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Les jambes sans repos mises au pas

Publié le 02/12/2016
Les jambes sans repos mises au pas


Le syndrome des jambes sans repos était à l’honneur cette année lors du Congrès du sommeil, avec la présentation du premier consensus français sur le sujet. Le diagnostic, clinique, doit être soigneusement posé. De son niveau de certitude dépend la mise en route d’un traitement spécifique dont les règles de prescription doivent être scrupuleusement respectées pour éviter la survenue du syndrome d’augmentation.

Touchant 7 à 8 % des adultes et 3 à 4 % des enfants, le syndrome des jambes sans repos (SJSR) est une pathologie assez fréquente. Pourtant, sa prise en charge reste perfectible, avec des pratiques souvent empiriques. Afin d’y voir plus clair, le SJSR a fait l’objet du premier consensus français élaboré par la SFRMS (Société française de recherche de la médecine du sommeil). Présentée lors du récent Congrès du sommeil organisé à Strasbourg, cette feuille de route propose une démarche codifiée avec des règles de prescription à respecter pour éviter la survenue d’un syndrome d’augmentation. Une mise au point plutôt bienvenue alors que la plupart des prescriptions se font hors AMM dans cette pathologie.

Un diagnostic avant tout clinique

Le diagnostic de SJSR repose sur les critères définis par l’IRLSSG (International Restless Legs Syndrome Study Group) en 2014. Il doit être posé sur la description spontanée du patient et l’interrogatoire dirigé idéalement par un médecin spécialiste du sommeil ou un neurologue ; et chez l’enfant, sur la description avec les propres mots de l’enfant, par un spécialiste du sommeil de l’enfant.

Les quatre critères suivants doivent tous être présents pour poser le diagnostic positif :

– Besoin impérieux de bouger les jambes, généralement associé à des sensations désagréables (fourmillements, picotements, brûlures, décharges électriques, démangeaisons, etc.), inconfortables (énervants, agaçants, insupportables).

– Symptômes qui débutent ou s’aggravent pendant
une période de repos ou d’inactivité.

– Symptômes survenant
exclusivement ou s’aggravant le soir ou la nuit (chez l’enfant, le caractère vespéral est parfois moins franc).

– Soulagement partiel ou complet par un mouvement.

L’interrogatoire fera préciser l’histoire de la maladie ainsi que la description, la localisation des symptômes (aux mollets, mais aussi aux pieds, aux cuisses ou, parfois, aux bras), leur évolution sur le nycthémère, leur retentissement clinique (sur le sommeil, la cognition, l’humeur, l’attention, l’hyperactivité motrice), la fréquence de survenue (chronique ou intermittente).

L’échelle de sévérité de l’IRLSSG, l’IRLS, permet d’évaluer la sévérité de « léger » à « très sévère ». Comme le souligne le Pr Christelle Charley Monaca, neurologue au CHRU de Lille et coordinatrice du consensus : « Il faut bien poser le diagnostic de sévérité et de localisation avant de démarrer le traitement du SJSR. »

Pas de place au doute

En cas de doute diagnostique, il faut éliminer les diagnostics différentiels, en vérifiant que l’ensemble des troubles ne sont pas les symptômes d’une autre pathologie (articulaire, crampes, akathisies iatrogènes ) ou d’un problème comportemental (inconfort positionnel, myologies d’endormissement, TDAH chez l’enfant). L’examen neurologique doit toujours être pratiqué.

L’existence d’antécédents familiaux de SJSR, l’absence de « somnolence diurne excessive » (SDE) sévère, et l’existence de mouvements périodiques des jambes pendant le sommeil (MPJS) d’index supérieur à 5 par heure constituent des critères de support du diagnostic.

L’enregistrement polysomnographique (PSG) du sommeil n’est pas systématiquement recommandé, mais réservé aux doutes diagnostiques ou aux interrogation sur la nécessité de traiter (résistance à un traitement bien conduit, suspicion de syndrome des apnées du sommeil, sommeil très perturbé, SDE importante et SJSR chez un enfant très jeune ou sujet de moins de 30 ans présentant une comorbidité).

