« Douze ans après leur création, les URPS [unions régionales des professionnels de santé] n'ont pas tenu toutes leurs promesses ». C’est aujourd’hui le constat amer de la Cour des comptes. Dans un épais rapport rendu public ce lundi 5 février, à l’issue d’un contrôle auprès de 25 Unions régionales (sur 168 existantes toutes professions concernées), l’organisation présidée par Pierre Moscovici épingle sévèrement ces associations libérales créées en 2009 par la loi Hôpital, patients, santé et territoire (HPST).
Représentant régionalement dix professions de santé libérales (médecins, pharmaciens, infirmiers, kinés, chirurgiens-dentistes, sages-femmes, biologistes, orthoptistes, pédicures-podologues et orthophonistes), les Unions ont été notamment chargées de dialoguer avec les agences régionales de santé (ARS) en portant la voix des libéraux, de participer à l’organisation des soins (permanence des soins, prévention, gestion des crises sanitaires) ou encore de contribuer à la préparation et à la mise en œuvre du projet régional de santé.
Certaines professions trop passives
Premier grief, l’exercice de ces missions est loin d’être satisfaisant. Si la Cour considère que les URPS médecins, infirmiers et pharmaciens sont celles qui assurent le mieux la diversité de leur tâches – « même s’il existe des différences importantes d’une union à l’autre » – c’est beaucoup « moins évident pour les autres professions ». Sur ce terrain, les URPS médecins semblent mieux tirer leur épingle du jeu. En Ile-de-France ou Bourgogne Franche-Comté, leur implication dans des projets concrets (trouver des remplaçants, aider à l’installation) est mise en avant grâce à « leur antériorité historique et des budgets les plus élevés ».
En revanche, la rue Cambon constate « une absence ou une faiblesse » de l’activité pour les URPS orthoptistes, biologistes, podologues et chirurgiens-dentistes. « La modestie de leurs budgets, le faible nombre et le manque de temps disponible des élus expliquent en grande partie leur manque d’activité et leur relative impuissance », peut-on lire. Quoi qu’il en soit, les Unions s’investissent de façon inégale – la veille sanitaire, la promotion de la santé et l’éducation thérapeutique étant trop souvent délaissées.
Missions à clarifier
A contrario, les Sages recommandent la clarification de certaines missions investies par les Unions, en tenant compte de celles confiées à d’autres acteurs. C’est le cas pour le développement professionnel continu (DPC), confiée à l’Agence nationale ad hoc (ANDPC). Pour la Cour, les Unions devraient se restreindre sur ce terrain à la seule promotion de programmes pour ne pas intervenir directement dans ce champ concurrentiel (en finançant ou en organisant elles-mêmes des actions).
Idem pour le développement de solutions numériques. Si la loi autorise les Unions à participer « au déploiement et à l’utilisation des systèmes de communication et d’information partagés », cela ne signifie pas que les unions doivent en prendre l’initiative de manière désordonnée. « La création et le financement de tels outils excèdent leur champ de compétence », rappelle la Cour, qui pointe « des initiatives nombreuses », « peu coordonnées », « coûteuses » et « souvent inefficientes ».
Gouvernance à la peine
Selon la Cour, les URPS sont ensuite confrontées à une série de difficultés institutionnelles qui les fragilisent.
D’abord leur représentativité intrinsèque qui est le reflet de la faiblesse du taux de syndicalisation des libéraux de santé. C’est particulièrement vrai chez les médecins où la baisse de l’exercice libéral exclusif impacte fortement la représentativité des syndicats participant aux négociations conventionnelles. Toutes les professions ont ainsi été touchées par le recul du taux de participation électorale en 2021. Au total, seul un quart des libéraux inscrits ont exprimé leurs suffrages.
