche désormais toutes les régions, de très nombreux Smur ont fermé au moins une unité cet été. Le fonctionnement n'a jamais été aussi altéré. Le rouleau compresseur continue à écraser tout devant lui. Si on ne fait rien, l’hiver prochain sera horrible.
Êtes-vous plus inquiet que l’année dernière à la même époque ?
Oui, car rien ne nous permet de dire aujourd’hui que demain sera mieux qu’hier. Depuis trois ans, les services d’urgences ne cessent de voir leur situation se dégrader. Et je ne vois aucune mesure structurante qui va dans le sens d’une amélioration. Toutes les évolutions proposées ont déjà été mises en place, peu ou prou, lors de l’été 2022. Les mesures Braun étaient palliatives, pas structurantes. On ne soigne pas une infection avec du Doliprane !
Les urgentistes ne veulent plus mettre en danger les patients. Ce n’est pas acceptable. D’autant plus que la situation a continué à se dégrader en un an, notamment en raison de l’application de la loi Rist (sur le plafonnement strict de la rémunération des intérimaires, NDLR).
Cette réforme de l'intérim était-elle nécessaire ?
C’est mon avis. Mais avant de plafonner la rémunération de l'intérim, il aurait fallu commencer par mettre en place des mesures d’attractivité. On ne commence pas par taper, pour attirer dans un deuxième temps ! On commence par mettre de l’ordre pour éviter la fuite des médecins vers l’intérim. Résultat, un certain nombre d’entre eux se sont crispés, d’autres ont modifié leur mode d’exercice. Au final, c’est tout l’écosystème du monde du remplacement qui a été profondément perturbé. Si bien qu’il est devenu difficile de trouver des intérimaires.
Selon la FHF, le nombre de postes vacants et l’absentéisme sont en baisse chez les paramédicaux. Est-ce le signe d’un regain d’attractivité ?
Quand on aura rouvert des lits, on pourra dire que la politique d’attractivité porte ses fruits. Certes, il y a eu le Ségur, puis la revalorisation des gardes et des astreintes et du travail de nuit. Mais est-ce que ça suffit pour donner envie aux infirmières de travailler à l’hôpital public ? Car si, dans le même temps, il manque des infirmières dans le service, les conditions de travail seront toujours aussi difficiles. Il faut aussi revoir la politique managériale à l’hôpital, où l’on continue à faire du management vertical, à l’ancienne.
Êtes-vous favorable à l'instauration d’un ratio soignant/soigné ?
Oui, nous sommes justement en train d’y travailler aux urgences, même si nous sommes en désaccord avec le ministère, qui ne veut pas qu’on applique de tels ratios aux urgences. Nous travaillons notamment sur les causes de la pénibilité dans un service. Il y a une dimension « pénibilité » qui est liée à la typologie de votre service, à la patientèle que vous accueillez. Si vous faites beaucoup de patients âgés, polypathologiques, voire graves, vous aurez besoin de davantage de soignants.
Votre enquête révèle que 70 % des Smur ont fermé au moins une unité cet été. Comment stopper l’hémorragie ?
Arrêtons de prendre le Smur pour une variable d’ajustement. C’est une question de responsabilité. On ne peut pas dire que l’on veut assurer la sécurité de la population et, dans le même temps, fermer des lignes de Smur. C’est un peu comme si on disait : Nous attendons des incendies cet été, mais on va fermer les casernes car on n’a plus assez de personnel. Cela ferait un tollé ! Mais, pour la santé, on laisse faire. Pourquoi ? Parce qu’on vous explique que cela va tenir, que le 15 trouvera une solution. Mais le 15 ne trouvera pas de solutions s’il n’y a pas de moyens !
Dans la Sarthe, tous les Smur ont fermé, sauf un. Alors oui, on a mis des infirmiers à la place des médecins. Mais imaginez que vous fassiez une chute de six mètres, que vous vous écrasiez sur un sol en béton. Comment allez-vous réagir si on vous envoie une infirmière ? Faute de personnel, nous devons assumer le fait qu’il y ait des fermetures. Voilà pourquoi nous proposons de revoir le maillage territorial des services d’urgences et des Smur. Celui-ci date d’il y a dix ou quinze ans, une époque où on n’avait pas de problématique de ressources.
Préconisez-vous des mesures pour fluidifier l’aval des urgences ?
Tout à fait. La première des pénibilités dans les services d’urgences, c’est la problématique de l’aval. Il faut arrêter les incitations financières à faire de l’ambulatoire et opter pour des mesures contraignantes, avec une sanction si les établissements ne le font pas.
Il faudra aussi revaloriser les soignants. Certes, la majoration de 50 % des gardes médicales va dans le bon sens mais ce n’est pas encore suffisant. Il faut un choc économique pour rendre les gardes réellement attractives. D’autre part, la pénibilité du travail de nuit existe pour de nombreuses professions mais elle n’est pas reconnue pour le médecin. Or les études montrent que le travail de nuit diminue l’espérance de vie. Donc, nous demandons que cette pénibilité soit prise en considération.
Les paramédicaux peuvent-ils alléger davantage le fardeau des médecins ?
La délégation de tâches existe depuis longtemps dans le cadre de protocoles de coopération. Une infirmière peut faire de la prescription d’imagerie à l’entrée des urgences, des sutures, de l’immobilisation. Mais ces protocoles sont extrêmement compliqués à mettre en œuvre. De nombreux services ne souhaitent pas entrer dans ces usines à gaz.
Deuxièmement, nous devons accorder une vraie place aux infirmiers de pratique avancée dans la médecine d’urgence. Les directions souhaiteraient remplacer l’infirmière par une IPA mais ce n’est pas le même métier ! Enfin, il faut généraliser le recours aux unités mobiles hospitalières paramédicalisées et au transport infirmier interhospitalier. Cela permettrait de diminuer les lignes médicales nécessaires et de regagner du temps médical.
Quid de la généralisation du service d’accès aux soins, cette plateforme universelle de réponse aux urgences et soins non programmés ?
Nous sommes loin du compte ! Il y a une bagarre de chiffres. Quand la mission d'accompagnement à la généralisation du SAS est passée dans le Grand Est, elle nous a montré une carte où tous les voyants étaient au vert. Les dix départements étaient passés en mode « bientôt SAS » alors que certains n’en étaient qu’à la lettre d’intention…
Enfin, il faudrait un nombre suffisant d’assistants de régulation médicale pour bien faire fonctionner nos plateformes. Ces derniers font grève depuis juillet. Cela fait huit mois que des discussions sont engagées avec le ministère de la Santé. Sans résultat. Depuis le début de l’année, ils exigent une prime (indemnité forfaitaire de risque, NDLR) qui n’arrive pas, alors qu’ils ont été reconnus comme personnels soignants. Si on décide que le SAS est indispensable, il faut y mettre les moyens.
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