Avec 29 millions d'appels par an au SAMU et 24 millions de passages, les urgences croulent sous les sollicitations. Cette saturation est une des causes de la crise qui secoue le secteur depuis six mois.
Pour enrayer la croissance exponentielle du flux de patients − multiplié par deux en 20 ans − Agnès Buzyn travaille sur un numéro de « régulation ». « Il faut qu'on règle l'amont, a résumé Agnès Buzyn fin août sur France Inter. Face aux mêmes problèmes que nous, d'autres pays ont changé complètement et radicalement leur modèle ».
La monarchie constitutionnelle scandinave est parfois citée pour son puissant système de filtrage des arrivées aux urgences. En janvier 2014, la région de Copenhague a mis en place un numéro unique de régulation médicale, le 1813, que les usagers sont tenus d'appeler – sauf urgence vitale – avant de se présenter à l'hôpital. En gérant sept jours sur sept et 24H/24 les maladies soudaines et les accidents mineurs, ce filtre a permis de diminuer de 25 % l'afflux aux urgences tout en faisant progresser de 11 % l'activité des généralistes !
La régulation téléphonique est assurée par un pool d'infirmières et de médecins, chargés d'orienter l'appelant en fonction de la gravité de la situation et de l'organisation locale des soins. Ils peuvent au choix prodiguer des conseils par téléphone, fixer un rendez-vous avec un professionnel libéral ou envoyer une ambulance. Grâce à un système d'information interconnecté ville/hôpital, les régulateurs danois ont accès aux taux de remplissage des services d'urgences et au planning des généralistes.
Inspiration n'est pas imitation
Faut-il empêcher les patients de venir librement aux urgences ? Agnès Buzyn juge le système danois « très violent » et s'oppose à sa transposition en France. Ce qui n'empêche pas le ministère de regarder ses bons résultats... Convaincu, le Pr Philippe Juvin porte aux nues le modèle scandinave. Le chef du service des urgences de l'Hôpital européen Georges-Pompidou (AP-HP) juge « logique » de mettre en place un centre téléphonique obligatoire filtrant les urgences pour diminuer vraiment les flux. « Aujourd'hui, c'est devenu un service où tout le monde vient, sans aucune limite, il y a à la fois des gens qui sont en train de mourir et d'autres qui veulent un arrêt de travail », se désole l'anesthésiste-réanimateur, maire de La Garenne-Colombes.
L'ex-député européen (LR) propose même d'attaquer au portefeuille les patients qui ne téléphoneraient pas à la plate-forme d'appels avant de se rendre à l'hôpital. « Pas de remboursement du ticket modérateur quand vous allez aux urgences sans l'avis du médecin régulateur », suggère-t-il avant de tempérer. « Les services doivent cependant rester ouverts à ceux qui ont des difficultés de connexion ou aux cas les plus graves. »
Les libéraux campent sur le 116 117
Concernés, les médecins libéraux ont depuis longtemps un avis sur la question du mode de régulation des soins non programmés. Pas question de regrouper ville et hôpital sous un numéro unique de régulation, surtout s'il est géré par les Centres 15. « Le 15 ne peut pas recueillir à lui seul l'ensemble des appels », tranche le Dr Jean-Paul Hamon, président de la FMF, qui défend une régulation libérale interconnectée avec le SAMU.
« Sans numéro spécifique pour les demandes de soins non programmés, les urgences graves ou vitales seront noyées dans le flot de toutes les demandes, ne permettant plus aux services d’urgences de remplir leur mission première », argumente la CSMF qui tance l'hospitalocentrisme d'une solution à un seul numéro. « Le 15 est un numéro pour les urgences vitales, on doit avoir un numéro dédié à la médecine générale, abonde le Dr Luc Duquesnel, chef de file des Généralistes-CSMF. Il faut changer les habitudes de consommation de soins d’urgence ».
Une position partagée par tous les libéraux, attachés au 116 117, numéro de régulation ambulatoire déjà déployé dans trois régions (Corse, Pays de la Loire et Normandie). « Ce numéro contribue au bon usage du système de santé » puisqu'il fait la « distinction nette entre les urgences médicales graves ou vitales et les demandes de soins non programmées qui doivent être prises en charge par un généraliste », salue MG France. Son président, le Dr Jacques Battistoni, réclame une majoration pour les soins non programmés réalisés en régulation. Le syndicat estime à un acte par jour et par généraliste le volume d’activité supplémentaire...
La région Occitanie dispose depuis 2014 de son propre numéro de régulation libérale, le 3966. Une étude citée par Margot Bayart, première vice-présidente de MG France, démontre que seulement 0,5 % des appels au 3966 sont réorientés vers les urgences.
Les gens ne font pas la différence
Côté urgentistes, cette solution de numéros séparés est jugée trop compliquée. Le Dr Agnès Ricard-Hibon, présidente de la Société française de médecine d'urgence (SFMU), souhaite recentrer les urgences médicales sur un seul et même numéro. « Les gens ne font pas la différence entre ce qui relève de l'urgence et de la médecine générale, il faut simplifier », assure-t-elle. Rien n'empêche de travailler « main dans la main » avec les libéraux. « Dans les Centres 15, il y a des régulateurs urgentistes et des régulateurs généralistes, ce système a fait ses preuves et il faut l'encourager ».
Quant à conditionner l'accueil aux urgences à un appel préalable obligatoire, le Dr Ricard-Hibon est dubitative. « Certes, il faut réserver la ressource médicale aux patients qui le justifient mais je suis plus favorable à l'incitation qu'à la coercition ».
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