Or, le scrutin proportionnel sur des listes syndicales n’encourage pas la quête de consensus dans l’exercice des missions des URPS, surtout pour celles dont la représentation est fragmentée, notamment les médecins libéraux, infirmiers, chirurgiens-dentistes et kinés. « Il peut en résulter une exacerbation des conflits syndicaux au niveau régional, aux conséquences contreproductives pour la suite de l’activité des URPS », notent les Sages.
L’existence de « baronnies locales » est aussi mentionnée, au cœur de conflits de légitimité entre élus d’URPS et représentants syndicaux au niveau national. Dans ce domaine, la Cour note par exemple « le glissement de la communication de certaines unions vers le champ syndical », particulièrement marquée pour les URPS médecins libéraux et la Conférence nationale des URPS, une ingérence n’ayant aucune légitimité juridique. Or, les prises de position de cette conférence ont conduit certaines URPS ML à ne pas renouveler leur adhésion, comme celles des Hauts-de-France en 2020, d’Île-de-France et d’Occitanie en 2021.
Gestion financière défaillante
Pour assumer leurs missions, ces assemblées libérales perçoivent un financement issu essentiellement de la contribution aux URPS (Curps, soit 40,6 millions d’euros par an en moyenne entre 2018 et 2022), et des crédits régionaux des ARS (13,6 millions d'euros en moyenne annuelle). Chez les médecins libéraux, le taux de contribution est de 0,5 % de leur revenu annuel. Las, selon les Sages, cette manne n'est pas toujours bien employée. La Cour juge par exemple que les indemnités perçues par les élus aux URPS, censées compenser la perte de ressources des libéraux, sont parfois excessives. L’indemnité annuelle oscille entre 167 euros (biologistes) à… 8 867 euros pour les médecins. Or dans ce domaine, l’arrêté du 2 juin 2010 a fixé le plafond des indemnités susceptibles d’être allouées aux membres des assemblées et des bureaux des Unions. Pour les médecins par exemple, cette indemnité ne doit pas dépasser 12 fois la valeur de la lettre clé C (12 x 23 euros = 276 euros).
Frais de bouche et méditation pleine conscience
Frais de transport, hébergement, réunions, frais de bouche, formation… le rapport rapporte aussi divers abus en citant par exemple les événements coûteux organisés par l’URPS ML Paca. Pour son assemblée générale des 7 et 8 décembre 2018 dans un hôtel à Mandelieu-la-Napoule, l’organisation a payé 10 453 euros TTC, dont 3 900 euros de nuitées. L’AG du 18 janvier 2020 et groupes syndicaux réunis dans un hôtel à Saint-Cyr-sur-Mer a coûté 8 909,60 euros dont 1 288 euros de cocktail pour 28 personnes, 1 050 € de location de salle, 3 750 euros de forfait journée d’étude. La même URPS a financé à ses élus une formation à la méditation en pleine conscience pour un montant de 6 348 euros.
La Cour épingle aussi certains investissements des URPS, notamment les placements immobiliers. Elle reproche encore à l'URPS ML de Paca d'avoir acquis un siège de 843 mètres carrés… mais de tenir nombre de réunions dans des hôtels. Épinglée aussi, l'URPS chirurgiens-dentistes d'Île-de-France, qui a loué son siège au syndicat dont est issu son président. Siège dans lequel il a fait aménager, pour plus de 760 000 euros, deux cabinets dentaires et deux fauteuils…
Transparence budgétaire
Pour la Cour des comptes, le système de financement pourrait être repensé. Et au minimum le réseau des URPS pourrait être resserré pour atteindre une masse critique, avec par exemple le regroupement des URPS des Antilles et de Guyane, à l’instar des URPS Océan Indien.
La Cour réclame aussi un contrôle et une transparence budgétaire accrus sur ces assemblées. Elles recommandent aux ARS et au ministère de la Santé de faite pression « pour que ces dernières transmettent leurs comptes, les rapports de leur commission de contrôle des comptes et leurs rapports d’activité ». Car le défaut d’analyse de ces documents empêche d’avoir une vision consolidée de leur situation financière et de leur activité.
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