Un traitement d’épreuve peut être proposé « mais uniquement par un spécialiste du sommeil ou un neurologue », explique la spécialiste lilloise. Une réponse positive au traitement dopaminergique se produit chez 60 à 75 % des patients et constitue un argument en faveur du diagnostic de SJSR. Une réponse négative incite à rechercher un diagnostic différentiel.

L’hygiène de vie avant tout

La survenue d’un SJSR est favorisée par la grossesse, les rythmes veille-sommeil irréguliers, l’activité physique inadaptée et l’immobilisation forcée, la consommation excessive d’excitants (thé, café), la prise d’alcool (en particulier le vin blanc et le champagne), certains médicaments (antidépresseurs, neuroleptiques, antihistaminiques, lithium, oxybate de sodium).

Une carence martiale souvent en cause

Au terme de l’évaluation clinique, il est important de préparer la phase thérapeutique en mettant en évidence certaines comorbidités fréquemment associées au SJSR : carence martiale associée dans 25 à 35 % des cas, insuffisance rénale dans 15 à 68 % des cas, neuropathie périphérique, maladie de Parkinson traitée, anxiété et dépression, TDAH chez l’enfant.

Le bilan biologique avec ferritinémie et taux sérique d’hémoglobine doit être systématique et complété, selon le contexte,des dosages d’urée, créatininémie, glycémie à jeun, CRP notamment chez l’enfant.

Pas de traitement systématique

Le traitement ne doit être envisagé que si le diagnostic est certain, et après recherche et traitement des causes éventuelles, en particulier la carence en fer, (férritinémie inférieure à 50-75 μg/l à traiter par une supplémentation en fer) et l’élimination des facteurs aggravants (en particulier prise médicamenteuse non indispensable). « C’est l’enquête indispensable que doit mener tout médecin généraliste avant d’orienter vers un spécialiste du sommeil ou neurologue », précise le Pr Charley-Monaca.

Il est également important, avant l’instauration d’un traitement, de vérifier que le patient a une bonne hygiène de sommeil (horaires de sommeil réguliers, détente avant l’endormissement, éviter les excitants, l’activité physique intense, les écrans), de lui conseiller d’avancer l’heure du coucher pour ne pas s’endormir au moment où les symptômes sont le plus intense et de favoriser une activité intellectuelle minutieuse qui semble avoir un effet bénéfique sur le SJSR.

Des molécules à manier prudemment

Un traitement du SJSR doit être proposé aux patients présentant une forme sévère à très sévère d’emblée, selon le score de l’échelle SJSR, avec des répercussions sur le sommeil, la vie sociale et l’humeur.

Trois classes de médicaments peuvent être utilisées :

– Les agonistes dopaminergiques : ropinirol, pramipéxol et rotigotine en patch. La première prescription doit être faite par un médecin du sommeil ou un neurologue.

– Les anti-épileptiques (alpha 2 delta ligands): gabapentine, prégabaline. Le clonazépam a un risque iatrogénique important et n'est donc pas recommandé.

– Les opioïdes légers (antalgiques de groupe 2): tramadol, tramadol et paracétamol, poudre d’opium et paracétamol codéine et paracétamol en cas d’échec des thérapeutiques précédentes et en cas de syndrome douloureux associé. 

Dans les formes sévères à très sévères d’emblée avec dépression ou insuffisance rénale, le consensus recommande de prescrire un agoniste dopaminergique ou un opioïde. « Mais ces molécules doivent être réservées aux spécialistes, insiste le Pr Charley-Monaca, en raison du risque d’induction de syndrôme d’augmentation.»
Dans les formes légères à modérées, le traitement doit être proposé à la demande en privilégiant les opioïdes.

En pratique, après avoir éléminé une carence en fer, si un médecin généraliste suspecte un SJSR sévère, « le mieux est de prescrire de la gabapentine - en général bien tolérée - ou de la prégabiline - plus sédative - en attendant le rendez-vous avec un spécialiste. »

Les SJSR pharmacorésistant sont des SJSR sévères à très sévères depuis plus d’un mois, après échec de deux thérapeutiques de classe différente. En cas de suspicion de SJSR pharmacorésistant, la prise en charge relève là aussi du spécialiste qui vérifiera qu’il s’agit bien d’un SJSR, éliminera un syndrome d’augmentation et évaluera s’il y a eu une réponse favorable initiale.

Dossier réalisé par le Dr Pascale Ogrizek