Jour après jour les mains dans le cambouis hospitalier ou libéral, les sept leaders invités par « Le Quotidien » ont défendu avec force leur point de vue, souvent similaire sur le constat, mais différent sur les solutions pour améliorer leur quotidien.
Le mal-être commence dès la formation. Les études de médecine sont propices à la dégradation de la santé des carabins, internes et jeunes médecins en début de carrière. En 2017, une enquête d'envergure menée auprès de 22 000 jeunes par l'ANEMF, l'ISNAR-IMG, l'ISNI et l'ISNCCA (chefs de clinique, ex-Jeunes médecins) avait permis d'objectiver la prévalence des troubles psychiques touchant les jeunes médecins. Deux étudiants en médecine sur trois se disaient anxieux, 28 % avaient une symptomatologie dépressive contre 10 % du reste des Français. 24 % confessaient avoir eu des idées suicidaires.
Les étudiants ont du mal à se protéger
Deux ans après cette étude électrochoc, la situation s'est-elle améliorée ? Au-delà de la prise de conscience immédiate, les jeunes sont clairement déçus du manque de mesures concrètes. « Les étudiants en médecine sont enfermés dans leur solitude, isolés par leur charge de travail, souvent bien au-delà des 48 heures réglementaires. Ils sont seuls et restent seuls », constate Clara Bonnavion (ANEMF).
Une enquête parue en janvier 2019 de l'ISNAR-IMG a montré qu'un interne sur deux en médecine générale travaille plus de 48 heures par semaine. «Les étudiants ont du mal à se protéger eux-mêmes, confirme Lucie Garcin (ISNAR-IMG). La passion du métier les pousse à faire des horaires à rallonge. Certains internes le font de leur propre chef, sans prendre conscience de l'impact sur leur vie, leur travail et leurs patients. Cela pose la question du repérage du burn-out chez les jeunes médecins et de l'équilibre entre vie privée et vie professionnelle. »
Des internes qui font un peu trop chauffer la chaudière
S'il dénonce lui aussi les conditions de travail des jeunes à l'hôpital, l'ISNI fait un pas de côté sur le respect des horaires. Attention, évoque Antoine Reydellet en substance, à « ne pas être coercitif sur la volonté de vouloir se former », et à ne pas se priver d'opportunité d'apprendre en étant plus royaliste que le roi sur l'encadrement du temps de travail. « Lorsqu'un interne en chirurgie a l'opportunité de voir une opération unique sur son repos de garde, ce serait dommage de le forcer à rentrer chez lui », s'il est au-delà du temps réglementaire, insiste-t-il.
Les jeunes ont des idées pour améliorer leur quotidien à l'hôpital. En établissement, la première est simple et efficace : tenir correctement le tableau de service et même le rendre obligatoire. Le management des chefs de service, médecins avant d'être patrons, est pointé du doigt. L'une des priorités est de les « éduquer » à la gestion du burn-out pour « dépister les internes qui font un peu trop chauffer la chaudière », métaphorise Antoine Reydellet (ISNI). Même motif, même punition pour les maîtres de stage pour Andry Rabiaza (CSMF) : « Ils jouent un rôle fondamental, leur sensibilisation est une priorité pour éviter qu'ils ne reproduisent des comportements qu'on ne devrait plus voir ».
Démissions, arrêts maladie et suicides
Benoît Blaes (SNJMG) mise sur la médecine du travail, qui a son rôle à jouer. « Mais quel pouvoir doit-on lui donner et par quoi doit-on la remplacer en ville, où elle fait défaut ? », s'interroge le jeune homme.
Car la médecine libérale est également au cœur des préoccupations des jeunes. Yannick Schmitt (ReAGJIR) a constaté, atterré, le nombre « proprement sidérant des démissions, arrêts maladie et suicides » sur une ancienne promotion d'internes en médecine générale de 250 personnes. Pour apporter de l'oxygène, le généraliste mise sur la création d'un volet « bien-être » dans la recertification, « qui doit aller plus loin que les compétences des médecins, mais aussi intégrer la santé au travail ».
Prévu pour 2020, le tout nouveau statut de docteur junior, entre le « simple » interne et le médecin thésé, pourrait-il valoriser les compétences des jeunes médecins et contribuer à l'amélioration de leurs conditions de travail ? C'est en tout cas l'un des enjeux de la réforme. Mais, pour l'instant, les jeunes y voient plus une source d'angoisse que d'apaisement. Quelle autonomie ? Quel champ d'action ? Quelle rémunération ? Quelle responsabilité ? « Sur le terrain, aucune évaluation n'a été faite, peste Emanuel Loeb (Jeunes médecins). Les organisations de praticiens hospitaliers n'ont pas été concertées alors que la création de ce nouveau statut va engendrer des réorganisations majeures dans les services. C'est aberrant de penser que tout sera prêt dans 18 mois. »
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