Le 12 décembre, jour d’un appel national à la grève de la fonction publique, l’équipe d’infirmiers de bloc opératoire diplômés d’État (Ibode) de l’hôpital de Bayeux (Calvados) débraye. Leur courroux ne porte pas sur le jour de carence, que le gouvernement de l’époque souhaite ajouter aux fonctionnaires, mais sur un décret qui, selon eux, nivelle dangereusement leurs compétences par le bas et porte atteinte à la reconnaissance de la spécialisation. Publié fin octobre, ce texte permet de manière transitoire à un infirmier non titulaire d'un diplôme d'État de bloc opératoire de réaliser des actes techniques jusque-là réservés exclusivement aux Ibode, sous réserve d’un an d’exercice au bloc au cours des trois dernières années, puis d’une formation complémentaire en école Ibode.
La pénurie d’Ibode, casse-tête permanent
Pour ses adversaires, ce décret palliatif, pris uniquement en raison de la pénurie d’Ibode, risque de compromettre la qualité et la sécurité des soins car il ne garantirait pas l’acquisition des compétences techniques indispensables. De fait, alors que les Ibode sont formés à leur spécialité en deux ans au niveau master, le dispositif s’oriente vers une formation complémentaire courte de 21 heures pour passer de l’autorisation temporaire à la délivrance d’une autorisation définitive pour la pratique des actes exclusifs.
La polémique n’est pas nouvelle. Elle avait déjà enflé lors de la publication d’un décret en 2021 autorisant les infirmiers non spécialisés à pratiquer trois actes exclusifs (tenir les écarteurs, cautériser un saignement et aspirer) à titre transitoire. En échange, ils devaient accepter de suivre une formation… de 21 heures sur ces trois actes et transmettre un dossier d’inscription à la tutelle.
Mais, de leur côté, les chirurgiens libéraux comme les représentants des cliniques privées, toujours inquiets d’une paralysie des blocs opératoires faute de bras très spécialisés, soulignent le fait que la France ne dispose que de quelque 8 500 Ibode – contre plus de 20 000 infirmiers non diplômés Ibode exerçant déjà en chirurgie. D’où la volonté de mobiliser toutes les compétences. « Enfin une approche pragmatique !, applaudit la branche MCO (court-séjour) de la Fédération de l’hospitalisation privée (FHP). Réserver des actes au bloc opératoire exclusivement aux Ibode absents du marché de l’emploi, alors que le pays n’est pas dans la capacité d’en former en nombre et dans les temps, signifiait fermer des centaines de blocs chirurgicaux. » La fédération salue une rupture de méthode, permettant aux infirmiers exerçant déjà au bloc de réaliser les actes exclusifs dévolus aux Ibode, « sous certaines conditions plus réalistes ». Le corpus réglementaire devra être complété par des arrêtés, accompagnés d’un contrat d’engagement, précise-t-elle.
« Permettre au système de continuer à fonctionner »
Ces transferts de compétences d’actes techniques vers les infirmiers non Ibode représentent-ils un danger, y compris juridique ? Le Pr Olivier Jardé, chirurgien orthopédiste au CHU d’Amiens et président de l’Académie de chirurgie, se dit favorable au décret. « La sécurité des patients n’est pas remise en cause. Et, dans les blocs, nous permettons toujours aux infirmières d’aller se former dans les écoles d’Ibode », précise-t-il.
« Cette affaire des actes exclusifs a été très mal gérée depuis le début par les pouvoirs publics et par les établissements, déplore le Dr Philippe Cuq, président du syndicat Le Bloc, qui a participé aux réunions avec la Direction générale de l’offre de soins (DGOS, ministère). Et la mobilisation des syndicats d’Ibode a malheureusement bloqué les évolutions. Depuis 2015, on traîne ce sujet alors qu’on a quand même un grave problème de manque de personnel spécialisé qui aboutit à des retards thérapeutiques. » Toujours dans une approche pragmatique, le chirurgien se dit favorable à former en masse des Ibode « sur des formats plus courts ».
D’autres confrères affichent leur prudence. « On ne peut pas comparer une personne qui a un an d’expérience et une formation courte à une personne qui a fait deux ans d’école de spécialisation », recadre la Dr Hélène Le Hors, chirurgienne pédiatrique à Marseille. On n’est pas dans l’équivalence mais bien dans le transitoire pour permettre au système de continuer à fonctionner. » « On ne peut pas être certain que certains actes très techniques puissent être maîtrisés en 21 heures même si on s’est déjà exercé un an au bloc », abonde la Dr Naziha Khen-Dunlop, présidente du Syndicat des chirurgiens pédiatres français. La pratique des actes exclusifs aux infirmiers éligibles n’a pas fini de diviser les équipes opératoires.
5,4 millions d’euros à la formation
La troisième circulaire budgétaire parue en décembre 2024 octroie 5,4 millions de crédits à la formation des infirmiers diplômés d’État (IDE) dans les dispositifs dérogatoires souhaitant entrer en formation Ibode par la voie initiale ou continue. Environ 20 % de ce montant ira aux formations Ibode et 80 % de l’enveloppe financera les mesures transitoires et la mise en conformité des blocs opératoires.
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